PARIS - Une réunion de crise s'est tenue dimanche matin à la présidence française pour tenter d'établir les circonstances de l'assassinat des deux journalistes français enlevés et tués samedi à Kidal dans le Nord du Mali, quatre jours seulement après la libération de quatre otages français dans cette même région. Les ministres des Affaires étrangères et de la Justice Laurent Fabius et Christiane Taubira, ainsi qu'un représentant de la Défense et des services secrets, ont participé à cette réunion de crise présidée par François Hollande et convoquée au lendemain des assassinats des journalistes de RFI, qui ont suscité une onde de choc et de nombreuses interrogations.
Ghislaine Dupont, 57 ans, et Claude Verlon, 55 ans, journaliste et technicien aguerris, ont été enlevés samedi à la mi-journée par des hommes armés devant le domicile d'un représentant touareg qu'ils venaient d'interviewer à Kidal, dans le nord du Mali.
Leurs corps ont été retrouvés moins de deux heures plus tard par une patrouille française alertée de l'enlèvement, à une douzaine de kilomètres à l'est de Kidal.
Qui les a tués ? Pourquoi ? Dans quelles circonstances ?
Selon le témoignage d'Ambéry Ag Rhissa, le représentant du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA, rébellion touareg) que les journalistes venaient d'interviewer et qui a assisté à l'enlèvement, les agresseurs parlaient tamachek, la langue des Touareg.
Kidal, situé à plus de 1.500 km au nord-est de Bamako, est le berceau de la communauté touareg et du MNLA. Ce dernier a condamné samedi soir les crimes et promis de "tout mettre en oeuvre pour identifier les coupables".
Toutes les infiltrations possibles à Kidal
Mais les regards se tournent aussi vers Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), très présente dans la région malgré la présence des troupes françaises intervenues en janvier 2013 pour chasser les groupes islamistes armés qui occupaient le nord du Mali.
"Kidal est la seule région pour le moment où la souveraineté de l'Etat n'est pas effective", a rappelé dimanche Soumeilou Boubeye Maiga, le ministre malien de la défense sur France 24. "La situation est telle que toutes les infiltrations sont possibles", a-t-il ajouté.
Le Nord du Mali, occupé en 2012 par des islamistes armés liés à Al-Qaïda après une nouvelle rébellion lancée par le MNLA et un coup d'Etat à Bamako, reste très instable. Les attentats et attaques islamistes s'y sont multipliés depuis un mois à l'approche d'élections législatives dont le premier tour est prévu le 24 novembre.
Sur les raisons de ces assassinats, la presse française évoquait dimanche l'hypothèse d'un différend financier autour de la rançon qui aurait été versée --20 millions d'euros selon certaines sources-- pour obtenir la libération des quatre otages français détenus par Aqmi pendant plus de trois ans dans le Sahel, et rentrés en France mercredi dernier.
Paris a réitéré depuis que la France ne payait pas de rançon pour ses otages, mais sans exclure explicitement que de l'argent privé puisse être versé.
Par ailleurs, Iyad Ag Ghali, chef du groupe islamiste armé Ansar Dine (Défenseurs de l'islam) qui contrôlait Kidal avant l'intervention française, aurait joué un rôle clé dans la libération des otages, en échange de son impunité.
Les journalistes enlevés ont-ils pu être exécutés alors que les ravisseurs tentaient d'échapper à leurs poursuivants?
Selon le porte-parole de l'état-major français, le colonel Gilles Jaron, les forces françaises basées à l'aéreoport de Kidal, alertées de l'enlèvement, ont envoyé une patrouille et deux hélicoptères sur zone, mais ont découvert les corps des deux journalistes sans avoir vu ou affronté les meurtriers.
Autant d'interrogations auxquelles la justice, qui a ouvert samedi une enquête pour des faits d'enlèvement et séquestration suivis de meurtres en lien avec une entreprise terroriste, devra répondre.
En attendant, les réactions d'émotion et d'indignation ne tarissaient pas depuis samedi. La rédaction de RFI, qui avait déjà perdu deux journalistes depuis 2001 -en Afghanistan et en Côte d'Ivoire- était sous le choc.
De nombreux responsables politiques français et européens ont exprimé leur "indignation" et leur "tristesse".
Mais l'assassinat a aussi choqué à Kidal même, où les deux journalistes avaient déjà effectué une mission en juillet.
"Je suis malheureuse à vie. J'ai vu les deux journalistes une heure avant leur mort. Ils étaient contents d'être ici avec nous", a déclaré à l'AFP Awa Diallo, une habitante de la ville.