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L’homme, IBK, qui voulait sauver le Mali, est-il devenu le vassal de Paris
Publié le mercredi 27 novembre 2013  |  L’Informateur




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Après l’assassinat de deux journalistes, la libération des otages d’Arlit et les négociations difficiles avec les Touaregs, le président malien IBK est fragilisé sur son aire tandis que le président nigérien, Mahamadou Issoufou, apparaît comme l’homme fort d’une région livrée aux bandits armés et djihadistes.

Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) savait que la question touarègue serait une priori rite imposante avant son élection. Il savait aussi qu’il serait trop souvent court-circuité sur ce dossier. Que la France, longtemps complaisante avec la frange indépendantiste représentée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), mais aussi l’Algérie et le Niger, deux pays directement concernés par les remous du Nord-Mali, continueraient de jouer un rôle parfois trouble. Deux événements, l’un heureux (la libération dans le nord du Mali de quatre otages français), l’autre tragique (l’enlèvement et l’assassinat à Kidal de deux journalistes français), l’ont confirmé ces derniers jours, à quelques semaines des élections législatives prévues le 24 novembre. Alors il a haussé le ton. « Il faut mettre un terme à la situation à Kidal. On ne saurait la tolérer plus longtemps ! » a-t-il tonné le 5 novembre à Bamako, lors d’une réunion ministérielle sur le Sahel. Déjà, lors du huis clos entre les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le 25 octobre à Dakar, il avait interpellé ses homologues en des termes similaires. Le président ivoirien, Alassane Ouattara, s’est alors tourné vers Blaise Compaoré, médiateur dans la crise malienne : « Que proposez-vous ? » Surprise du chef de l’État burkinabè : « Il y a certes un problème de l’Azawad, mais c’est un problème malien, qui doit être réglé entre Maliens »… IBK a vu rouge. « Il n’y a pas d’Azawad au Mali ! Le problème, c’est le MNLA, à Kidal ! »

En colère face à la réponse de Blaise, le président malien l’est. Lui qui a été élu sur la promesse de rétablir la dignité du Malien s’est vu, en moins d’une semaine, court-circuité par deux fois lors d’opérations sur son propre territoire comme Amadou Toumani Touré en son temps. D’abord lors de la libération des otages d’Arlit, le 29 octobre. Affaire directement gérée par Niamey et Paris. Les négociateurs nigériens, arrivés quelques jours plus tôt sur le sol malien, ont récupéré les quatre Français sans aucune participation des autorités maliennes. Selon une source proche d’IBK, il n’a pas été informé ou s’il l’a été c’est au dernier moment qu’un hélicoptère de l’armée nigérienne s’apprêtait à se poser sur le sol malien. « On aurait préféré être informés avant », glisse cette source. Le Mali, pour faciliter les négociations, avait pourtant levé les mandats d’arrêt internationaux lancés contre plusieurs chefs rebelles touaregs, parmi lesquels Alghabass Ag Intalla et Ahmada Ag Bibi, deux lieutenants d’Iyad Ag Ghali, le chef du groupe jihadiste malien Ansar Eddine qui aurait joué un rôle déterminant dans la négociation. Le goût est amer.

À peine le temps de ravaler son orgueil que le locataire du palais de Koulouba se retrouve brutalement confronté à l’assassinat, le 2 novembre à Kidal, de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, deux reporters de RFI. Le commanditaire présumé de cette opération, Abdelkrim al-Targui (Abdelkrim le Touareg), chef d’une katiba d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui a revendiqué les faits le 6 novembre , est issu de la tribu touarègue Ifoghas (comme Iyad Ag Ghaly). Il est aussi à l’origine du rapt, au mois de novembre 2011, des Français Philippe Verdon (retrouvé sans vie en juillet) et Serge Lazarevic, toujours retenu dans le désert.

Aucune autorité malienne n’est intervenue dans les arrestations des suspects
Aux larmes versées devant les dirigeants de France Médias Monde deux jours après la macabre découverte succède la rancoeur. Non seulement IBK est persuadé que ce drame ne serait jamais arrivé si la France avait laissé l’armée malienne sécuriser Kidal, mais, en outre, les Français le mettent une fois de plus à l’écart ! Tout juste les gendarmes maliens ont-ils été associés aux premiers constats, sur la scène du crime. Paris, qui a ouvert une information judiciaire pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste », confisque la suite de l’enquête : les limiers débarqués de l’Hexagone le 4 novembre au soir sont accueillis au pied de l’avion par un gendarme de l’ambassade de France… Les officiels maliens sont absents du tarmac de l’aéroport de Bamako-Sénou, et du salon d’honneur, que les enquêteurs quittent très vite pour se rendre sur le terrain. Rapidement identifiés, les suspects sont arrêtés par les militaires de Serval, et transportés à Gao pour y être interrogés. Aucune autorité judiciaire malienne n’est intervenue dans la procédure, depuis leur détention jusqu’à leur remise en liberté.

« Tout cela est très gênant pour IBK, explique un analyste politique. C’est un sacré dilemme : il ne veut rien faire qui puisse apparaître comme de l’ingratitude envers la France et sa décision d’intervenir le 11 janvier. Mais il ne veut pas non plus donner aux Maliens l’impression que le pays n’a pas son mot à dire sur des événements qui se passent ici. »
Surtout, le président malien sait qu’il a encore besoin des forces françaises pour maintenir la pression sur les groupes terroristes et assurer la sécurité dans le septentrion de son pays. L’armée malienne, censée prendre le relais de Serval, n’est pas encore opérationnelle. Deux bataillons de 700 hommes chacun ont certes été formés par la Mission européenne de reconstruction de l’armée du Mali (EUTM, en anglais). Et un troisième sur les quatre prévus est en cours de formation. Ce sont donc près de 2 800 hommes que l’UE aura formés à la fin de sa mission. Au-delà de ce nombre peu important pour le Mali, l’un des plus vastes pays d’Afrique subsaharienne, le comportement de l’armée malienne sur le terrain est sujet à caution.


Le bataillon Elou, le tout premier encadré par l’EUTM, avait refusé de se présenter à la cérémonie de sortie de formation, en raison des problèmes de prime et de promotion. Le second bataillon a été rappelé lundi 4 novembre à Bamako à la suite d’une « bavure » contre trois vieux notables touaregs qui se rendaient à des négociations avec le pouvoir. Battus et torturés, deux d’entre eux sont toujours entre la vie et la mort.

Sur le terrain, l’armée malienne rencontre des difficultés opérationnelles. C’est Serval qui fait le plan des patrouilles et conduit les opérations de sécurisation. Les problèmes de prime, de discipline et de promotion persistent dans les rangs.

S’y ajoute la fracture entre les Bérets verts du général Amadou Haya Sanogo et les Bérets rouges restés fidèles au président AmadouToumani Touré, renversé le 22 mars 2012. Malgré une réconciliation formelle obtenue difficilement par le président de transition, Dioncounda Traoré, les deux composantes de l’armée malienne ont du mal à s’entendre. Des blessures ne sont pas encore cicatrisées : on reste toujours sans nouvelles du colonel Youssouf Traoré, victime présumée parmi d’autres des règlements de comptes entre militaires maliens, dont celui de la nuit du 30 septembre au 1er octobre, au camp militaire de Kati.
Kidal fut la première mission commune de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
C’était au mois de juillet, et de la ville du Nord-Mali, ils avaient saisi des instantanés pour l’Histoire.
Ils s’étaient si bien trouvés, elle la journaliste au franc-parler, lui, le technicien à l’âme généreuse,
qu’un de leurs amis et collègues de RFI les avait surnommés, après leur retour, « les mariés de Kidal ».
Ils ne savaient pas que ce serait pour le meilleur et pour le pire.

La Minusma n’assure que le service minimum

Pour des raisons différentes, la situation des troupes de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma) n’est guère plus brillante. Sur les 12 000 hommes attendus, moins de la moitié sont pour l’heure sur le terrain. Ils sont même moins nombreux que lorsque la Minusma a succédé à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma), le 1er juillet. Car non seulement les Nations unies n’arrivent pas à convaincre des pays d’envoyer des troupes, mais en plus le Nigeria, qui jouait un rôle important au sein de la force déployée par les États de l’Afrique de l’Ouest, a retiré une partie des siennes.
Trop peu nombreux, les Casques bleus manquent aussi de moyens logistiques et dépendent en grande partie de l’opération Serval pour l’intendance et la mobilité. À Kidal, ville tenue par les Sénégalais du colonel Guiran N’Diaye, la Minusma n’assure que le service minimum : escortes des délégations officielles, protection du personnel onusien. Avec l’armée malienne, elle n’a pu conduire aucune grande opération d’envergure contre les jihadistes sans le soutien des forces françaises.

En attendant la consolidation de ses moyens militaires, le gouvernement du président IBK court après une réponse politique au problème du Nord. Et ne l’a pas encore trouvée. Le MNLA, le Haut Conseil unifié de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), qui négocient actuellement à Ouagadougou et qui tentent de se regrouper dans une plateforme commune, estiment que le pouvoir ne va pas assez loin dans ses concessions. En revanche, une partie de la population qui a voté IBK sur sa promesse de fermeté et d’intransigeance sur la question du Nord crie déjà sa déception.

À Koulouba, si l’on admet que certains dossiers hérités de la transition gênent le début du mandat, on préfère dédramatiser. Le président IBK n’a-t-il pas réussi à déloger, sans difficulté, l’ex-putschiste Sanogo de sa « république de Kati », et à le ramener dans une villa du quartier du fleuve Niger ?

Dans l’entourage du chef de l’État, on insiste également beaucoup sur le parallèle avec le Mali de 1994. Alors chef du gouvernement du président Alpha Oumar Konaré, il avait rétabli l’autorité mise à mal par des mouvements sociaux. Mais cette fois-ci, ce ne sont pas des étudiants en colère qui lui font face, mais des groupes armés jihadistes avec lesquels le dialogue est impossible, des mouvements irrédentistes touaregs, et un rapport diplomatique compliqué avec la France.

Ibrahim Yattara

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