Excellences Messieurs les Présidents, Chers compatriotes ici présents, Honorables invités, le Collectif des ressortissants du Nord (COREN) vous remercie pour l’honneur que vous nous faites en nous recevant aujourd’hui en terre africaine du Burkina Faso pour prendre connaissance de notre vision concernant la crise qui secoue notre pays.
Le COREN salue les efforts que vous déployez, malgré vos multiples occupations et vos agendas chargés, pour aider le Mali à trouver une issue heureuse à la crise qu’il traverse depuis des mois déjà.
A votre attention, nous rappelons brièvement que le COREN, dans sa forme actuelle, a vu le jour en 1994. C’est un regroupement inclusif des ressortissants des régions de Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal, c’est à dire les zones aujourd’hui occupées par les assaillants et les terroristes. Le COREN comprend donc toutes les communautés de ces quatre régions. Le COREN a toujours prôné l’entente entre les différentes communautés sédentaires et nomades et entre celles-ci et le reste du pays. Le bureau national du COREN comporte tous les groupes ethniques des régions concernées.
Lors de l’entretien que le COREN a eu au mois d’Avril avec le ministre des Affaires étrangères du Burkina, SE Monsieur Djibril Bassolé, représentant le médiateur de la CEDEAO, nous avions compris que la CEDEAO considérait le COREN comme acteur central et incontournable dans la recherche des solutions à la crise. Nous lui avons dit, sur la base de quelques constats, que le COREN considérait que la nouvelle rébellion touarègue, avec ses conséquences multiformes, était injuste, injustifiée et inopportune. Avec votre permission, nous rappelons quelques faits au double plan de la gouvernance et des investissements socioéconomiques.
Au plan de la gouvernance: Les régions du Nord sont abusivement et faussement appelées AZAWAD et les communautés touarègues y sont très largement minoritaires. En effet, les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 2009, indiquent que tous les nomades confondus ne représentent que 11,61% des régions de Tombouctou, Gao et Kidal et seulement 0,92% de la population du Mali. Cependant, du fait de la bonne entente entre communautés, les populations sédentaires ont toujours accepté que les Touarègues occupent un leadership de premier plan dans la gestion des structures des collectivités territoriales au niveau des régions, des cercles et des communes dans le cadre de la décentralisation.
C’est ainsi qu’ils occupent la présidence de trois des quatre Assemblées régionales (Tombouctou, Gao et Kidal), et la présidence de plusieurs conseils de cercle. Au plan national, sur les 19 députés du Nord, 8 sont sédentaires et 11 sont d’origine touarègue. Leur représentativité au niveau des Institutions de la République est réelle et visible souvent au sommet de ces institutions (Haut Conseil des Collectivités territoriales, Gouvernement, Assemblée nationale, etc.). En somme, contre les règles démographiques et démocratiques, les sédentaires majoritaires ont propulsé les minorités au sommet dans le souci de ménager, protéger et promouvoir leurs droits et surtout de préserver un tissu social apaisé aux prix et concessions politiques et de règles régissant la bonne entente gage de la cohésion sociale.
Au plan économique: Rien ne peut également justifier une rébellion aux conséquences dévastatrices tant sur les plans politiques, économiques et culturels. En effet, l’analyse faite par la Commission Économique du COREN en février 2012, indique qu’entre 1992 et 2011, 1500 milliards de FCFA ont été investis dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal dans le cadre de projets et programmes majeurs tels que le Programme Décennal de Développement des Régions du Nord. Des projets majeurs de désenclavement et de développement étaient en cours lorsque le MNLA et ses alliés terroristes ont choisi l’option d’attaquer le Mali: on pourrait citer entres autres la construction des routes Niono – N’Goma Coura – Lere – Niafunke – Goundam – Dire – Tombouctou; Gao – Bourem – Anefif – Kidal; le barrage de Taoussa et l’aménagement hydroagricole y afférent. A cela s’ajoute le fait que tous les projets de développement d’envergure destinés au Nord sont gérés par nos ressortissants Touaregs.
Vous comprendrez notre gêne à relever ces faits, dans la mesure où il n’est pas dans notre intention de stigmatiser nos frères Touarègues. Cet exercice nous est imposé par la désinformation qui circule concernant le prétendu désengagement de l’Etat des régions du Nord et le supposé ostracisme qui frappe les communautés touarègues du Mali. Cet exercice nous est également imposé par la rupture de confiance entre les communautés suite à l’agression perpétrée par le MNLA suivie de l’occupation de nos terres par les terroristes. De par sa violence, son ampleur et ses conséquences tant au Mali qu’à l’extérieur, la rébellion actuelle dépasse de très loin celles que le Mali a connues par intermittence depuis 1963.
Le constat aujourd’hui est que les 2/3 du territoire sont sous occupation, poussant nos compatriotes et nos parents à l’exil par centaines de milliers (on parle de 350.000 Maliens réfugiés dans les pays voisins). C’est le lieu pour nous de remercier sincèrement les pays d’accueil. Messieurs les Présidents de la République du Niger et de la République du Burkina Faso, merci pour le soutien apporté quotidiennement à nos parents venus se réfugier chez vous. Merci pour l’hospitalité et le sens du partage, parce que nous savons que les temps sont durs pour tout le monde.
Le chiffre des populations déplacées à l’intérieur du pays n’est pas connu, mais on peut estimer à des centaines de milliers de personnes celles qui ont fui leurs maisons, leur terroir. Les populations restées sur place, sédentaires majoritairement, sont aujourd’hui les otages des terroristes venus dans le sillage du MNLA qui dans sa démesure et ces discours naïfs de faux conquérant a ouvert la boite de pandore aux forces fondamentalistes aux objectifs nous le savons maintenant barbares et moyenâgeux. Il s’agit notamment d’AQMI, du MUJAO, d’Ansardine et de Boko Haram. Nos frères et sœurs sont victimes de toutes sortes d’humiliation et vivent permanemment sous la menace de la mort. Leurs libertés les plus élémentaires sont confisquées. Nos parents des villes et villages survivent dans une situation de désastre humanitaire où elles manquent de tout. C’est aussi le cas de nos frères éleveurs arabo-touarègues qui subissent un nouvel ordre imposé par des revenants de Libye.
Le constat est la désolation, Excellences Messieurs les Présidents. Les assaillants ont fondu sur les villes occupées comme des hordes de barbares. Tout le tissu socioéconomique a été anéanti : infrastructures de santé, école, banques, boutiques, bâtiments administratifs, pillages des maisons, etc. Les assaillants ont reçu l’ordre de casser la ville de Gao. Pour des personnes qui affirment avoir pris les armes à cause du mal développement, le procédé est pour le moins condamnable.
Le constat actuel est que les régions occupées sont transformées en sanctuaire pour les groupes rebelles en collusion avec les narcotrafiquants, les fondamentalistes religieux et les terroristes de tous poils. Il est aujourd’hui établi que des camps d’entraînement de Djihadistes ont essaimé dans toutes ces régions avec l’objectif bien précis de former des katibats terroristes et des kamikazes. En ce moment, ils ne sont qu’une poignée mais si rien n’est fait ils seront bientôt des milliers avec le risque de voir le Mali transformé en bastion inexpugnable du terrorisme, phénomène qui métastaserait sans doute dans tous les pays de la sous-région.
Le constat aujourd’hui est que nous assistons impuissants à la destruction des mausolées de Tombouctou, Tombouctou la Mystérieuse, Tombouctou la ville des 333 Saints, Tombouctou ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les images ont fait le tour du monde. Nous savons que vous partagez notre tristesse devant cette barbarie qui nous le craignons ne s’arrêtera pas si rien n’est fait pour cela.
Le constat aujourd’hui est que nous avons assisté à la disparition de toute pratique religieuse autre que l’Islam dans ces régions occupées. En effet, nos parents, nos frères de confession chrétienne, après avoir vu la démolition de leurs lieux de cultes, ont été chassés de chez eux. Leur tort, leur seul tort, c’est de ne pas être musulman. Or, le mot musulman signifie littéralement celui qui croit en Dieu.
Le constat est qu’aujourd’hui les femmes sont brimées dans leur intégrité physique et morale. Nos sœurs, épouses, mères sont obligées de porter le voile sous peine d’être soumises à des séances publiques de flagellation. Nos sœurs, épouses, mamans sont transformées en objet sexuel à cause des viols multiples et répétés. Les bourreaux du jour se servent du viol comme arme de guerre, comme arme de destructions psychologique et physiologique. Les viols se font souvent en plein jour. Les violeurs poussent souvent le sadisme jusqu’à imposer aux chefs de famille, aux époux, d’assister au drame sous la menace de leurs armes.
Le constat aujourd’hui est que la mort tourne au-dessus de la tête de chacun de nos parents restés sur place. Le cas le plus récent est l’assassinat du conseiller municipal Idrissa Oumarou Maïga de Gao. Il a été abattu froidement le lundi 25 juin de trois balles à cause de sa moto qu’il ne voulait pas laisser aux bandits.
Le constat aujourd’hui est que les jeunes sont privés de leurs activités de divertissement: impossible pour eux de taper dans un ballon sous peine de se faire taper dessus; impossible de regarder la télévision sous peine de recevoir une pluie de coups; impossible de se promener le soir.
Et puis, n’ayons pas peur de le dire, les populations restées dans les régions occupées sont victimes de racisme. Oui, Excellences Messieurs les Présidents, nous sommes victimes de racisme de la part des occupants. En effet, il est interdit aux noirs sédentaires de rouler dans leur voiture personnelle sous peine de se la voir retirer; tout comme il leur est impossible de se servir de leur moto pour les mêmes raisons. Quelles que soient les distances à parcourir, les populations sont obligées de marcher à pied. Nous parlons de racisme parce que nous savons que ces pratiques n’ont pas court dans leur ville ou villages d’origine.
Parallèlement à ce tableau, pour le moins sombre mais tristement vrai, d’autres drames se sont installés comme le choléra. Le choléra a déjà tué à Gao et à Ansongo. Il met en danger, directement ou indirectement, toutes les populations riveraines du fleuve Niger. Nos craintes vont à l’endroit du monde agro-pastoral. En effet, l’hivernage s’installe jour après jour et nos cultivateurs ne disposent d’aucune semence pour cultiver. Même s’ils avaient des semences, ils ne pourraient les cultiver parce qu’ils ne sont pas libres et parce qu’ils ne prendront pas le risque de voir le fruit de leur travail confisqué par les terroristes. Que dire des éleveurs qui voient leur bétail décimé par des voleurs ou qui sont dans l’impossibilité de satisfaire à la nécessité d’effectuer la transhumance?
Nous sommes venus à vous, répondre à votre invitation. Nous sommes venus vous exposer notre vision de la crise, nos craintes de sa perduration et nos propositions. Nous saluons la médiation en cours par l’entremise de la CEDEAO. Mais nous faisons le constat, en tant que victimes que le bout du long tunnel dans lequel nous avons été projetés semble encore loin. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les méritoires efforts déployés par le médiateur pour rencontrer les différents protagonistes. Force est de constater qu’il n’y a pas eu d’avancées notables.
Pour nous, la négociation est incontournable pour sortir de la crise. Encore faudrait-il savoir avec qui négocier; négocier quoi; quand négocier? Pour nous, l’intégrité du territoire n’est pas négociable. Pour nous, la forme républicaine n’est pas négociable. Pour nous, la laïcité de la République du Mali n’est pas négociable.
La question de faire la guerre ou pas pour libérer les régions occupées est au centre de la médiation. Nous constatons que, malgré la disponibilité de la CEDEAO à appuyer notre pays, à aider notre armée, malheureusement les autorités de la Transition ne semblent pas mesurer l’ampleur et l’urgence de la mission. Sans être des va-t-en-guerre, nous estimons que, quel que soit le bout par lequel on appréhende la crise au Mali, la guerre aux envahisseurs semble une solution incontournable. Ne serait-ce que pour bouter hors de nos frontières les différents groupes terroristes.
Au moment où nous vous parlons, le gouvernement malien n’a posé aucun acte concret allant dans le sens de la résolution de la crise. Nous avons rencontré le Premier ministre le 7 mai, puis son ministre de la Communication le 29, pour leur apporter les messages de détresse des populations et le sentiment d’abandon. Nous venons de tenir un sit-in, le mercredi 4 juillet, pour exiger du gouvernement qu’il affiche sa volonté politique de résoudre la crise et qu’il prenne des initiatives sur le terrain militaire. Nous devons vous avouer que nous n’avons pas l’impression d’avoir été entendus dans la mesure où même nos demandes d’audiences sont refusées.
Face à l’immobilisme du gouvernement de Transition, les populations se sentant abandonnées s’organisent. C’est ainsi que les jeunes des villes occupées ont monté des brigades de surveillance. Ce sont ces mêmes jeunes qui résistent devant la fréquence des humiliations et des exactions. Il y a également des dizaines de jeunes volontaires qui n’attendent qu’un peu de soutien pour aller libérer leurs terres.
C’est pour cette raison que, face à l’inaction du gouvernement malien, le Collectif des ressortissants du Nord demande solennellement à la CEDEAO d’intervenir militairement pour libérer les régions occupées. Le Collectif des ressortissants du Nord (COREN) demande avec insistance au gouvernement Malien de faire parvenir sa lettre de requête à la CEDEAO et à l’ONU sans délai pour nous venir en aide.
Nous convenons que la crise au Nord a été rendue complexe par l’effondrement institutionnel du pouvoir central à Bamako. Le gouvernement de Transition mis en place grâce à la médiation de la CEDEAO souffre d’un manque de légitimité et d’un déficit de crédibilité relevés tant par les Maliens que par les amis du Mali qui travaillent inlassablement à une sortie de crise. Pour cette raison, nous pensons, que le Mali a besoin aujourd’hui d’un gouvernement d’union nationale regroupant toutes les sensibilités. C’est la seule façon de redonner aux autorités civiles les moyens de décider sans peur, de rétablir la sécurité, de restructurer l’appareil militaire et de relancer l’activité économique.
Mais, avant la formation de ce gouvernement, il faudrait élaborer une feuille de route claire assortie d’un chronogramme de réalisation et des moyens à mobiliser. Les objectifs sont connus: recouvrer l’intégrité territoriale et organiser des élections transparentes et crédibles.