En plus des contraintes que partagent tous les candidats, les femmes doivent surmonter de nombreux autres écueils
Nous sommes samedi 10 novembre à Sikasso. Alors que la campagne pour le premier tour des élections législatives est ouverte depuis une semaine, aucun signe d’ébullition n’est perceptible en ville. L’on aperçoit juste quelques affiches des candidats collées sur divers supports à travers la ville. Sur ces affiches, très peu de visages féminins.
Au total 229 candidats sont en compétition dans la Région de Sikasso. Parmi eux, seulement 24 femmes, soit 10,48%. Et sur ces 24 candidates, 11 sont enregistrées dans le cercle de Sikasso. A Koutiala, elles sont 6. Les circonscriptions de Bougouni, Kolondiéba et Yanfolila alignent chacune deux candidates. A Kadiolo, une seule femme est en lice. Le triste record revient à Yorosso où aucune candidature féminine n’a été enregistrée.
Il faut cependant reconnaître que la faible représentation des femmes à ces élections n’est pas l’apanage de la seule Région de Sikasso. Au plan national, le taux de représentation des femmes est de 13,10, soit 145 candidates sur 1107.
Et quand elles arrivent à décrocher une place sur la liste des candidatures, les femmes doivent faire face à de nombreux écueils au nombre desquels, le manque de ressources financières, de sponsoring, et le poids des traditions.
LE POIDS DES TRADITIONS. A ce propos il est utile de rappeler que Sikasso l’une des régions du pays où la société est la plus conservatrice. Selon la tradition dans cette partie du pays, la femme n’a pas le droit de prendre la parole devant une assemblée d’hommes, à plus forte raison convoiter une place de responsabilité qui reviendrait de « droit » à l’homme.
Ce poids des us et des coutumes persiste et freine à l’émergence des femmes en politique. Les multiples campagnes de sensibilisation menées par les pouvoirs publics et leurs partenaires n’y changent pas grand-chose. Aux entraves liées à la tradition s’ajoute le manque d’information, d’éducation et de moyens financiers et techniques pour permettre aux femmes de battre campagne et de se faire élire.
Pour pallier ces handicaps, les candidates de Sikasso ont bénéficié et continuent de bénéficier de séances de formation et d’information. Des rencontres grâce auxquelles elles se familiarisent avec la loi électorale et apprennent les B.A.BA de la communication publique pour pouvoir s’adresser à l’électorat et le convaincre. Malgré ces bonnes initiatives, se faire élire pour une femme dans cette zone relève plus que de l’exploit.
Mme Djénèba Sanogo est candidate pour les prochaines législatives. Elle figure sur la liste ASMA/RPDM/RPP. C’est la seule femme de cette liste. Nous l’avons rencontrée à Sikasso. Elle confie qu’elle bat campagne avec les moyens du bord et n’a bénéficié d’aucun soutien financier pour l’instant.
Sa stratégie de campagne ? Aller à la rencontre de l’électorat pour expliquer le projet de société que sa liste propose. Là encore, Mme Djénèba Sanogo à des motifs d’amertume. Elle dénonce le « chantage » des jeunes et des … femmes qui n’hésitent pas à fixer des conditions matérielles pour lui promettre leurs voix. Selon la candidate, les femmes réclament généralement des équipements de travail, des ustensiles de cuisine, des bâches et même de l’argent liquide.
Quant aux jeunes, ils demandent des sous pour pouvoir organiser des activités récréatives et sont surtout attirés par les gadgets. « Tout cela demande évidemment de gros moyens financiers dont je ne dispose pas. Je fais avec ce que j’ai en profitant des réunions et des débats autour de notre projet de société. Je mène campagne sans tambour ni trompette. Les changements tant nécessaires dans notre société ne sont pas pour demain », soupire la candidate.
Pourtant, les femmes et les jeunes clament depuis quelques années qu’ils ne veulent plus servir de simple « bétail électoral» pour les hommes politiques sans contrepartie. Ils se disent lassés des fausses promesses des politiciens. C’est ce qui explique peut être le fait qu’ils posent des conditions pour donner leurs voix à tel ou tel candidat.
De fait, les partis et les candidats ont jeté leur dévolu sur les populations rurales considérées à juste raison comme le plus gros potentiel de votants. Ils rivalisent d’ardeur pour les séduire. « Dans un tel contexte, vous comprendrez que la marge de manœuvre des candidates est réduite. On ne nous fait aucun cadeau », note Mme Djénéba Sanogo.
« Il y a des endroits où je ne peux même pas prendre la parole. Dans des situations pareilles, je laisse le soin à mes colistiers masculins de parler. Ceux-ci sont obligés de justifier à chaque fois ma présence sur la liste », confie la candidate déplorant au passage le manque de solidarité entre les femmes.
COMME UN AFFRONT. Mme Nastou Traoré, la trentaine révolue figure sur la liste URD de la circonscription de Sikasso. Elle assure avoir bataillé dur pour être sur cette liste dont elle est la seule femme du reste. Comme Mme Djénéba Sanogo, la candidate évoque les difficultés que doivent affronter les femmes comme les préjugés religieux, la tradition, le problème de financement. Notre interlocutrice en est convaincue : à Sikasso, l’on est très réticent vis-à-vis de l’émergence de la femme en politique.
Elle aussi pointe du doigt le manque de solidarité entre les femmes. « Sinon, comment expliquer le faible taux de femmes aux postes électifs, alors que nous constituons plus de la moitié de la population et que nous faisons le plus le déplacement aux urnes ? », interroge-t-elle, avant de lancer un appel les femmes à l’entente et à plus de solidarité pour gagner le combat de l’équité genre.
Comme stratégie de campagne, Nastou Traoré explique qu’elle et ses colistiers ont commencé sillonner les 43 communes du cercle de Sikasso ainsi que les 28 villages rattachés pour aller à la rencontre des électeurs.
Elle profite des activités folkloriques pour faire la promotion de sa liste. A travers ces espaces de récréation, la candidate insiste sur la nécessité du vote qui est un devoir citoyen et surtout sur le vote utile. A travers ces rencontres, les électeurs potentiels sont également informés sur la manière d’acquérir la carte NINA pour ceux qui n’en ont pas encore.
Mme Maïmouna Diarra voulait être candidate à Yorosso sur la liste URD/UDD. Cela aurait été la première fois qu’une femme se présente à la députation dans cette zone à tradition très conservatrice. Elle n’a pas réussi à convaincre les deux partis qui ont finalement présenté deux hommes.
« Là-bas quand une femme prend la parole devant une assemblée d’hommes pour parler de politique, cela est considéré comme un affront. C’est pour cette raison qu’à Yorosso, il n’y a jamais eu de femme députée ni même de maire femme. Certes il y a quelques conseillères municipales, mais c’est vraiment de la poudre aux yeux», dénonce-t-elle, en reconnaissant cependant que grâce aux campagnes de sensibilisation, au nombre de plus en plus important de femmes ayant fait des études, ainsi qu’à la télévision, les mentalités commencent à changer. Mais d’une manière générale, la majorité de la population ne voit pas d’un bon œil une femme faire de la politique à plus forte raison lui accorder son suffrage quelles que soient ses compétences.
C’est donc dans un contexte difficile que les femmes aspirant à être députée dans le cercle de Sikasso iront à l’élection législative du 24 novembre prochain. Les organisations impliquées dans la promotion de la femme et leur émergence politique et les pouvoirs publics sont fortement interpellées.
Des actions concrètes et urgentes doivent être menées pour faire plus de place aux femmes dans l’Hémicycle. Rappelons que l’Assemblée nationale sortante compte députées 15 sur 147.