Bien qu’il soit un évènement très important pour l’avenir de la démocratie au Mali, le lancement officiel de la campagne pour les législatives, le dimanche 3 novembre 2013, est passé presque inaperçu, éclipsé par un autre fait majeur qui venait de s’achever la veille : les «Assises nationales sur le Nord».
Que peut-on attendre de la nouvelle Assemblée nationale qui sera issue des présentes législatives ? Quelle sera sa configuration ? Allons-nous enfin avoir une Assemblée qui ne sera pas une boîte de résonnance de l’Exécutif ? Ce sont là quelques unes des questions que tout citoyen malien, soucieux de l’avenir démocratique du pays pourrait se poser.
L’examen de la liste définitive des candidatures à ces élections législatives de 2013 laisse perplexe tout observateur de la scène politique malienne. En effet, on aura beau chercher des clivages entre les différents partis, on n’en trouverait aucun à en juger par les diverses alliances scellées çà et là. Cet examen conduit à plusieurs observations dont trois ont particulièrement retenu notre attention :
Aucun parti ne possède un bastion électoral
Premièrement : avec cette myriade de partis lilliputiens que comptent notre pays, dont le nombre de la population est estimé à plus de 15 millions d’habitants, il est impossible pour la plupart d’entre eux de prétendre pouvoir s’imposer seul dans une circonscription. Ce qui a conduit d’une part à des alliances souvent contre-nature dans la plupart des circonscriptions et d’autre part à la multiplication des listes en concurrence dans toutes les circonscriptions. Rares sont les circonscriptions qui comptent moins de 4 listes en compétition. Même les partis dits grands n’ont pas résisté à cette fièvre «alliancinite ». Ainsi, l’Adema-Pasj, un parti que l’on pourrait qualifier de national, se retrouve en alliance dans 41 circonscriptions sur 46 circonscriptions où il y a possibilité d’alliance, c’est-à-dire les circonscriptions qui ont droit à 2 élus et plus. Etant donné que le Pasj est présent dans 49 circonscriptions (sur les 56 possibles), son taux de présence en alliance est d’environ 84%. Nous ne doutons pas retrouver les mêmes proportions pour les autres partis. Une preuve qu’aucun parti ne possède «un bastion électoral».
La démocratie peut-elle reprendre racine au Mali ?
Deuxièmement : l’analyse de ces alliances opérées par les partis indique qu’il n’y a aucune logique idéologique dans le choix des alliés. Il varie d’une circonscription à l’autre. Deux partis peuvent être alliés dans une circonscription et opposés ailleurs et cela se fait sous la bénédiction des états-majors des formations politiques. A en croire qu’au Mali, il n’existe qu’un seul parti politique : le parti de la jouissance des délices du pouvoir (P.J.D.P). Dans sa définition 1 du parti, on relève dans «Le Petit Larousse» illustré : «Association de personnes constituée en vue d’une action politique». Le même dictionnaire donne en 2ème définition du parti : « Ensemble de personnes ayant des opinions, des aspirations, des affinités communes». Nous observons que la définition 1 est la définition standard. En effet, une action politique suppose une certaine vision de société que l’on voudrait pour son peuple. Une vision claire de sa gouvernance, de son organisation sociale et économique. Le parti n’est qu’un outil parmi tant d’autres utilisés pour atteindre des objectifs clairs et précis que l’on s’est fixés.
Dans ce cas, on ne pourrait, du moins on ne devrait pas se mettre en «concubinage politique» avec n’importe qui. Les politiques maliens diraient certainement que les alliances sont tactiques, mais certaines «tactiques» ne conduisent-elles pas à la compromission ? Quant à la définition 2, elle nous amène à penser plutôt à des loges maçonniques, aux réseaux de malfrats, à la mafia, etc. Tout laisse croire qu’au Mali, c’est cette dernière définition qui colle mieux à la plupart de nos partis politiques et à leurs supposés militants.
En effet, la facilité déconcertante avec laquelle les «militants» changent de partis n’est-elle pas révélatrice de l’absence d’une idéologie et d’une ligne directrice claires au sein des organisations politiques ? Quid des dernières ruées en direction du Rassemblement pour le Mali (R.P.M) du président Ibrahim Boubacar Keïta, soit pour y adhérer soit pour une alliance ? Ne sont-elles pas le signe symptomatique d’une classe politique versatile et inconstante, n’ayant aucune conviction, aucune boussole idéologique sinon que l’appât du gain? Il est dommage et déconcertant de constater que la quasi totalité de nos formations politiques manquent d’idéologie et aussi d’hommes et de leaders de conviction. Et à ce rythme, il est à craindre que la démocratie reprenne racine de sitôt dans notre pays malgré les espoirs suscités par l’élection présidentielle de juillet/août 2013
Faut-il s’attendre à la présence de «barbus» à l’Hémicycle ?
Troisièmement : l’absence d’idéologie à laquelle nous faisions allusion est étayée par les communications qui passent sur les chaînes nationales dans le cadre des temps d’antennes radios ou télés accordés aux différents candidats des partis ou alliances de partis. Nous assistons en ce moment à des campagnes insipides, à la limite abrutissantes pour les auditeurs et téléspectateurs. Bien malin et perspicace qui pourrait dire de ce qu’il a retenu du message d’un postulant à la députation après sa communication.
Cependant, dans ce conglomérat de messages insipides et incohérents, il y a toutefois une exception : il s’agit des «barbus» ou supposés parrainés par ceux-ci. La plupart du temps, ils sont sur des listes d’indépendants. Ils ont un message clair et communiquent le plus souvent en langues nationales. Ils proclament nettement que s’ils sont élus, ils agiront de façon à ce que nos lois reflètent nos us et coutumes, nos traditions, entendez par là, la charia. Leurs messages passent et nous ne serons guère surpris que dans les semaines à venir, à l’issue de ces consultations législatives, que «des barbus» ou leurs protégés fassent leur apparition dans l’Hémicycle. Face à une classe politique laïque, versatile et légère, il faudrait s’attendre dans les futures élections à des «barbus» affichant de plus en plus et de façon ostentatoire leur programme de gestion du pays par la charia et sollicitant les suffrages des Maliens sur la base de ce programme.
Quelles priorités pour le nouveau pouvoir ?
Quelle conclusion tirer de cette analyse ? N’avez-vous pas là, les réponses aux interrogations que nous nous posions au départ ? Mais que si ! Malgré tout, nous émettrons des vœux : puissent le bon sens, le patriotisme, l’esprit républicain et démocratique inspirer les membres de l’Assemblée nationale issue de ces consultations du 24 novembre et 15 décembre 2013, ceux du nouveau gouvernement qui sera installé à la suite des législatives et le Président Ibrahim Boubacar Keïta lui-même, afin de :
- relire les textes qui régissent les institutions ;
- réduire le nombre de partis politiques ;
- encourager à la constitution d’une opposition crédible et responsable en lui donnant un statut particulier;
- réorganiser la justice en la rendant plus autonome et moins corrompue;
- aider à la formation des agents de la presse libre et indÈpendante ; – encourager la société civile à prendre des initiatives.
Ce sont là, à notre avis, des mesures qui joueront un rôle catalyseur dans la renaissance de la démocratie et de la bonne gouvernance dans notre pays. Et c’est ainsi et seulement ainsi que le Mali pourrait espérer entrer dans le concert des nations stables et démocratiques. Il sera alors le pays où le développement économique social et culturel et la cohésion sociale ne seraient plus des mirages mais des réalités vécues au quotidien.
Hamidou ONGOÏBA B.P E 1045