OUAGADOUGOU - Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA, rébellion touareg), profondément divisé, joue sa "crédibilité" avec les assassinats des deux journalistes français qu'il n'a pu empêcher et dont il semble incapable de retrouver les auteurs, selon plusieurs analystes interrogés par l'AFP
.La rébellion touareg du Mali, revenue en force dans son fief de Kidal (nord-est) grâce à l'intervention française en janvier, est fragilisée par l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlont dans cette ville qu'elle ne contrôle plus.
Depuis le Burkina Faso, le président et le vice-président du mouvement affirment que le MNLA est impuissant, le dédouanant ainsi d'éventuelles responsabilités.
Depuis les accords de Ouagadougou de juin, qui ont permis un cessez-le-feu entre les rebelles touareg et Bamako ainsi que l'organisation de l'élection présidentielle à Kidal, le MNLA n'a plus la charge de la sécurité de la ville, argumentent-ils.
Les journalistes, confiés à leur arrivée à Kidal aux "forces armées maliennes", "n'ont pas été enlevés chez nous", affirme Bilal Ag Achérif, le président du MNLA, dans un entretien avec l'AFP.
"Nous n'avons pas la responsabilité de la sécurité de la ville de Kidal, ni des autres localités", poursuit-il.
Ghislaine Dupont, 57 ans, et Claude Verlon, 55 ans, ont pourtant été capturés à leur sortie de la maison d'un cadre du mouvement, qui, menacé par les ravisseurs, n'a rien pu faire pour les protéger.
Une "humiliation", selon le vice-président du mouvement Mahamadou Djéri Maïga, qui pousse le MNLA à tout faire pour retrouver les assassins.
"Les combattants du MNLA sur place sont très énervés, surexcités. Ils courent partout pour retrouver les auteurs. Ils sont furieux, ils veulent les trouver, ils ont la rage qu'on les confonde avec eux", remarque Pierre Boilley, directeur du Centre d'études du monde africains (CEMAF), réputé proche du MNLA.
Mais l'armée française bloque ses initiatives, regrettent les deux dirigeants.
Une fois le kidnapping avéré, "nous avons tout de suite demandé à Serval (le nom de l'opération militaire française au Mali) l'autorisation de poursuivre les ravisseurs. En vain", selon M. Achérif.
Même le véhicule ayant servi pour l'enlèvement est inaccessible au MNLA, déplore son vice-président, alors que "le fait de le voir" pourrait "nous mettre sur la piste (...) des terroristes".
D'après la gendarmerie malienne, une dizaine de suspects ont été interpellés depuis le double assassinat, ce qu'a démenti Paris, parlant d'"opérations en cours".
Bilal Ag Achérif, lui, croit savoir qu'"aucun membre" du MNLA ne fait partie des captifs.
Et d'ajouter : "les premières informations que nous avons laissent penser que c'est l'oeuvre d'Aqmi" (Al-Qaïda au Maghreb islamique), un mouvement terroriste avec lequel le MNLA a été allié, avant d'être laminé militairement par les groupes islamistes armés qui ont occupé le nord du Mali en 2012.
Des gens qui parlent tamachek, on en trouve partout
A priori, la piste Aqmi ne semblait pas la plus évidente. Le groupe Ansar
Dine - défenseurs de l'islam -, qui en est proche peut aussi avoir joué un
rôle dans la libération récente de quatre otages français kidnappés en 2010 au
Niger.
En outre, les ravisseurs des deux journalistes parlaient tamachek, la
langue touareg.
"Mais des gens qui parlent tamachek on en trouve partout. Ils sont capables d'aller une fois avec le MNLA, une fois avec Ansar Dine, une fois avec Aqmi", constate André Bourgeot, un anthropologue spécialiste des sociétés touareg, directeur de recherches au CNRS.
Dans un mouvement connaissant une "crise d'autorité profonde", dont "la plupart des cadres"veulent "un retour dans le giron démocratique" et "des autorités maliennes", des jeunes, refusant ce glissement d'un MNLA jusqu'alors autonomistes, s'opposent, poursuit M. Bourgeot.
"Si ce sont des gens membres d'une dissidence du MNLA qui sont responsables, les responsables du mouvement ont tout intérêt à ce qu'ils soient repris", analyse François Loncle, député socialiste français, auteur d'un récent rapport parlementaire sur la sécurité au Sahel.
"C'est une question de crédibilité", lance le parlementaire, pour qui l'opération Serval a aussi abouti à une "très grande dispersion" des islamistes.
"Ansar Dine, le MNLA, sont aujourd'hui parcellisés, divisés, en proie aux surenchères et aux rivalités", dit-il.
Quelque soient les auteurs des crimes, le MNLA en ressort encore plus fragilisé et divisé. Ce qui ne saurait être de bon augure avant les prochaines élections législatives, dont le mouvement ne souhaite pour l'instant entendre parler, alors que des pourparlers de paix sont prévus avec Bamako.
La faiblesse et les divisions de la rébellion touareg peut être aussi une occasion pour le gouvernement malien de tenter de reprendre la main dans un nord qui lui reste hostile.