Dans cette interview, l’ancien Président de l’Assemblée nationale, le Pr Aly Nouhoum Diallo, se prononce sur les prochaines élections législatives. A ce sujet, il laisse entrevoir une possibilité de cohabitation au niveau de l’Exécutif. Il explique aussi les missions du député et les confusions entre celles-ci et celles des maires et des ministres.
22 Septembre: Pr Aly Nouhoum Diallo, vous êtes ancien Vice-président de l’Assemblée nationale. Pouvez-vous nous rappeler les missions d’un député, car beaucoup ont tendance à confondre les missions du député et celles d’un maire ou d’un ministre?
Pr Aly Nouhoum Diallo: Beaucoup confondent en réalité le travail du député, le travail communal et le travail ministériel. Beaucoup confondent les choses. Mais, en plus, bien sûr, de la mission de voter les lois, de contrôler l’action gouvernementale, les parlementaires sont chargés aussi de sauvegarder la cohésion sociale.
J’avais l’habitude de dire que l’Assemblée nationale est la grande aiguille qui recoud les déchirures sociales, les déchirures internes de la société malienne. Les parlementaires ont été amenés à s’investir à l’extérieur également pour pouvoir démonter le lobby pro-rébellion de l’Adrar des Ifoghas.
Je comprends d’où vient la confusion, les députés, dans leurs interventions des débats parlementaires, souvent on les entend interpeller par exemple, le ministre de l’équipement en ces termes: à quand la route reliant Bamako et Bankass? A quand la finition de la route Douentza – Koro? A quand le début ou la fin de la construction de la route de l’Espoir, liant Douentza à Tombouctou?
D’où la population est portée à penser que le rôle des députés est d’aller défendre les désidératas de leurs électeurs. Alors que leur mission première est d’élaborer des lois qui prennent en compte les intérêts de l’ensemble du peuple malien. Et, quelquefois, si les intérêts de l’immense majorité entrent en conflit avec ceux de la circonscription du député, celui-ci devrait normalement voter la loi, quitte à expliquer à ses électeurs pourquoi il l’a votée.
C’est pourquoi on dit que tout mandat impératif est nul?
Vous avez parfaitement raison. C’est que le législateur, le constitutionnaliste, savait que le député a deux pressions, politique et sociale, qui s’exercent sur lui, pour l’empêcher d’être le représentant de toute la Nation. D’abord, le parti politique qui l’a mis sur sa liste aura tendance à lui donner des consignes de vote, qu’en militant discipliné, il devrait respecter. Ensuite, la circonscription dans laquelle il a été élu aura, elle aussi, tendance à lui dire, on ne t’entend jamais à l’Assemblée nationale en train de nous défendre. C’est sachant que ces deux types de pressions sont inéluctables, quand le député, représentant de la Nation, est en plénière, que le législateur a dit que tout mandat impératif était nul. J’avais coutume de dire à l’Assemblée nationale, je vous le répète, que tout mandat impératif est nul, mais je sais que, pour beaucoup d’entre vous, tout mandat qui n’est pas impératif est nul. Pourquoi ? Parce que la population aussi attend au tournant, ceux-là pour qui ils ont voté et qu’ils n’ont jamais entendu défendre les citoyens de la circonscription mais surtout qui voit finir le mandat du député, sans que certaines aspirations immédiates n’aient été assouvies.
Vous venez de dire qu’en plénière, le mandat impératif est nul. Est-ce à dire qu’en commission il est accepté?
En commission, bien que Président de l’Assemblée nationale, j’allais souvent dans les commissions. Surtout dans la commission de l’éducation, là-bas, ce n’est pas tellement le mandat impératif de défense de sa circonscription qu’on entend souvent, ni le mandat impératif du député qui dit que moi je suis de telle formation politique, par rapport à cette loi, elle m’a donné cette consigne, donc il faut que je l’exécute. Là, c’est peut être même un chauvinisme qui peut se manifester dans une commission, à savoir : je voudrais un lycée chez moi, je veux une réalisation chez moi. Donc, si le ministre de l’éducation vient pour la défense de sa loi, la tentation pourrait être grande pour le député de dire Monsieur le ministre, vous savez, les enfants de Koro viennent étudier jusqu’à Sévaré. Quels logeurs auront-ils ? Les internats ayant été supprimés. Donc, Monsieur le ministre, il faudrait un lycée à Koro ou il faudrait un lycée à Douentza, un lycée à Badiangara. Il faut un lycée à Bafoulabé au lieu qu’ils aillent jusqu’à Kayes. Donc, voilà comment les députés sont souvent confrontés à cette disposition constitutionnelle, «tout mandat impératif est nul ». Et comment aussi la confusion s’instaure entre les missions des députés, celles des conseillers municipaux, des conseillers de cercle et régionaux. Et c’est compréhensif d’ailleurs, tous se font élire, qu’à même, pour satisfaire les besoins et les demandes sociales. Ils se font élire essentiellement pour cela. Je dis que nous sommes un pays où il y a une tradition de lutte démocratique mais où il n’y a pas une tradition de vie démocratique. Je crois que c’est depuis la pénétration coloniale et probablement bien avant, il y avait des luttes pour que ce ne soit pas seulement quelques notables qui se réunissent dans le «blo » pour prendre des décisions au nom du village, de la région ou du terroir. Il y a des luttes depuis longtemps pour que ce cercle là puisse s’élargir à ceux qui viennent autour du chef de village, du chef de Canton. C’est pour cela que je dis qu’il y a une tradition de lutte démocratique. Mais la vie quotidienne de notre société n’est pas une vie démocratique.
Est-ce à dire que notre démocratie a échoué ?
C’est un penchant que je n’ai pas. C’est tout un processus qui avance. Je ne me suis jamais associé à ceux-là qui disent que notre démocratie était de façade, notre démocratie a échoué. Je me situe dans la lutte quotidienne pour que ça avance et incontestablement, il y a des avancées.
La législature qui s’achève a-t-elle pleinement joué son rôle?
Oui et non. Quand j’entends, au nom du PARENA, Konimba Sidibé exiger que les produits des ventes de nos sociétés soient versés au trésor public et non devenir un patrimoine d’un Président, si généreux soit-il, rigoureux soit-il, si honnête soit-il, ce n’est pas dans le coffre-fort du Président de la République que doivent être domiciliés des fonds obtenus de la vente de nos sociétés. Quand j’entends des députés défendre cette vérité constitutionnelle, légale, je me dis qu’ils sont en train de jouer leur rôle. Certes, on dirait que c’est un député PARENA mais en réalité, c’est tout le Parlement, il est représentant de la nation. Et j’ai entendu d’autres députés se lever, lors de la réforme constitutionnelle, une Constitution inique, qui me paraissait consacrer l’autocratie, voulue par ATT. Des députés se sont levés, de très belles voies, des voies fortes du PARENA, de l’ADEMA, du RPM et mêmes certaines voix de l’URD pour s’opposer à ce texte. Donc, les députés, je les ai vus quelques fois réellement aller à l’assaut de l’exécutif pour améliorer les projets de lois qui venaient à l’Assemblée. Oui aussi, lorsque le pays, en voie d’invasion, a vu aussi toute possibilité d’empêcher cette situation, avec le coup d’Etat du 22 mars 2012, qui a complètement désorganisé les forces armées et de sécurité. J’ai vu en ce moment là les représentants de la nation, dès le 24 du même mois s’organiser, aller à la Bourse du travail, parce que l’Assemblée nationale était interdite aux élus par ces Yèrèwolo Ton, etc… J’ai vu également la représentation de la nation défendre courageusement la République, la démocratie. Donc oui et non. Quand je vois aussi, après de longs débats, voter à l’unanimité le code de la famille, première version, et voir celle-ci modifiée sous la pression des islamistes et je vois aussi cette deuxième mouture votée à l’unanimité. Je suis donc en droit de m’interroger et de dire là, ils n’ont pas tout à fait bien jouer leur rôle, qui était de voir, quel code de la famille est possible aujourd’hui au Mali? Quel code de la famille serait un progrès par rapport à la réforme de 1962 de l’Union soudanaise RDA ? Qu’est ce qui est possible dans le contexte actuel? De mon point de vue, en tant qu’en ancien Président de l’Assemblée nationale, ils auraient du faire ce que nous avions fait au moment où nous avons voté la loi portant sur la décentralisation. Nous avons obligé les députés à retourner dans leurs localités pour expliquer à toutes les populations le bien fondé de la décentralisation. Le projet est resté peut être deux ans avant son adoption. Les députés en fin de mandat n’ont pas eu probablement la force de dire au Président de la République ATT que cette loi ne peut être votée à la hâte. Ce sont des enjeux sociétaux qui sont en cause. Donc, on ne peut pas blaguer avec un projet de loi aussi important que le code de la famille. La consultation populaire jusque dans les hameaux, dans les fractions et dans les villages, c’est cela qui a manqué à mon sens. Et la consultation aussi des églises, des mosquées, des lieux de cultes, nous sommes un pays laïc, il eut fallu consulter tout ceux-ci. Et c’est après maintenant qu’on aurait vu quels sont les intérêts de la nation, du peuple malien aujourd’hui et qu’est ce qui est sociologiquement acceptable. Je crois que c’est cela qui a véritablement manqué. A mon avis, l’Assemblée nationale, qui est en train de finir sa mission, a joué son grand rôle, avec certainement des faiblesses.
Bientôt on aura une nouvelle Assemblée nationale, si vous avez un conseil à donner aux députés. Que direz-vous ?
D’abord, disons que je suis inquiet à l’idée que nul ne peut prédire quelle sera la couleur de cette Assemblée. Deux, nul ne peut dire aussi si finalement, Ibrahim Boubacar Kéita, Président de la République, aura une vaste majorité qui lui permettra de gouverner. Trois, à contrario, nul ne peut dire aussi que nous n’allons pas assister à une cohabitation.
Sur quoi vous vous basez pour parler de cohabitation, étant donné que la plupart des formations politiques sont avec le Président IBK ?
Pourquoi? Parce que tous ces hommes là semblent n’avoir pour objectif, pour le moment, que d’arriver à l’Assemblée nationale, sans programmes, sans projets de société et parfois même, quand je regarde chaque soir les prestations, je me demande même si la qualité des hommes a été mesurée. Je sais que la plupart des états-majors politiques ont dit, nous laissons les bases libres de confectionner leurs listes. Je ne pense pas qu’il y ait eu, à quelques exceptions près, une instruction des directions des partis aux sections. Le seul qu’on ait connu, c’est le cas de Ténenkou. Où effectivement il semble que le Président du parti, chef de l’Etat aujourd’hui et sa première Vice-présidente, ont dit c’est telle liste qui est vraiment celle du RPM. Et la Cour constitutionnelle a suivi le parti. C’est le seul cas dont on soit informé, peut être qu’il y en a eu d’autres. Donc, qu’est-ce que ces députés ont dans la tête, dans le vendre en arrivant à l’Assemblée nationale, je n’en sais rien. C’est pour cela que je parle d’une possible cohabitation. Nul ne sait aujourd’hui quelle sera la couleur de l’Assemblée nationale. Et comme il faut plus être porté à boire le verre à moitié plein que le verre à moitié vide et qu’il faut être optimiste dans la vie, j’espère simplement qu’arriver à l’Hémicycle, les réalités, du pays menacé de partition, feront que les nouveaux élus prendront conscience des défis qui s’imposent au Mali.