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Au Nord-Mali, les nouvelles recrues des jihadistes ont 10 ans
Publié le mardi 10 juillet 2012   |  kabyles.net




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« J’ai vu des enfants pleurer, armes à la main, parce qu’ils n’avaient pas été tués au combat. Ils sont persuadés qu’en mourant au front, ils accéderont directement au paradis. Ces enfants subissent un tel lavage de cerveau qu’ils finissent par perdre toute notion de la réalité. »
L’homme qui nous livre ce témoignage édifiant a vécu au contact des salafistes avant de déserter, excédé par leurs méthodes.

Condamné à vivre dans la clandestinité, il nous révèle leurs méthodes de recrutement et les populations ciblées les enfants et les adolescents en priorité. Ils sont parfois âgés d’à peine 10 ans. A peine plus grands que les fusils Kalachnikov qui leur sont mis entre les mains, selon le témoignage d’un journaliste mauritanien du site AlAkhbar.info qui a pu se rendre récemment à Tombouctou.

La population les voit parader fièrement dans les rues, sous la bannière noire des salafistes, vêtus à l’afghane, les pantalons retroussés à la hauteur des chevilles. "L’immense majorité des nouvelles recrues sont des enfants », selon notre témoin.

L’Unicef a lancé l’alerte au début du mois de juillet. Mais il est déjà trop tard, le processus est en marche.

Suivre la voie du jihad

Les recrutements d’enfants se sont accélérés ces dernières semaines, indiquent plusieurs sources que nous avons pu contacter dans le nord du Mali et dans les pays voisins. Un intense travail de propagande est effectué dans les grandes villes afin d’inciter les plus jeunes à suivre la voie du jihad, armes à la main. Certains d’entre eux sont même accompagnés par leurs parents.

Ousmane Amadou Maiga, leader de « Nous pas bouger », un mouvement de jeunes à Gao, ville du nord du Mali, tente de dissuader les enfants de partir. En vain :

« J’essaie de leur parler mais ça ne sert à rien. Je me souviens d’un petit. Il devait avoir 10 ans et revenait du front où il avait participé aux combats contre le MNLA [Touaregs indépendantistes, ndlr]. Il se vantait de pouvoir démonter et remonter un fusil d’assaut en quelques minutes seulement.
Je lui ai dit : “Va aider ta mère à faire les courses, c’est mieux.”Il m’a répondu : “Inquiète-toi plutôt pour ta mère. Tu veux qu’on laisse les Touareg aller la violer ?”

Que voulez-vous faire ? Ça n’a aucun sens. On est dans l’absurde. »

Les enfants sont laissés dans un dénouement total après la fermeture des écoles, remplacées parfois par des « madrassas » (écoles coraniques) et très souvent par des camps d’entraînement militaire.

Ce sont des proies faciles pour les différentes formations armées qui leur offrent un titre de « jihadiste » pour marquer leur entrée dans le groupe.
Un millier de jeunes recrues (majeures et mineures) ont été formées dans les quatre camps d’entraînement de la région de Gao depuis le coup d’Etat du 21 mars et l’effondrement du Nord-Mali dans la foulée, apprend-on de sources concordantes.

Sous la supervision de cadres du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, groupe dissident d’Aqmi), les jeunes recrues apprennent le maniement des armes et pratiquent l’exercice physique sous toutes ses formes.

Etabli à Tombouctou, Ben Baba Maiga, un jeune de 22 ans, a vu partir plusieurs de ses amis dans ces camps. Il raconte :

« Les salafistes se disent envoyés d’Allah. Ils se légitiment ainsi. Ils promettent de l’argent en échange d’une participation à leurs leçons et à leurs exercices, premières étapes du recrutement. Ils font étalage de leurs moyens financiers. Ils ont tout en main. On les voit manipuler de grosses coupures d’euros et de dollars. Cela ne passe pas inaperçu. »
Selon nos informations, les salaires mensuels proposés à ces enfants peuvent monter jusqu’à 600.000 francs CFA (914 euros), en fonction de l’affectation et de la prise de risques. A des années-lumière du salaire mensuel moyen de 35.412 francs CFA (54 euros) dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde.

Ceux qui acceptent de prendre les armes sont les mieux payés. Les autres se contentent des opérations de maintenance ou de la conduite des véhicules.

Une « katiba » d’enfants

A Tombouctou, plusieurs témoins nous font état de la présence d’une « katiba » (brigade) formée exclusivement d’enfants, une trentaine au total, âgés de 8 à 15 ans et placée sous les ordres de l’un des émirs les plus puissants d’Aqmi, Abou Zeid, qui a établi ses quartiers dans un bâtiment officiel de la ville.

Encadrés par des hommes mûrs rompus aux techniques de manipulation, les enfants passent leurs journées à écouter l’interprétation que les salafistes font de l’islam et de son livre sacré, le Coran. Des discours radicaux, parfois émaillés de séances de projection vidéo.

Un habitant de la ville témoigne :

« Ces enfants sont conditionnés. On les prépare à mourir en leur faisant miroiter le paradis. On leur fait des interprétations systématiquement négatives des textes sacrés. Il n’est jamais question de la tolérance qui est pourtant une valeur essentielle de l’islam. Les salafistes maîtrisent parfaitement l’art de la manipulation. Ces enfants deviennent encore plus radicaux et dangereux que les autres. »
Malgré le climat de suspiscion qui règne dans les villes, toute personne est considérée comme une recrue potentielle. Impossible d’entrer en conversation avec un salafiste sans échapper à une tentative d’embrigadement.

Un Touareg de Tombouctou, approché récemment par ces derniers, témoigne anonymement :

« On ne peut pas discuter avec eux. Après deux minutes, ils te demandent si tu appliques bien la charia et ils poursuivent en essayant de te convaincre de rejoindre le jihad. Ils n’ont que ces mots-là à la bouche.

Si tu refuses, ils te suspectent immédiatement d’avoir de la sympathie ou des liens avec la Mauritanie, la France et les Etats-Unis, les trois pays qu’ils disent détester le plus. »
Les recrutements se font tous azimuts, dans le nord du Mali et dans les pays voisins. Au Niger, les convois de 4x4 filant à toute allure à travers les dunes de sable se font de plus en plus réguliers. Tout le monde les reconnaît, ces pick-up climatisés dernier cri.

Basé à Agadez, le porte-parole de l’ex-rébellion touarègue du Niger, Boutali Tchiwerin, peut en témoigner :

« Le Mujao envoie ses combattants nigériens. On les voit de plus en plus souvent. Ce sont des trafiquants de drogue convertis au jihadisme. Ils ont beaucoup d’argent. Ils recherchent des jeunes désœuvrés parce qu’ils sont facilement manipulables.
Les autorités du Niger ne font pas très attention à cela. Elles sont mobilisées sur les moyens à mettre en œuvre pour organiser une intervention militaire africaine. »

Une intervention armée ?

A l’instar du président guinéen Alpha Condé, plusieurs chefs d’Etat africains préconisent la création d’une force d’intervention africaine pour restaurer l’ordre dans le nord du Mali.

Des négociations se poursuivent en parallèle avec les différents protagonistes armés, par l’entremise du président burkinabé, Blaise Compaoré.

Membre fondateur et ancien président de l’Association mauritanienne des droits de l’homme, le professeur Cheikh Saad Bouh Kamara s’alarme :

« On va vers une période de violences et de déstabilisations terrible d’une durée indéterminée. Il existe aussi un risque de guerre civile aux conséquences néfastes et imprévisibles. Des flux massifs de réfugiés maliens sont déjà en train de vivre des situations de précarité extrême dans les pays voisins. »
En attendant, Mujao, Aqmi et Ansar Dine, les trois factions islamistes qui contrôlent le Nord-Mali, consolident leurs positions et se préparent à l’affrontement.

Le porte-parole d’Ansar Dine à Tombouctou, Sandah Ould Bou Amama, prévient :

« Pensez-vous vraiment que nous allons lever le drapeau blanc et leur souhaiter la bienvenue ? Nous sommes prêts à verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang s’ils viennent ici. C’est l’enfer que nous leur promettons. »

Claude-Olivier Volluz, rue89.com

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