Les législatives ne laissent transparaître pratiquement aucune certitude. Par contre, les attentes vis-à-vis du Parlement sont claires
Le renouveau aura bien du mérite s’il parvenait à forcer la porte de certains usages politiques, notamment ceux qui se sont installés à demeure dans le fonctionnement du Parlement. Les différents présidents qui se sont succédé à la tête de l’Assemblée nationale pourraient abondamment témoigner sur un combat qu’ils ont livré sans illusions et qu’ils ont perdu sans rémission. Ils n’ont jamais pu, en effet, contrer l’exécution du mandat impératif en tant qu’habitude partagée par nombre de députés. La tradition ancrée par plus de vingt ans de pratique assidue donne lieu à des interpellations parfois ubuesques du gouvernement sur des problèmes locaux qu’une simple entrevue avec le ministre du domaine aurait certainement résolus. Elle alimente, lors de la Déclaration de politique générale du Premier ministre, une infinité d’interrogations qui sont autant de sollicitations pour la prise en charge de préoccupations du terroir. Elle fait irruption dans la présentation des textes par le gouvernement, présentation qui constitue, elle aussi, une opportunité d’arracher à l’Exécutif des engagements en faveur des populations locales.
La pratique du mandat impératif fait donc partie de ces réalités maliennes officiellement bannies, mais que les institutions se sont résignées à accepter pour la simple raison qu’elles sont impuissantes à les éradiquer. Le phénomène a d’autant plus de chances de perdurer dans le futur Parlement que notre pays sort d’une crise qui a laissé les populations littéralement éreintées et de nombreuses collectivités confrontées à un effort de reconstruction dont l’ampleur surpasse nettement les ressources locales. Cette conjoncture ne laisse aux élus qui s’installeront à l’Hémicycle d’autre choix que celui de se transformer en démarcheurs inlassables pour un traitement satisfaisant des dossiers locaux. Cette obligation est en outre rendue quasiment incontournable par le fait que le Parlement malien étant monocaméral et le Haut conseil des collectivités étant confiné dans une fonction consultative, des députés se voient, bon gré mal gré, placés en première ligne comme les premières sentinelles et les premiers avocats de leurs circonscriptions.
La perpétuation de cette tradition peu orthodoxe au regard des pratiques parlementaires classiques, mais insubmersible si on prend en compte les réalités nationales représente sans aucun doute la seule certitude qu’il est possible de formuler à propos de la future Assemblée nationale. Le reste représente un vrai saut dans l’inconnu, et plus particulièrement en ce qui concerne trois questions importantes. La première coule de source : le RPM parviendra t-il à devenir le premier parti du pays ? Les Tisserands, on le sait, partent de loin. Dans la législature qui s’achève, ils comptent 11 élus contre 51 pour le PASJ et 34 pour l’URD. Dans son entreprise de reconquête, le Rassemblement mise en toute logique sur ce qu’on pourrait désigner comme l’effet IBK. Dans un régime semi-présidentiel comme le nôtre et lorsque les législatives se situent après l’élection du chef de l’Etat, le cas de figure le plus fréquemment rencontré est que les résultats profitent largement aux forces politiques qui accompagnent le nouveau président. Le réflexe légitimiste joue habituellement au maximum, surtout lorsque le président de la République a été aussi confortablement élu que le fût Ibrahim B. Keita.
UNE AMBITION PERSONNELLE CONTRARIÉE. Mais il conviendrait de préciser que l’effet IBK ne relève pas de l’automaticité. Pour s’exercer, il a besoin de s’appuyer sur la promotion de personnalités elles-mêmes rassembleuses. En effet, dans l’atmosphère actuelle où les simples citoyens ne sont pas avares en remises en cause diverses, les qualités humaines des candidats et, pour dire simplement les choses, leur bonne réputation représentent des arguments aussi décisifs que l’étiquette elle-même. La nécessité du juste choix aura donc constitué le principal challenge des Tisserands qui ont eu à procéder à des arbitrages souvent difficiles et, bien sûr, contestés.
Deuxième question qu’il est intéressant de se poser à quelques jours du premier tour : quel niveau de tolérance vont montrer les électeurs par rapport aux alliances qui ont dans certaines circonscriptions pris l’allure de véritables transgressions ? Forts de vingt ans d’observation de la pratique partisane, nos compatriotes croyaient avoir vu passer toutes les formes possibles de nomadisme politique. Mais ils n’avaient jamais encore expérimenté des mouvements d’une telle ampleur et d’une telle variété. La crainte de se retrouver dans une opposition faible ou marginalisée, le refus d’accompagner son parti d’origine dans le déclin de celui-ci, l’inanité de poursuivre le combat politique dans une formation devenue une coquille vide, la précipitation à faire aboutir une ambition personnelle jusque là contrariée, les motivations n’ont pas manqué à des figures locales connues pour abandonner leur port d’attache et se hisser sur ce qu’elles espèrent être le char des vainqueurs. La plupart des migrants proclament leur conviction d’avoir été compris par leur électorat et écartent donc toute éventualité de vote sanction ou de défection. En réalité, personne ne peut prévoir avec exactitude la réaction de populations à court d’indulgence à l’égard de ce qu’elles considèrent comme des manœuvres politiciennes. Là encore, certains « nomadisants » pourraient être préservés grâce à leur bonne assise sociale, mais constitueront-ils la majorité ?
Troisième question qui est partiellement liés à la précédente : à quel taux de participation faut-il s’attendre ? A considérer froidement l’atmosphère qui prévaut aujourd’hui, l’affluence s’annonce sensiblement moindre que celle de la présidentielle. A cela plusieurs raisons. La première et la plus importante d’entre elles est que la parenthèse enchantée s’est refermée et le retour au quotidien s’est confirmé. L’élection présidentielle de juillet et août dernier représentait à tous égards un moment exceptionnel dans l’Histoire de notre pays : comme nous émergions à peine d’une crise d’une gravité pour nous inimaginable, les citoyens ont voulu administrer la preuve que la nation conservait la volonté de vivre à nouveau debout et ont plébiscité l’homme qui incarnait pour eux l’espoir du redressement.
LE FANTÔME DU TAUX DE PARTICIPATION. Cette motivation rare ne se retrouvera certainement pas dans le renouvellement du Parlement, épisode certes symbolique, mais peu flamboyant dans le processus du rétablissement de la normalité républicaine. Le deuxième handicap à une forte mobilisation des électeurs est lié à l’évolution de l’image de l’élu. Alors que dans les années 1960 les grandes figures politiques et les notabilités locales se retrouvaient au Parlement et faisaient de celui-ci une enceinte particulièrement prestigieuse, le député est devenu aujourd’hui un personnage hybride pour la désignation duquel les foules ont de la peine à s’enthousiasmer : il n’est pas décisionnaire au niveau national, prérogative réservée au président de la République et il n’est pas toujours décisif au niveau local comme est obligé de l’être le maire. Cette distance entre les députés et une bonne partie de la population s’accentue encore dans les grandes circonscription où le candidat n’est connu sur d’une fraction de l’électorat.
Le troisième handicap relève de l’évidence, la « sur-offre » au niveau des candidatures donne le vertige. 1141 candidats (et 410 listes de candidatures) vont se disputer les 147 sièges mis en jeu. A certains petits et moyens partis existant avant les évènements de mars 2012 se sont ajoutées les formations écloses lors de la Transition et les listes indépendantes issues de la floraisons des associations nées à la même période. Il y a plusieurs mois, le rajeunissement du personnel politique était présenté comme une tendance acquise et qui se concrétiserait lors du retour à la vie constitutionnelle. Toute une catégorie d’acteurs émergents s’estime donc suffisamment légitime pour se proposer comme relève. Les candidats qui se sont testés à la présidentielle ont obtenu des scores plutôt modestes, mais leur échec n’a produit aucun effet dissuasif sur les projets de la nouvelle vague.
Cependant l’engorgement créé en partie par les nouveaux venus (l’on trouve par exemple 25 listes concurrentes en Commune I) défavorise objectivement ces derniers. Ajouté au caractère déconcertant de certaines listes, il rend les enjeux moins clairs et les différences moins évidentes aux yeux de l’électeur moyen et n’encourage donc pas celui-ci à se déplacer. Cette propension à l’abstention, renforcée par la banalité de nombreux messages électoraux et l’inexpérience manifeste affichée par un grand nombre de listes, fait ressurgir le fantôme du taux de participation squelettique. Malgré les dispositions prises par les organisateurs pour réintégrer les personnes déplacées et réfugiées. Malgré l’opération spéciale de transferts qui a réinstauré le confort de vote pour ceux qui s’y sont inscrits. Malgré que dans certaines circonscriptions (comme en Commune III ou à Ségou), la notoriété des concurrents, l’importance évidente de l’enjeu et la dramatisation des affrontements pourraient amener une très forte participation.
En dépit des interrogations qui les entourent et quel que soit leur déroulement sur le plan de la participation, il faudra prendre les législatives pour ce qu’elles sont, une étape importante dans le retour à la normale républicaine. Le plus important pour les futurs élus sera certainement de ne pas négliger de tirer toutes les leçons de ces dernières années qui ont vu le Parlement assez anecdotique dans le suivi de l’action gouvernementale et surtout moins rigoureux dans son rôle de vigie des préoccupations sociales. C’est dans cette deuxième fonction que l’Assemblée nationale sera particulièrement observée dans les toutes prochaines années. Dans leurs messages de campagne, presque tous les candidats ont implicitement accepté cette mise en observation. En se doutant bien que l’indulgence sera certainement la vertu moins pratiquée par les simples citoyens.