Fin mars, à quelques semaines de l’élection présiedentielle, président démocratiquement élu et au terme de son deuxième et dernier mandat, Amadou Toumani Touré est renversé par un coup d’Etat militaire. Dix jours plus tard, les groupes armés, qui avaient profité du chaos pour avancer, occupent complètement et totalement le nord du Mali. Saisie de la question, la Cédéao désigne le président burkinabé comme médiateur dans la crise institutionnelle et sécuritaire. Aujourd’hui, après évaluation, cette médiation ne se révèle-t-elle pas inutile?
La crise institutionnelle et sécuritaire a véritablement pris de l’ampleur au Mali le 22 mars avec le renversement du général Amadou Toumani Touré au terme de son deuxième mandat non renouvelable, et le 1er avril avec la prise de Tombouctou (après celles de Kidal, le 30 mars, et de Gao, le 31). Pour résoudre cette double équation, la Cédéao s’autosaisit de la question et désigne Blaise Compaoré comme médiateur. Le président du Burkina Faso désigne à son tour son ministre des Affaires étrangères et de la coopération régionale, Djibrill Bassolé, qui sera assisté au début de Adama Bictogo, ministre ivoirien de l’Intégration africaine, mandaté par son chef d’Etat, Alassane Dramane Ouattara, en sa qualité de président en exercice de la Cédéao.
La première exigence du médiateur, appuyé par l’ensemble de la communauté internationale, va être le retour de l’ordre constitutionnel. Après avoir été empêchés d’atterrir à Bamako, le 29 mars, pour notifier leurs exigences à la junte, les chefs d’Etat de la Cédéao retournent à Abidjan et prennent contre le Mali des sanctions afin de se faire respecter.
Canular et mystification
Cependant, malgré ces menaces, le seul résultat auquel parviendra la Cédéao est un canular suivi d’une mystification, le tout sur fond d’hypocrisie. En effet, immédiatement après le coup d’Etat, des partis politiques, et non des moindres, et des organisations de la société civile vont s’ajouter à la communauté internationale pour exiger une vie constitutionnelle normale. Mais personne ne demandera le préalable décent qui est le rétablissement du président Touré et celui de son gouvernement dans leurs fonctions respectives. Le 1er avril, le capitaine Amadou Haya Sanogo, chef de la junte au pouvoir, promet le retour à la «normalité».
Un canular. Cinq jours plus tard, le 06 avril, il signe avec la Cédéao un Accord-cadre. Ce document commence même par reconnaitre l’article 36 de la Constitution rétablie du 25 février 1992, lequel article organise «l’intérim» du président de la République en cas de vacance ou d’empêchement. Exit donc ATT à qui on demande (chapitre 1, article 1 de l’Accord-cadre) de démissionner officiellement de ses fonctions. Dans l’article 3 du même document, nouvelle loi fondamentale de la République, c’est le Premier ministre, introuvable mais non démissionnaire, qui doit, avec le président de l’Assemblée nationale, saisir la Cour constitutionnelle pour faire constater la vacance forcée du pouvoir. Le président du parlement est ensuite investi.
Après quelques conciliabules à Abidjan et à Ouagadougou, la mystification sera consommée avec la nomination, en pleine période d’intérim, d’un «Premier ministre de transition », un chef de gouvernement avec les pleins pouvoirs qui est chargé «de conduire le processus de transition, de gérer la crise dans le nord du Mali et d’organiser les élections libres, transparentes et démocratiques, … » (Art.6alinéa a). Il doit, contrairement à la Constitution et en pleine période d’intérim, former un gouvernement de transition, «composé de personnalités consensuelles et chargé de mettre en œuvre la feuille de route de sortie de crise». Il doit également organiser l’assistance humanitaire.
Le président par intérim est investi et doit travailler sous les ordres d’un Premier ministre de transition nommé le 17. Le gouvernement de transition est mis en place le 24. Le 20 mai, contre un titre (désormais caduque) d’ancien chef d’Etat, le capitaine Sanogo autorise la requalification en président de transition de la fonction de Dioncounda Traoré. Mais dès le lendemain, le 21 mai, l’activisme de la Cédéao et la médiation de Blaise Compaoré se révèlent inutiles: le tout nouveau président de la transition est sauvagement agressé jusque dans son bureau du palais présidentiel. Evacué à Paris pour des soins, il demeure toujours dans la capitale française et n’est pas près de revenir au Mali.
Depuis, rien ne va plus. La gestion du pouvoir est plus que jamais ambulatoire. Les groupes armés contrôlent toujours le nord. Et en guise d’assistance humanitaire préconisée dans l’Accord-cadre, les populations des régions occupées n’ont droit, de la part de l’Etat, qu’ à des mots de condoléances, de compassion, de pitié. Pas un kilo de céréale, de sucre, de sel. Pas un flacon de médicament ni un litre de carburant. Les populations sont démunies de tout et malades. Elles ont faim et soif. Avec toujours pas de gouvernement sérieux, la médiation burkinabé a lamentablement échoué.
Clarifier la position burkinabé
Quid de la crise sécuritaire dans le nord ? Sur le deuxième aspect de la médiation, Blaise Compaoré n’enregistre pas non plus de succès. Les trois régions du nord sont toujours occupées, les groupes armés sont plus que jamais bien implantés et sévissent contre les populations, avec l’application effective de la charia. Pour certaines mauvaises langues, le président burkinabé prendrait plutôt plaisir à faire enliser la situation. Parce que le «beau Blaise » aurait des parents par alliance au sein des communautés touarègues. Un de ses conseillers très spéciaux, un Touareg mauritanien, aurait des relations nourries avec les groupes armés. Il a, plusieurs fois, réussi à faire libérer des otages européens détenus par les terroristes. Selon d’autres sources, c’est également Blaise Compaoré qui aurait envoyé exfiltrer l’ex-futur président de la République d’Azawad, Bilal Ag Achérif, gravement blessé lors des affrontements entre le Mnla et le Mujao. En plus, plusieurs combattants indépendantistes défaits seraient présentement réfugiés au Burkina Faso.
Aujourd’hui, même au sein du «syndicat des chefs d’Etat» de la sous-région, le président burkinabé ferait l’objet de suspicion, de méfiance et de défiance quant à son rôle véritable dans la gestion de la crise sécuritaire dans le nord du Mali et par rapport aux risques accrus d’instabilité dans la bande sahélo saharienne. Jusqu’où vont ses relations avec les groupes rebelles et terroristes qui opèrent dans cette région ? Après les diamants de la Sierra Leone, les prélèvements sur les rançons payées pour la libération d’otages, les rebelles touareg seraient-ils un autre filon pour des responsables burkinabé ? Il serait important de clarifier la position de Blaise Compaoré avant d’aller plus loin dans une médiation bancale.