Professeur en pharmacognosie-la science qui étudie les principes actifs des plantes médicinales-à l’Université des Sciences, des Techniques, des Technologies de Bamako et Chef du Département Médecine Traditionnelle de l’Institut National de Recherche en Santé Publique (INRSP) Pr Drissa Diallo aborde dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder la problématique de valorisation des plantes médicinales.
Professeur, peut-on avoir une idée du patrimoine du Mali en matière de plantes médicinales ?
Parler du Mali en termes de plantes médicinales équivaudrait à parler de la flore du Mali parce que toutes les plantes ont une ou des propriétés pharmaceutiques qui peuvent être connues ou pas. Donc, toutes les plantes ont un usage thérapeutique. Aujourd’hui, nous avons constitué un herbier comptant près de 2 700 échantillons de plantes médicinales qui ont des vertus thérapeutiques. Mais ces plantes ne couvrent pas toute l’étendue du pays. Il y a beaucoup de plantes au Mali qui ont des vertus thérapeutiques…
Peut-on connaitre les principales affections couvertes par ces plantes ?
Il faut dire que dans la plupart des plantes recensées on retrouve dans l’usage traditionnel des plantes utilisées dans le traitement du paludisme, les diarrhées, les affections pulmonaires comme la toux ; on a également des produits utilisés dans le traitement des douleurs, des rhumatismes, des douleurs osseuses, des douleurs abdominales, maux de tête. Comme la médecine traditionnelle, le traitement est basé principalement sur les symptômes. Pratiquement, on retrouve des plantes qui permettent d’agir sur la plupart des symptômes.
Pouvez-vous nous parler des médicaments traditionnels améliorés que vous avez, jusque-là, mis au point ?
Il faut dire que, depuis les années 1968, le Mali a commencé les activités de recherche sur les pantes médicinales avec notre maître le Professeur Mamadou Koumaré. Depuis ce temps, les activités de mise au point sur des médicaments traditionnels améliorés ont commencé. Actuellement, nous avons 7 médicaments traditionnels améliorés qui ont l’autorisation de mise sur le marché. Ces 7 médicaments sont : un produit utilisé dans le traitement du paludisme sous le nom de « malarial », « balembo » pour la toux, un sirop qui existe sous forme enfant et adulte, « l’hépatisane », cholérétique et cholagogue, utilisé dans les troubles digestifs liés au foie, le « dysentéral » utilisé dans le traitement de la dysenterie amibienne et les diarrhées, le « gastrocédal » pour le traitement de l’ulcère gastroduodénal et la « psorospermine » pour les dermatoses, le « laxacacia » pour la constipation. En plus de ces médicaments qui ont l’autorisation de mise sur le marché, des activités de recherche sont menées sur des plantes qui sont utilisées également dans le traitement du paludisme, dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate, de l’hypertension artérielle, du diabète. S’y ajoutent également des pommades utilisées dans le traitement des douleurs articulaire et comme cicatrisant. Les résultats sont très encourageants.
On sait que beaucoup de molécules de synthèses mises au point par les grandes firmes pharmaceutiques proviennent des plantes médicinales, y compris donc du Mali. Pourquoi notre pays ne valoriserait-il pas sur place ces plantes médicinales ? S’inspirer, par exemple, du cas de la Chine qui a engrangé des dizaines, voire des centaines de milliards en FCFA à travers la valorisation de l’artemisia annua, une plante médicinale chinoise dont est extraite l’artémisinine, une substance active antipaludique mondialement connue ?
La recherche sur les plantes médicinales comporte plusieurs phases. Déjà la mise au point de médicaments traditionnels améliorés est une première phase qui est à développer dans notre pays. En plus de cela, il y a l’isolement et l’identification de molécules actives qui se fait par l’isolement « bioguidé ». C’est ce qui permet d’aboutir à des molécules. Mais on ne peut pas attendre d’isoler une molécule active pour pouvoir, dans notre principe, utiliser des plantes médicinales. Ce qui est primordial, d’abord, c’est de standardiser la plante, autrement dit définir l’efficacité, la qualité et l’innocuité. Après cela, on peut continuer pour poursuivre les recherches. Cela se fait pour aboutir à une molécule active. Nous faisons ces activités de recherche en collaboration avec d’autres partenaires, soit du Sud ou bien du Nord pour pouvoir identifier les molécules actives dans les plantes. Maintenant quand une molécule active est isolée on peut en faire des formulations qui prennent beaucoup plus de temps que les médicaments traditionnels améliorés. C’est un processus qui se fait et qui est nécessaire car, il faut identifier les substances actives ou un extrait standardisé pour pouvoir assurer le contrôle de qualité des médicaments mis au point.
La culture des plantes médicinales ne pourrait-elle pas constituer un appoint dans la lutte contre la pauvreté et le chômage au Mali ?
Déjà la mise au point des médicaments traditionnels améliorés est un élément de valorisation. Maintenant, la deuxième phase consiste à isoler des molécules actives. Et nous pouvons faire cela également. Mais pour identifier la molécule il va de soit que cela nécessite beaucoup d’autres moyens et d’équipements lourds qui ne sont pas sur place, mais nous pouvons, bien sûr, isoler des molécules actives. Maintenant, pour connaître la structure de cette molécule, il y a la nécessité de nouer des partenariats Sud-Sud ou Nord-Sud. Moi j’irai même plus loin en disant que la valorisation même des plantes médicinales est l’un des meilleurs moyens de lutte contre la pauvreté. La culture n’est qu’un maillon de la chaîne. Il va de soi que pour pouvoir produire des médicaments traditionnels améliorés à large échelle, il y a la nécessité de cultiver les plantes médicinales pour disposer de la matière première de qualité. En ce moment cela va nécessiter l’implication des associations de tradipraticiens, l’implication de jeunes qui peuvent s’engager dans ce processus de production des plantes médicinales. Cela peut, bien sûr, contribuer à la lutte contre la pauvreté au Mali.
Quelles sont les contraintes que vous rencontrez dans la promotion de la médecine traditionnelle ?
Du point de vue contraintes, il faut dire que dans le domaine de la recherche sur les plantes médicinales il est nécessaire de disposer de ressources humaines et matérielles. Donc, il faut avoir les personnes qualifiées pour mener ces activités de recherche et il faut également disposer de moyens matériels. Il s’agit, entre autres, des solvants pour pouvoir mener les activités de recherche. Souvent, ce sont des problèmes de rupture en réactifs ou en solvant qui constituent une contrainte majeure. Quand la mise au point du médicament est réalisée, il faut également assurer une production à grande échelle et cela nécessite des partenariats avec d’autres organismes pour pouvoir produire du médicament à tous les niveaux. En plus de ces deux contraintes, il y a également la nécessité de ce partenariat avec les tradipraticiens de santé pour qu’on puisse mettre au point les médicaments traditionnels améliorés.
Quelle place le Mali occupe-t-il en Afrique dans la promotion et la valorisation des médicaments traditionnels améliorés ?
Comme je l’ai signalé plus haut, depuis les années 1968 nous avons commencé le processus de la valorisation de la médecine traditionnelle, ce qui fait que notre expérience sert de repère pour beaucoup de pays en Afrique. Il faut dire aussi que le Mali a été l’un des premiers pays Centres collaborateurs de l’Organisation Mondiale de la Santé et les chercheurs au niveau de la médecine traditionnelle au Mali contribuent au niveau de l’OMS dans le Comité d’experts aussi bien au niveau régional en Afrique qu’au niveau de l’Organisation Mondiale de la Santé à Genève. Nous sommes une référence dans le domaine de la recherche sur la médecine traditionnelle.
Il y a quelques temps, le Pr Montagnier, celui-là même qui est le codécouvreur du virus du SIDA, avait laissé entendre que dans la lutte contre la pandémie l’espoir pourrait venir de la médecine traditionnelle, notamment des plantes médicinales d’Afrique. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que des recherches ont été menées et des recherches sont en cours dans le cadre de la lutte contre cette pandémie qu’est le SIDA et il y a des résultats encourageants de part et d’autre dans le monde. Il y a également des plantes qui, à cause de leur activité antioxydante, sont supposées contribuer dans la lutte contre cette pandémie. Les activités de recherche continuent et, comme je l’ai dit, il y a une flore très importante dans nos pays et on espère cela puisse contribuer à la lutte contre cette pandémie.
Quels sont vos projets à court, moyen et long termes ?
Actuellement, les perspectives, c’est d’élargir la gamme des médicaments traditionnels améliorés qui ont l’autorisation de mise sur le marché et de mettre en place des équipes fortes de recherche sur les plantes médicinales et d’assurer la production à grande échelle des médicaments traditionnels améliorés. Pour assurer cette production, il faut disposer de matière première en quantité et en qualité. Donc, il faut prévoir un programme de culture de plantes médicinales.
Avez-vous des appels à lancer ?
Tout d’abord, nous demandons le développement de la collaboration avec les tradipraticiens de santé. Le deuxième élément, c’est la protection des plantes médicinales, donc leur exploitation rationnelle pour que nous puissions disposer de ces plantes pour une longue période et disposer des ressources nécessaires aussi bien en infrastructures, en équipements et en ressources humaines pour développer la recherche et la promotion de la médecine traditionnelle au Mali, en Afrique et à travers le monde.
Interview réalisée par Yaya Sidibé