Au Nord du Mali, des groupes islamistes détruisent progressivement tous les mausolées de la ville mythique de Tombouctou. Alors que la situation est de plus en plus préoccupante avec l’instauration de la charia, Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam radical au Maghreb à l’Université de Toulouse II-Le Mirail, livre son analyse.
Pourquoi les islamistes s’en prennent-ils à des mausolées ?
Mathieu Guidère – Il y a deux raisons principales à ces destructions de mausolées. La première est politique: détruire les mausolées, c’est indiquer à Bamako qu’elle ne contrôle plus le territoire qu’elle a pourtant mis sur la liste des monuments en péril, et se positionner comme un interlocuteur par rapport à la communauté internationale en faisant parler d’eux.
La deuxième raison est théologique: c’est qu’il existe des tendances fondamentalistes au sein des islamistes touaregs qui contrôlent le nord et notamment une tendance salafiste wahhabite qui a toujours considéré les mausolées comme une atteinte à l’unicité de Dieu, étant donné que les gens s’y rendent pour demander l’intercession des saints qui y sont enterrés. De leur point de vue, détruire ces mausolées, c’est supprimer des fausses croyances et restaurer la “vraie religion de l’unicité”.
Quelle est la situation actuelle au Nord-Mali ? L’armée malienne officielle est-elle en capacité d’arrêter l’insurrection ?
Le nord du Mali est sous le contrôle quasi total des groupes islamistes chapeauté par Ansar Eddine du leader touareg Iyad Ag Ghali. L’armée malienne, divisée, mal organisée et mal équipée, n’a aucune présence au nord et se trouve aujourd’hui dans l’incapacité militaire de faire face à ces groupes ou de libérer le nord de leur emprise, à moins d’un soutien extérieur massif, et encore.
Quelles sont l’état des relations entre les différents groupes islamistes qui contrôlent le Nord-Mali ? Quels sont leurs relations avec Al-Qaida au Maghreb islamique ?
Ces groupes islamistes sont différents sur le plan idéologique (AQMI et le MUJAO sont jihadistes, Ansar Eddine est salafiste) mais ils sont liés par un accord signé fin mai à Tombouctou qui en fait aujourd’hui des alliés objectifs sur le terrain, avec une répartition des tâches et des territoires à contrôler.
Est-ce qu’il y a un risque d’expansion du conflit aux régions transfrontalières touaregs ?
Le risque de régionalisation du conflit est réel en cas d’intervention étrangère au nord du Mali, car chacun des Etats limitrophes possède des communautés touaregs qui aspirent à l’autonomie ou à l’indépendance depuis des décennies. De plus, il existe des velléités guerrières de l’armée malienne sous la pression de la population à Bamako et de la diaspora malienne à l’étranger. Tout cela rend la situation explosive et le risque de régionalisation du conflit bien réel.
Quel est le regard de l’Union africaine sur la crise malienne ? L’Algérie peut-elle jouer les médiateurs dans la résolution de ce conflit ?
Chacun des Etats voisins a ses propres intérêts dans l’affaiblissement du Mali ou dans le maintien de son unité territoriale. L’Algérie a été jusqu’à présent très prudente sur ce dossier et plutôt en retrait sur le terrain, mais elle a été dans le passé un intermédiaire incontournable et efficace dans la gestion des crises touaregs. A un moment ou un autre, il faudra passer par elle.
Le maire de Gao plaide pour une intervention militaire française à la manière de celle qui a été réalisée en Libye. Cette solution vous parait-elle judicieuse ?
D’abord, la France n’a jamais envoyé de troupes en Libye et, si l’intervention a réussi, c’est parce qu’il existait une rébellion libyenne forte sur le terrain qui a permis la libération du pays. Or, il n’existe pas aujourd’hui au Mali de véritable contre-force locale à Ansar Eddine et à ses alliés islamistes. Etant donné la situation actuelle à Bamako et l’état des forces sur le terrain au nord, une intervention française serait contre-productive parce qu’elle serait perçue comme une invasion, voire comme une occupation, du nord malien, et attirerait de fait tous les jihadistes de la région, en plus d’AQMI qui est déjà présente sur place.