La justice malienne se trouve en ébullition. Non pas à cause des projets de mutations en cours d’adoption, mais parce que le conseil supérieur de la magistrature est saisi des sanctions éventuelles à prendre contre deux magistrats de Bamako:
Le juge d’instruction de la commune 2, Abdoulaye Kamaté, et le vice-président du tribunal du travail, Youssouf Touré.
Le dossier Kamaté
L’affaire « Kamaté » débute quand un certain Diané décide de vendre une parcelle de terrain sise à Sotuba à un commerçant du nom de Mohammed Fofana.
Le vendeur et l’acheteur conviennent du prix (10 millions de FCFA) et des modalités de paiement. Leurs signatures sont certifiées par le notaire Demba Koné. Le notaire certifie aussi les reçus délivrés, au fil des paiements, par le vendeur Diané à l’acheteur Fofana.
Au moment où les paiements sont achevés, le vendeur regrette d’avoir vendu son bien. Il attaque la vente devant le tribunal de la commune 1 de Bamako. Il prétend que la vente doit être annulée; que les 10 millions perçus n’étaient qu’une avance et qu’en réalité, les parties avaient convenu de fixer le prix véritable après le paiement des 10 millions. Le tribunal rejette la demande comme mal fondée. Le jugement est confirmé en appel.
Désespérant de récupérer la parcelle par la voie civile, le vendeur Diané décide de changer le fusil d’épaule : il dépose plainte, pour faux et usage de faux, contre l’acheteur.
Dans sa plainte, il accuse le notaire et l’acheteur d’avoir fabriqué de fausses pièces pour lui enlever son terrain. Le juge d’instruction saisi du dossier, Abdoulaye Kamaté, convoque le notaire Demba Koné. Il lui annonce son intention de le placer sous mandat de dépôt en attendant la suite des enquêtes. Le notaire, interloqué, ne sait que répondre. Et c’est là que le diable s’introduit dans l’affaire.
En effet, libéré par le juge et poursuivi non détenu, le notaire se rend à son cabinet.
Il reconstitue tout le dossier de vente de la parcelle de Sotuba et, de sa plus belle plume, écrit à la chambre des notaires, au procureur général de Bamako et au ministre de la Justice. Il accuse le juge Kamaté de lui avoir extorqué la somme de 3 millions de FCFA moyennant son maintien en liberté dans le cadre d’une affaire où il s’estime innocent. Selon le notaire, le juge lui a pris un chèque de 3 millions puis, craignant de se faire pincer en allant encaisser lui-même le chèque, a fait encaisser ledit chèque par l’avocat du notaire qui lui a reversé l’argent en liquide.
La bombe éclate.
Entendu par le procureur général Daniel Tessougué, l’avocat du notaire avoue les faits. Une double procédure (pénale et disciplinaire) est lancée contre le juge Kamaté. Elle aboutira à une décision lors du conseil supérieur de la magistrature qui se réunira à bref délai. Le conseil aura à sa disposition la copie du chèque, l’encaissement fait par l’avocat et les dépositions accablantes contre le juge. Le sort de ce dernier est aggravé par le fait que Mohamed Fofana, l’acheteur de la parcelle, a lui aussi déposé plainte contre lui.
L’affaire Youssouf Touré
Le deuxième magistrat dans le collimateur de la justice se nomme Youssouf Touré. Vice-président du tribunal du travail de Bamako, il a, il y a six mois, vu compartaître un jeune avocat du cabinet de Me Mountaga Tall. L’avocat ayant demandé le renvoi d’une affaire, le juge refuse la demande. L’avocat montre un mauvais visage, étonné que le tribunal lui refuse, contre les usages, une première demande de renvoi. Le juge s’énerve. Il suspend l’audience, bondit hors de la salle d’audience puis, trouvant l’avocat dans un couloir, lui donne publiquement un puissant coup de tête. L’avocat est inondé de sang, nez et lèvres fendus. Couvert de sang, il se rend chez le bâtonnier puis au bureau du ministre de la Justice, à l’époque Malick Coulibaly. Il prend même des photos de son visage ensanglanté. Le bâtonnier porte plainte contre le magistrat violent qui aura à répondre à la fois sur le plan disciplinaire et pénal.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux affaires constituent des tests de la volonté des nouveaux pouvoirs publics d’assainir la justice. Les sanctions disciplinaires éventuelles pourraient aller jusqu’à la radiation et les sanctions pénales à de lourdes peines de prison.