Le Mali, notre pays, est en train de traverser une crise politico-militaire que beaucoup de personnes qualifient de «sans précédent» de toute son histoire. Elle a commencé par fragiliser l’Etat et a failli conduire à la partition et à l’islamisation radicale de l’héritage national. Au plan économique, elle a favorisé la faillite de nombreuses entreprises, avec son lot de mise en chômage technique et de licenciements du personnel, constitué essentiellement de jeunes. Ceci a eu pour conséquence néfaste d’amplifier, au demeurant, le taux de chômage, voire de sous-emploi exacerbé des jeunes. Toute chose qui complique davantage la situation déjà non reluisante des jeunes diplômés, non diplômés, déscolarisés ou faiblement scolarisés à la recherche d’emplois.
La résolution de cette crise extrêmement politique a démarré d’abord avec l’installation à la tête de l’Etat de nouvelles autorités issues des joutes électorales les mieux organisées dans toute l’histoire du Mali et ensuite, par la relance de l’économie à travers la reprise des différents programmes de coopération d’alors soutenus par les partenaires techniques et financiers. Mais, au-delà de cette embellie à tous points de vue salutaire, force est cependant de reconnaître que la situation de l’emploi demeure encore une préoccupation majeure, d’autant que la donne a désormais changé avec la fin de cette crise. Autrement dit, c’est comme «si le monstre avait changé de tête et de forme».
Dès lors, les instruments de promotion d’emplois initialement en vigueur jusque-là, passent pour être désuets au regard de la situation actuelle qui prévaut à la sortie de cette crise. En d’autres termes, le profil des jeunes diplômés en quête d’emplois s’est diversifié avec l’intégration dans son champs, d’autres jeunes qui ont eu soit à travailler dans les entreprises et y ont acquis par la même occasion de l’expérience, soit des jeunes qui se sont retrouvés de loin ou de près mêlés aux activités jihado-terroristes et qui se retrouvent à l’heure actuelle sans emploi, à cause de la faillite des entreprises qui les employaient ou simplement de la fin de la guerre. Or, les instruments de promotion d’emplois, de façon générale, ne visent à juguler que la question d’inexpérience et surtout celle d’inadéquation emploi/formation, autrefois, causes principales du sous-emploi ou du chômage. Alors que, et au regard des axes de promotion de l’emploi, il n’existe malheureusement pas de dispositif de réinsertion de ces nouveaux profils tels qu’indiqués ci-dessus.
C’est pourquoi, le Programme Emploi-jeune, deuxième génération, élaboré en 2011, ne prend plus en compte les vraies préoccupations du moment. Pour preuve, la stratégie de création des 200 000 emplois promis par les nouvelles autorités et surtout la question cruciale de la réinsertion des déplacés mais également des réfugiés, ne se retrouvent dans aucune de ses composantes, pourtant au nombre de trois que sont : le renforcement de l’employabilité des jeunes à travers les stages de qualification dans les secteurs public et privé, l’apprentissage et la promotion des techniques HIMO ; le développement de l’esprit d’entreprise chez les jeunes ; et le renforcement du dispositif de financement des projets des jeunes. Mais, notons à juste titre, que cet état de fait se comprend aisément, d’autant que la crise est postérieure à son entrée en vigueur.
Face à une telle problématique, des propositions ci-dessous sont faites pour permettre de mieux prendre en compte la question de l’emploi au sortir de cette crise majeure. Elles ne viennent non pas pour supplanter ce qui se fait, mais plutôt pour améliorer et renforcer, autant que faire se peut, le dispositif déjà existant. Ainsi, pour atteindre cet objectif, il faudrait :
Organiser les concertations régionales sur l’emploi en vue de dégager les niches d’emplois de chaque région et mettre l’accent sur la question de réinsertion des réfugiés et des déplacés dans les régions du Nord, en lien avec la décentralisation pour donner tout le sens aux emplois de proximité ;
Faire faire un avenant au Programme Emploi-jeune, sur la base des conclusions des concertations régionales sur l’emploi, en vue de l’adapter aux situations réelles et aux vraies préoccupations du moment ;
Diversifier des sources de financement des différentes initiatives de promotion de l’emploi, en accordant une place de choix aux Partenaires Techniques et Financiers (PTF) pour assurer une meilleure prise en charge des nombreuses sollicitations des jeunes ;
Obliger les banques de solidarité à revenir à leur objet social initial, c’est-à-dire le financement des projets des jeunes pour permettre un meilleur accompagnement des jeunes entrepreneurs et créer, au besoin, un fonds de garantie spécialement dédié à cet effet et surtout, encourager le concept de «business angels». Cette mesure aura pour impact d’améliorer considérablement le taux d’accès des jeunes entrepreneurs au crédit actuellement très bas ;
Faire converger toutes les initiatives de création d’emplois vers la structure étatique reconnue pour ce faire, en vue de donner corps à la question de transversalité de l’emploi afin que celle-ci puisse prendre en compte l’ensemble des préoccupations de tous les jeunes du Mali;
Mettre en place un dispositif financier permettant l’accompagnement des jeunes travailleurs ayant perdu leur emploi pendant une certaine période, en vue de limiter le taux d’immigration, voire la fuite des cerveaux à l’image de ce qui se passe en France;
Revoir certaines dispositions du Code du travail, notamment l’article traitant des conditions de mise en chômage technique, qui ne prévoit aucun accompagnement financier aux travailleurs concernés par la mesure ;
Traduire le Code du travail dans toutes les langues vernaculaires pour mettre aussi bien les employeurs et les employés sur le même pied de compréhension de ces textes, en vue d’éviter certains abus de droit ou de pouvoir qui ont libre cours souvent dans notre pays. Cette mesure concerne plus les employés de maison (servantes, gardiens…) que beaucoup considèrent à tort comme des «sans statut juridique», alors qu’ils sont bel et bien régis par le Code du Travail ;
Amplifier la communication autour des initiatives créatrices d’emplois pour rassurer «la population jeune qui se croit laisser pour compte» avec à l’appui un bon dispositif de suivi/évaluation pour commencer à décompter les 200 000 emplois, tels que promis à la jeunesse malienne par les nouvelles autorités;
Rendre obligatoire dans la pratique la parution dans la presse ou par voie d’affichage toutes les vacances de poste en vue de donner tout son sens au principe de «l’égalité d’accès à l’emploi».
Cheick O. SOUMANO, Spécialiste Emploi-jeune