Une délégation du Haut Conseil islamique du Mali, conduite par son président l’Imam Mahmoud Dicko, et comprenant Ousmane Chérif Haïdara et d’autres sommités du monde islamique malien, a été reçue mardi 3 juillet par le Premier ministre Cheick Modibo Diarra. Les leaders islamiques du Mali ont proposé leur médiation au Premier ministre pour aller rencontrer le chef rebelle, Iyad Ag Ghaly, discuter avec lui et « trouver ensemble un accord pour faire cesser la souffrance de nos compatriotes dans le nord du Mali ». Le Haut Conseil islamique est il à hauteur de mission ? Deux éléments clés permettent de donner une piste d’analyse : l’unanimité est faite aujourd’hui par les Maliens, toutes catégories confondues, qu’il faut une solution malienne à la crise dans laquelle le pays est plongé ; le Haut Conseil islamique par le passé a pu obtenir d’Iyad Ag Ghaly la libération de 169 prisonniers militaires, qui ont été remis au Président Dioncounda Traoré le 17 avril 2012 au cours d’une cérémonie solennelle à la base aérienne de Bamako.
Le Haut Conseil islamique du Mali a renforcé sa pratique du nord Mali en y convoyant des donations humanitaires dans ces zones occupées par les Jihadistes d’Ansar Dine. Aujourd’hui, comme hier, sans conteste les leaders religieux, notamment les leaders islamiques dans l’actuelle crise, sont une alternative crédible à soutenir. Nous allons revenir dans cet article sur les péripéties de la mission du Haut Conseil islamique, qui a conduit en avril dernier, après la prise Aguel Hoc et Tessalit, deux membres de cette organisation. Ils ont été reçus par le Jihadiste Iyad qui a religieusement écouté les arguments développés par eux, avant de se mettre à leur disposition pendant tout le séjour, sillonnant les régions de Tombouctou et de Kidal pour rassembler tous les prisonniers militaires maliens. Ces érudits du Haut conseil islamique, les Imams Mouhazé Haïdara et Yacouba Siby, ont eu le privilège de revenir à Bamako accompagnés des militaires maliens, anciens prisonniers du Jihadiste Iyad Ag Ghaly.
« Nous pensons qu’il y a aujourd’hui des aspects de cette crise qui sont religieux, nous sommes en train de faire en sorte que tous les érudits du Mali se réunissent pour qu’ensemble nous étudions ce problème ». Mettant l’accent sur l’acuité des problèmes et l’urgence de la situation, les leaders religieux ont signifié au Premier ministre leur désir de ne pas s’en arrêter là, mais d’aller rencontrer le leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghaly, « pour essayer de discuter avec eux et voir ce que nous pouvons trouver ensemble comme accord pour faire cesser la souffrance de nos compatriotes dans le nord du Mali », a projeté l’Imam Dicko. Les leaders islamiques du Mali voudraient rencontrer les membres d’Ansar Dine avec son leader Iyad Ag Ghaly à sa tête, « pour discuter des problèmes religieux, en profondeur et pour dire et montrer que nous pouvons nous comprendre s’il s’agit de la religion », a expliqué l’Imam Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique du Mali.
Au cours de la cérémonie de remise des anciens prisonniers de guerre, l’Imam Yacouba Siby a été présenté comme étant l’un des membres du Haut Conseil islamique à se rendre au nord pour prendre langue avec Iyad Ag Ghaly. Nous avons voulu en savoir plus. En le rencontrant, nous sommes à mesure de dire que le choix porté sur cet homme n’était pas gratuit, mais repose sur plusieurs facteurs liés à son parcours et à ses approches des questions islamiques qui font de lui un érudit d’une modestie exemplaire. Lors de ce périple d’avril au cœur des foyers de tensions du nord à la recherche de Iyad Ag Ghaly, l’Imam Yacouba Siby était accompagné par un autre membre du Haut Conseil islamique, Mouhazé Haïdara. Les deux émissaires ont effectué la démarche qui a abouti à la libération des prisonniers. La mission a pris 12 jours les conduisant à Tombouctou auprès du leader d’Ansar Dine, puis à Kidal, en compagnie du chef rebelle, avant de regagner Bamako en compagnie des 169 prisonniers et de 15 autres membres des familles des militaires trouvés à Gao. La mission est partie de Bamako le vendredi 6 avril pour y retourner le lundi 16 avril. La remise solennelle des militaires maliens a eu lieu le lendemain 17 avril, au cours d’une cérémonie présidée par le Président de la République par intérim, Dioncounda Traoré.
Comment ces deux émissaires du Haut conseil islamique ont-ils obtenu du Jihadiste Iyad Ag Ghaly, la libération des prisonniers de guerres ? « Après réflexion nous avons estimé que s’il s’agit de l’islam, nous pouvons parler avec eux », nous a expliqué Yacouba Siby, Imam de la mosquée de Sokorodji.
Cet érudit malien a fait la connaissance de Iyad Ag Aghaly lors des prières quotidiennes à la mosquée de Marquaz à Faladié. Mais bien avant, il l’avait approché pendant ses études. L’imam Yacouba Siby est promoteur du Centre ASALAM, une école Medersa située à Sogoniko commercial, près de la gendarmerie. C’est au niveau de cette école que le fils d’Iyad Ag Ghaly a étudié pendant deux ans, 2008 et 2009. Ses études, pendant ces années, ont consisté à apprendre le coran par cœur. Il partira de cette école quand son père a été fait consul du Mali à Djeddah. « Compte tenu de ces raisons nous avons estimé que nous pouvions lui demander quelque chose ». Les membres du Haut Conseil islamique n’ont pas hésité de soutenir le projet d’aller prendre langue avec Iyad Ag Ghaly.
Ainsi les leaders religieux se sont prévalus des argumentaires mettant seul Dieu en avant, pour entreprendre la démarche qui a permis de « libérer ces militaires qui sont des chefs de famille ». Il a fallu être très clair sur ces motivations pour amener le chef rebelle à accepter l’arrivée de ces missionnaires religieux dans son fief à Tombouctou et Kidal. « Il nous a promis, en disant qu’il respecte les musulmans. Des leaders lui ont demandé au nom de tous les musulmans et de Dieu. Il a donc facilité les choses et nous a dit de venir. Sans condition ! ». Ces premiers réglages remontent à janvier 2012, sous le Président Amadou Toumani Touré. La mission pouvait déjà se rendre au nord, à cette date, mais les autorités d’alors n’ont pas donné leur caution à ce voyage. Respectueux de l’autorité, nos leaders religieux n’ont donc pas voulu entreprendre cette mission sans y être autorisés par le locataire de Koulouba. « Après le coup d’Etat du 22 mars, notre autorité, le Haut conseil islamique nous a autorisé, et nous avons entrepris le voyage », nous a expliqué l’Imam Siby. C’est à bord d’un véhicule loué que les émissaires du Haut Conseil islamique, Mouhazé Haïdara et Yacouba Siby choisiront leur itinéraire pour se rendre à Tombouctou. Leur trajet reste discret pour des raisons tactiques.
Selon nos investigations auprès d’un ressortissant du nord, dans de telles circonstances, l’itinéraire probable pourrait être Bamako-Ségou-Niono- Dioura- Léré-Niafunké-Tonka-Goundam-Tombouctou. Parti de Bamako le vendredi 6 avril, les émissaires musulmans arrivent à Tombouctou, le samedi 7 avril. Le Jihadiste, Iyad Ag Ghaly, est bel et bien dans la ville des 333 saints et les reçoit le même samedi dans l’après midi.
Les émissaires ont été hébergés dans un hôtel de la place. Nous sommes à mesure de dire aujourd’hui qu’il s’agissait de l’hôtel Bouctou. Les émissaires du HCIM y passèrent trois jours à cet endroit où Iyad AgGhaly leur rendait régulièrement visite comme il se doit entre musulmans et ils y priaient ensemble également. Les deux émissaires ont eu le respect et la considération dus aux hôtes qu’ils étaient. Trois jours après, le chef rebelle les conduit à Kidal, où ils ont passé une nuit. C’est en effet à Kidal où se trouvait une partie des prisonniers de guerre, que le chef rebelle avait capturé dans les rangs de l’armée malienne. Le matin, attachés à la réussite de leur mission, les émissaires ont alors demandé à voir les hommes, des militaires maliens qu’il a fait prisonniers. Leur désir a été réalisé, les prisonniers à Kidal étaient au nombre de 66. Et Iyad leur présenta les émissaires du Haut Conseil islamique qui sont venus les chercher à la demande des musulmans. Il concédait donc à les libérer pour cette cause. Ce n’était pas tout, d’autres prisonniers étaient à Tessalit et à Aguel Hoc. Les hommes d’Iyad Ag Ghaly mettront deux jours pour les réunir et les ramener à Kidal. Tout compte fait, Iyad a remis aux émissaires du HCIM, Mouhazé Haïdara et Yacouba Siby, au total 159 hommes et une femme et son enfant. Le nombre des soldats sera porté à 160, lorsqu’à l’arrivée du convoi à Gao, un soldat sortit de sa cachette pour les rallier et exprimer aux émissaires sa volonté de venir avec eux. En plus, 15 autres personnes dont des femmes et enfants sont venus grossir leur nombre qui a atteint 175 à Gao. Dans la cité des Askias, c’est une mosquée qui a accueilli les voyageurs, comme ce sera le cas en d’autres étapes. A cause d’une panne de véhicule, comme par exemple à Gossi, ils ont souvent campé à la belle étoile pour repartir le matin, une fois la panne réparée. Le convoi était composé de deux camions et de trois voitures.
Le leader islamiste d’Ansar Dine n’a pas lâché ses hôtes dans la nature, mais s’est même préoccupé de leur sécurité pendant le voyage. C’est ainsi qu’il instruira à ses hommes qui assureront leur sécurité en escortant les émissaires du Haut conseil jusqu’à Douentza. Les militaires maliens informés de l’arrivée de leurs compagnons d’armes ont accueilli le convoi à 50 km de Mopti, au niveau de Konan, et ont assuré l’escorte jusqu’à Sévaré. C’est une école Medersa qui les a hébergés pendant l’escale. C’est aux environs de 18 h le lundi 16 avril que les émissaires du HCIM accompagnés des militaires ont fait leur entrée à Bamako où ils ont été accueillis à Niamana par les membres du Haut conseil, le représentant de la sécurité intérieure (le général Niakaté) et une foule nombreuse. La cérémonie de remise des militaires par le Haut conseil islamique aux hautes autorités maliennes sous la présidence du Président de la République par intérim Dioncounda Traoré a eu lieu le lendemain mardi 17 avril, à la base aérienne. « Cette mission est une œuvre de société et religieuse. Quand une personne est dans une situation difficile, un problème, nous devons le secourir autant que nous le pouvons. Ces militaires étaient en mission de l’Etat, pour tout le monde et nous ne devons pas les abandonner. Iyad nous a confié qu’il nous a remis tous les prisonniers maliens qu’il détenait … », nous a confié Yacouba Siby. A cette occasion Iyad Ag Ghaly a fait preuve de bonne foi et de respect à l’endroit des musulmans. Pourquoi ne pas remettre ça ? La balle est dans le camp de l’Imam Mahmoud Dicko et ses collègues du Haut Conseil islamique du Mali et de nos autorités.
Les écueils d’une mission
Un tel voyage au nord, en période d’insécurité, n’a pas été sans risque. Ainsi sur ce trajet semé d’embûches, les émissaires du HCIM, Mouhazé Haïdara et Yacouba Siby, furent interceptés à Niafunké par les combattants du Mouvement national pour la Libération de l’Azawad (MNLA). Alors commença un interrogatoire qui a surtout porté sur le véhicule qui les transportait, qui en était le propriétaire et surtout quels étaient les motifs de leur mission, ainsi que leur destination. L’Imam Yacouba Siby qui parle dans un arabe impeccable n’eut aucune peine à leur répondre, avant de se voir autorisé à poursuivre sa mission, à laquelle ils n’ont pas vu d’inconvénient. « J’ai vu des régions du nord où les populations sont en difficulté et doivent être secourues », selon Yacouba Siby. Pour lui, il faut négocier et régler par le dialogue, pour éviter autant que possible de verser le sang car des deux côtés, il s’agit des Maliens. Le Haut conseil économique a collecté des donations pour les apporter au nord : Kidal, Tombouctou, Gao. Aujourd’hui il est une institution avec laquelle il faut compter dans la résolution de la crise au nord Mali.