Entre l’ex junte de Kati et les éléments du 34è Régiment des commandos parachutistes (Rcp), communément appelés bérets rouges, le divorce est consommé dès le renversement de Amadou Toumani Touré, qui, par le passé, a dirigé cette unité d’élite de l’armée malienne et qui n’a coupé le pont avec ses compagnons d’armes, même lorsqu’il arrivera au pouvoir. Mais l’affaire dite du contre coup d’Etat du 30 avril 2012, n’était que l’aboutissement d’un désamour entre Kati (siège de l’ex junte) et Djicoroni (base des parachutistes).
Mercredi 21 mars 2012 : un soulèvement militaire est organisé par une poignée de soldats de la garnison de Kati, tôt le matin, au détour d’une rencontre avec le ministre de la défense, Gal. Sadio Gassama et qui s’était terminée en queue de poisson. Au fil des minutes, le mécontentement prend de l’ampleur. Et face à l’absence d’une opposition armée, les mutins décident de marcher sur Koulouba. Mais en réalité, ATT n’a jamais voulu d’une confrontation entre soldats mutins et soldats loyalistes. Il le disait à qui voulait l’entendre qu’il ne versera pas une goutte de sang pour conserver le pouvoir.
Aux chefs d’Etat de la sous région qui l’excitaient à prolonger son bail, sa réponse n’a pas varié. «Le Mali, en ce moment, a un combat plus sérieux à mener. Il se déroule au nord. Alors, ceux qui veulent prendre le pouvoir en ces heures, qu’ils le prennent ».
Mais au même moment, ATT savait qu’il bénéficiait du soutien du bataillon parachutiste. Ce sont des soldats aguerris et très professionnels. Une partie du bataillon avait été envoyée au nord. Sur place, les parachutistes étaient déployés dans des «zones chaudes » comme Ménaka et Kidal.
A Bamako, les parachutistes, dès les premières heures du soulèvement, ont pris position au palais en vue de protéger le président. Cependant, quelques éléments du bataillon avaient trahi.
A Kati, les mutins mesuraient à sa juste valeur la capacité de résistance des bérets rouges. D’où leur longue hésitation des mutins à marcher sur le palais dès les premières heures de la mutinerie.
Il a fallu attendre l’après midi pour que les mutins se décident à se lancer à l’assaut du palais présidentiel. Détail important : les mutins avaient, entre temps, réussi à mettre en marche deux vieux BRDM. Des engins qui seront déterminant dans la prise de Koulouba. Entre temps, des bérets rouges étaient décidés à se battre jusqu’au bout…La suite on la connaît.
Quelques jours après le coup d’Etat
Tous les commandos parachutistes ont regagné leur base de Djicoroni. C’est en ce moment que les premiers couacs entre les deux camps (bérets rouges et bérets verts) vont commencer. En effet, dans sa volonté d’affaiblir le bataillon para, la junte opère un désarmement. Ainsi, les bérets rouges ont vu tout arsenal lourd prendre la direction de Kati en une seule matinée.
Acte de provocation ? Les parachutistes l’ont pris comme tel.
Courant avril 2012 : tous les bérets rouges déployés au nord sont contraints d’abandonner le terrain. Et pour cause : le coup d’Etat brisa la chaîne de commandement, notamment au niveau du PC de Gao qui supervisait et planifiait toutes les opérations au nord. Mais, dès le lendemain du coup de Sanogo, tous les chefs militaires de ce PC sont arrêtés. Conséquence : la chute des trois régions du nord aux mains des terroristes….Or, jusque là, seuls quatre localités (Aguelhoc, Ménaka, Tessalit, Anderamboucane) étaient prises.
Et l’armée, contrairement à ce qui avait été dit à Bamako, avait des moyens et assurait la défense du territoire national. L’histoire du Mali rétablira un jour certaines vérités….
Ainsi, à leur retour, les bérets rouges sont interceptés à Niamana (à une quinzaine de Kilomètres de Bamako) par des soldats envoyés par la junte. Sans ménagement, le convoi des parachutistes est désarmé. Deuxième acte de provocation ? Ça y ressemble fort. Et les bérets ont ressenti cet acte comme une véritable humiliation
Troisième acte de provocation ? La junte de Kati convoque Abdine Guindo, ex aide de camp d’ATT et commandant du bataillon para. Le colonel Guindo refuse de s’y rendre. Etait-ce un piège ? Certains officiers de l’armée l’affirment en privé. Surtout qu’à l’époque, la junte avait déclenché une véritable chasse à l’homme contre les proches de l’ancien président. Mais le refus de Abdine d’aller faire acte d’allégeance au putschiste a finalement consommé la rupture entre Kati et le Camp para. Et une étincelle pouvait mettre le feu aux poudres à tout moment. C’est ce qui arrivera justement le 30 avril 2012. Ce jour-là, une folle rumeur court au Camp para : les militaires de Kati ont décidé de passer à l’action. Et le camp sera investi pour y déloger tous les occupants.
Rumeurs fondées ou non ?
Enième acte de provocation ? Un nouveau piège pour pousser les bérets rouges à la faute ? Ces questions demeurent toujours sans réponse. Cependant, c’était tout sauf un contre coup d’Etat. Car, le commandement du bataillon para n’était pas suffisamment naïf pour envoyer ses hommes à la boucherie. En effet, l’action du 30 avril sentait à la fois la précipitation et l’impréparation. Aussi, tout le monde à Bamako avait eu vent de cette action avant même son déclenchement. Et puis, ce n’est pas en plein après midi que l’on tente des opérations de ce genre.
«En réalité, ça sent plus le piège que tout autre chose. A mon avis, les commandos parachutistes ont plus agi pour sauver leur tête que pour autre chose. Eux (les parachutistes) ont été formés pour des opérations basées sur l’effet de surprise. Alors que ça n’était pas du tout le cas », confie en privé un officier (béret rouge).
En tout cas, les paras décident de se lancer à l’assaut de Kati. Et ils prennent successivement le contrôle de l’Ortm, et de l’aéroport de Sénou.
Au camp de Kati, ils sont maîtres des lieux. Mais très vite, ils sont confrontés à un sérieux problème d’effectifs. En effet, le bataillon fait en tout 500 à 600 hommes seulement.
Les bérets rouges ont-ils été trahis par des forces qui avaient fait la promesse de se joindre à eux ? Certains l’affirment. Mais, au même moment, la junte réussi à faire venir des renforts de différentes localités de l’intérieur. Et les forces de sécurité, notamment les policiers du syndicat de Siméon Keïta, la gendarmerie et la garde nationale, prêtent main forte à la junte qui était en difficulté. Finalement, Kati réussi à renverser la situation.
Dès lors, place à une véritable chasse aux bérets rouges à travers Bamako, Samanko (où il existe un centre de formation pour les bérets rouges) et d’autres localités du pays.
Et, au-delà des arrestations et des tortures, l’opinion malienne était loin d’imaginer que des soldats étaient entrain d’être froidement exécutés par d’autres soldats maliens, à quelques kilomètres de Kati. Alors que toutes les régions du nord étaient occupées.
Qui peut approuver de tels actes de barbarie ?
Après les événements des 30 avril et 1er mai, le capitaine Sanogo (bombardé général depuis) a poursuivi la chasse aux bérets rouges. En plus des prisonniers, qui ont été froidement exécutés, et des blessés, extraits de leurs lits d’hôpital sous la menace d’armes de guerre pour ensuite être tués, d’autres bérets rouges, surpris dans leur sommeil, à leurs grins, dans les véhicules de transport en commun ou dans la circulation, ont été enlevés, conduits à Kati et ont disparu depuis. Des épouses et mères de soldats disparus ont témoigné récemment.
Le colonel Youssouf Traoré a été enlevé à domicile devant sa femme et ses enfants, et reste introuvable jusqu’à nos jours.
Des bérets rouges, les plus chanceux, ont tout simplement abandonné le pays pour se refugier dans des pays voisins et même en Afrique centrale.
Entre temps, les autorités militaires de la transition, sans doute sous la pression de Kati, envenimaient la situation en faisant diffuser des communiqués invitant tous les bérets rouges à rejoindre les camps. Auparavant, ces autorités, notamment le ministre de la défense, Gal. Yamousa Camara et le chef d’Etat major général des armées, Gal. Dahirou Dembélé, amplifiait la décision de la dissolution du corps des commandos parachutistes décrétée par Sanogo aussitôt après « le contre coup d’Etat ».
Il a fallu que le président par intérim, Dioncounda Traoré, prennent ses responsabilités en réhabilitant progressivement ce corps d’élite. La méfiance s’est dissipée petit à petit et des bérets rouges avaient même pu être envoyés au nord, pour la défense de l’intégrité territoriale.
Aujourd’hui, la dure réalité jaillit des charniers. Malheureusement.