Pour le président guinéen, c’est à l’Union africaine de résoudre la question malienne, avec le soutien de la communauté internationale.
Il a rencontré le président François Hollande.
Le passage du Nord Mali sous domination islamique est-il un accident, ou le début d’une contagion qui va gagner l’Afrique subsaharienne ?
Alpha Condé : Je ne pense pas. L’Islam de l’Afrique de l’Ouest est un islam tolérant qui n’a rien à voir avec l’intégrisme musulman de type salafiste que l’on vient de voir surgir dans le nord Mali. On n’a jamais interdit aux gens d’avoir leur propre religion. En Guinée, pays laïc, il ne vient à l’esprit de personne de combattre les forêts sacrées.
Ce qui se passe dans le nord Mali est extérieur à la culture africaine. On veut nous imposer quelque chose qui n’a rien à voir avec nous. Tout le monde est d’accord en Afrique pour ne pas accepter l’installation d’un État islamique sur le continent. Je vous fais remarquer qu’il n’y a aucun État islamique en Afrique.
Pourtant, la charia a déjà été adoptée par une douzaine d’États dans le nord du Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique.
Les intégristes musulmans de Boko Haram au Nigeria sont soutenus et utilisés par des hommes politiques du nord pour affaiblir le pouvoir du président sudiste Goodluck Jonathan. Ce qui se passe au Nigeria est d’abord politique.
La charia avait été adoptée plus de dix ans avant l’élection de Goodluck Jonathan…
Ce n’est pas l’État du Nigeria qui est touché par l’islamisation, mais des régions qui ne sont pas intégrées dans la fédération nigériane. Il n’y a pas de charia au Tchad, en Guinée, au Sénégal… Je ne crois pas une seconde à cette contagion.
Le président sénégalais, Macky Sall, a affirmé la semaine dernière que des Sénégalais avaient rejoint les rangs des islamistes…
Ce sont des mercenaires isolés. Il y aurait aussi des Ivoiriens, mais ce sont des combattants qui n’ont pas été désarmés et qui rejoignent les rangs de ceux qui sont prêts à les employer en les payant. Leur motivation est financière, pas religieuse.
Est-il concevable de penser que les islamistes du Nord Mali seraient un paravent derrière lequel se cachent les narco-trafiquants, véritables commanditaires de cette rébellion armée ?
Les narco-trafiquants et les islamistes s’aident mutuellement. Les trafiquants donnent de l’argent aux islamistes pour qu’ils les débarrassent de tous ceux qui peuvent s’opposer à leur trafic.
Le trafic de drogue passe par la Guinée Bissau avant de remonter vers l’Afrique du Nord par le Sahel. Les islamistes ont besoin du trafic de drogue pour financer leurs actions, et les narco se servent des islamistes pour leur trafic.
Après le Mali, pensez-vous que d’autres États puissent s’effondrer ? Certains parlent du Burkina Faso…
En tant que président, je ne peux pas porter des appréciations sur les autres pays. Je souhaite qu’on règle le problème du Mali et le problème de l’islamisme partout.
Mon désir est que la démocratie soit renforcée dans tous les États africains pour leur permettre de poursuivre les réformes entamées. La vraie solution au péril terroriste et radical s’appelle développement économique et social.
Cette crise peut-elle toucher la Guinée ?
Mon pays a une très grande frontière avec le Mali. Le Mali et la Guinée, c’est le même peuple. Ce qui arrive aux Maliens, arrive aux Guinéens. Nous ne craignons pas d’être déstabilisés par l’arrivée des réfugiés Maliens. Mais nous ne pouvons pas accepter la scission du pays, l’exercice du coup d’État comme pratique du pouvoir.
Nous n’acceptons pas que des Maliens ne puissent plus vivre comme ils l’entendent, ne puissent plus porter de jeans, jouer au football. Nous refusons de voir nos sœurs du nord obligées de se couvrir l’ensemble du corps pour sortir. Nous ne pouvons pas tolérer que l’on détruise les mausolées et les mosquées historiques de Tombouctou, que l’on saccage les trésors et le patrimoine de l’Afrique au nom d’une lecture de l’islam étrangère à nos traditions et à notre histoire.
C’est pourquoi, nous sommes décidés à envoyer des troupes au Mali. Actuellement, nous avons mobilisé des forces pré-positionnées. Elles sont entraînées par l’armée française en vue d’une intervention au Mali.
Qui est le premier responsable de l’effondrement du régime malien ? Le président Amadou Toumani Touré (ATT) ?
Comme je l’ai dit au président mauritanien, il ne s’agit pas de faire le procès d’ATT mais de trouver des solutions. Répondre à votre question, c’est nécessairement évaluer et juger le gouvernement malien. C’est vrai que les Maliens estiment qu’il aurait dû utiliser la force et non le compromis pour régler la question du nord. Le problème actuel n’est pas de discuter d’éventuelles erreurs d’ATT, mais de résoudre la crise malienne.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’y attelle depuis le putsch des militaires, le 22 mars, sans succès.
Avec la Cedeao, nous n’avons pas exactement bien analysé la crise au départ. Cela nous a conduits à commettre des erreurs. Nous sommes en train de reprendre la main. Les Maliens sont un peuple guerrier, ils sont fiers. Ils se sentent profondément humiliés par la victoire des étrangers du nord sur leurs forces et leur armée.
C’est pourquoi, ceux qui se penchent sur le Mali doivent faire attention à bien respecter la fierté du peuple malien. La Cedeao a sans doute commis une erreur en imposant la prolongation d’un an du mandat du président par intérim. Nous aurions dû demander au Parlement malien de le faire.
De même, c’est une illusion de chercher à négocier avec les mouvements terroristes. Les destructions qu’ils viennent de faire à Tombouctou en sont la parfaite illustration. En revanche, on peut effectivement discuter avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, mouvement indépendantiste touareg).
Qui doit agir ?
L’Union Africaine (UA).
C’est pourquoi vous avez déclaré, lundi, que ce n’était pas à la Cedeao de prendre seule en charge la crise malienne, mais à toute l’Afrique.
La crise malienne dépasse le champ géographique de la Cedeao. Elle touche aussi la Mauritanie, l’Algérie et le Tchad. Si le Sahara devient, sous les coups des islamistes, un nouvel Afghanistan, c’est tout le continent qui sera déstabilisé.
Nous, les pays africains, avions prévenu les grandes puissances réunies à Deauville, au G8 en mai 2011, que leur intervention en Libye aurait deux conséquences : la "somalisation" de la Libye et la prolifération des armes dans le Sahel. Nous en sommes là, aujourd’hui.
Au niveau de l’UA, nous avons créé des forces prépositionnées : à tout moment, elles sont mobilisables pour intervenir dans un pays en crise.
Quel est le plan de l’UA ?
Obtenir une résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies, qui nous permettrait de sécuriser les hommes politiques au Mali, d’avoir un gouvernement d’union nationale et à partir de là, de libérer le territoire national.
Concrètement, comment parvenir à la création d’un gouvernement d’union nationale ?
Il faut réunir l’ensemble des forces politiques du Mali, leur donner les moyens de discuter afin qu’elles mettent en place ce gouvernement d’union nationale. Gouvernement que nous sécuriserons.
De quelle manière ?
En envoyant des troupes de l’Union Africaine épauler l’armée malienne dans ce travail de sécurisation de la vie politique et dans la nécessaire reconquête du nord Mali.
Vous avez dit que vous étiez prêt à engager des Guinéens. Y a-t-il d’autres pays qui se sont manifestés dans ce sens ?
Les Nigériens l’ont dit ouvertement. Je pense qu’il y a d’autres pays qui sont prêts à mobiliser des troupes.
Dans ce schéma, quels sont les rôles de la France et de la Communauté Internationale extra-africaine ?
Leur rôle est immense. Nous ne voulons pas qu’ils interviennent militairement au sol. En revanche, nous attendons de leur part un soutien logistique, du renseignement.
Nous souhaitons qu’ils nous aident grâce à leur force aérienne. Si le Conseil de Sécurité donne son accord, je crois que la France nous aidera sans problème. Pour nous, il ne s’agit pas seulement de libérer le territoire malien des islamistes, mais de les chasser du Sahara. Pour cela, il nous faudra du temps et des moyens.
Sans l’Algérie, on ne peut rien faire dans la région. Or, elle ne semble pas décidée à agir…
Elle ne pourra pas rester trop longtemps dans cette position attentiste. Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) s’en prennent aussi aux intérêts de l’Algérie.
Voyez-vous l’Algérie comme un allié fiable ?
Je pense que le développement du terrorisme en Afrique va conduire tous les États africains à s’engager dans cette bataille.