«Dura lex, sed lex» (la loi est dure, mais c’est la loi). Cet adage très bien connu en milieu judiciaire s’applique à six magistrats placés sous mandat de dépôt ainsi que des auxiliaires de justice. Il s’agit de Fousseyni Salaha, Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Mopti, Oubeydoulah Mohomoudou Maïga, Adama Z Diarra, respectivement Substitut et Juge d’instruction dans la même juridiction, Abdoulaye Kamaté, Juge d’instruction au Tribunal de la Commune II. Me Ibrahima Kanté, Greffier à la Cour d’appel de Mopti, Sékou Ballo, Clerc d’huissier au Cabinet de Me Abdoul Karim à Mopti. Ils sont poursuivis sur dénonciation. Le fait poursuivi est la concussion. C’est une infraction par laquelle un fonctionnaire perçoit des sommes qui ne lui sont pas dues. En d’autre terme, des pots de vin.
Une histoire de vaches
Selon des sources bien introduites, les magistrats Fousseyni Salaha, Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Mopti, Oubeydoulah Mohomoudou Maiga, Substitut et Adama Z Diarra, Juge d’instruction, sont impliqués dans une affaire de vaches. Selon les mêmes sources, ils ont extorqué au propriétaire 50 têtes. Le dossier a fait l’objet d’une instruction. Ainsi, le Procureur, son substitut ainsi que le magistrat instructeur sont tous impliqués. La partie civile est un parent au Professeur Aly Nouhoun Diallo. C’est sur initiative de ce dernier que le berger a saisi le ministre de la Justice, Mohamed Aly Bathily. Conformément à la loi, il a saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour ouverture d’une enquête. Un rapporteur fut désigné par la Cour suprême. Compte tenu de la gravité des faits, ce dernier a jugé nécessaire de placer sous mandat de dépôt les trois magistrats, le clerc d’huissier ainsi que le greffier. Depuis mardi 10 décembre dernier, ils sont en détention provisoire.
Affaire Abdoulaye Kamaté :
Depuis un certain temps, ce dossier fait la Une de certains journaux. C’est suite à une constitution de partie civile de la part de Mohamed Fofana. Ce dernier, par contrat, a acheté une parcelle sise à Sotuba à M. Diané, à 10 millions de Fcfa. Après la vente, M.Diané a voulu annuler ladite vente. Après son échec devant le juge civil, il se rabat au pénal en saisissant le cabinet du juge Abdoulaye Kamaté de la Commune II. Au cours de l’instruction, Me Demba Koné, Notaire de son état, reçoit une convocation. Après audition, le juge décide de l’inculper et de le placer sous mandat de dépôt. Quel ne fut l’étonnement du notaire de le voir placer en détention pour un dossier dans lequel il ne se reproche rien. Il parvient quand même à éviter le mandat de dépôt contre la remise de la somme de 3 millions de nos francs. Somme empochée par le juge Kamaté par l’intermédiaire de l’avocat du notaire.
Alors, la question de la preuve ne se posait plus dans la mesure où c’est par chèque que le juge fut désintéressé. Le Notaire Koné a soigneusement gardé une copie du chèque pour servir de preuve. Ce que le Sieur Kamaté avait oublié, c’est qu’il a été pris dans son propre jeu. Il avait à faire à des hommes de l’art, à savoir un avocat et un notaire. Un adage célèbre dit ceci: ‘’les crocodiles ne se mangent pas entre eux’’. C’est ce qui vaut aujourd’hui l’ouverture d’une mesure disciplinaire et sa mise en détention.
Deux autres magistrats sont poursuivis, mais non détenus. Il s’agit du juge Touré du Tribunal de travail de Bamako, pour coups et blessures et du juge Seba Lamine Koné, actuellement juge d’instruction au Tribunal de première instance de la Commune III, précédemment substitut du Procureur à Mopti. Ce dernier est inculpé pour complicité d’évasion dans l’affaire de vaches de Mopti. Mais sa mise en cause est arbitraire, pensent certains.
Les faits pour lesquels ils sont incriminés sont-ils contraires à la déontologie du magistrat ?
Il faut savoir que la déontologie se définit comme «l’ensemble des textes qui régissent une profession et le comportement des membres d’une profession». Il faut se référer à la loi n°02-054 du 16 décembre 2002 portant statut de la magistrature pour y retrouver en annexe le code de déontologie.
Le magistrat est un homme qui concentre entre ses mains de redoutables pouvoirs.
En effet, par ses décisions, il peut influer sur l’honneur, la dignité, le patrimoine et quelques fois même la vie de ses concitoyens.
Certains magistrats peuvent prendre des libertés avec ces obligations, ces devoirs et les règles de conduite de la profession. C’est la distribution de la justice qui en pâtit dans ce cas. Dans son ouvrage intitulé ‘’L’esprit des Lois’’, Montesquieu écrit ceci: «pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».
L’intérêt de la déontologie tant à rappeler au magistrat les devoirs auxquels il est professionnellement et personnellement tenu.
Comment se déroule la procédure disciplinaire ?
La procédure tendant à la responsabilité disciplinaire du magistrat se déroule devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. Elle est initiée par le ministre chargé de la Justice, Garde des Sceaux. Elle comporte une phase d’enquête et une phase de décision.
Aujourd’hui, les Maliens attendent des juges qu’ils fassent preuve d’une sagesse, d’une rectitude, d’une dignité et d’une sensibilité presque surhumaine probablement qu’aucun autre groupe de la société n’est soumise à des critères aussi élevées.
Le serment du magistrat se résume ainsi : «Je jure et promet de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement les secrets de délibération et de me conduire en tout comme un digne et loyal Magistrat».
Toute faute disciplinaire ou professionnelle peut donner lieu à des poursuites
La faute disciplinaire est définie par l’article 71 alinéa 1 du statut de la magistrature comme tout manquement par le magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité.
La faute professionnelle est définie par les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 71 de la loi portant statut de la magistrature comme toute violation grave de règle de procédure, tout abus de droit notoire, tout manquement avéré de diligence dans l’accomplissement de sa mission.
Dans le cas d’espèce, comme dans tous les autres cas, les faits motivant la poursuite judiciaire sont dénoncés au Conseil supérieur de la magistrature(CSM) par le ministre en charge de la Justice. Selon que le magistrat poursuivi relève du siège ou du parquet, le Président de la Cour suprême ou le PG près la dite Cour désigne un rapporteur parmi les membres du Conseil. Le rapporteur procède à une enquête au cours de laquelle il entend ou fait entendre le magistrat incriminé et au besoin le plaignant et les témoins. Il accomplit tout acte d’investigation utile. Au terme de l’enquête, il établit un rapport. C’est seulement alors que le magistrat est invité en la forme administrative à comparaître devant le Conseil. Le magistrat et son conseil ont droit à la communication du dossier, c’est-à-dire, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport. Le magistrat est tenu de comparaître personnellement. Il peut cependant se faire représenter en cas de maladie ou d’empêchement justifiés. Il peut se faire assister par un ou plusieurs de ses pairs et ou par un ou plusieurs avocats. Hors le cas de force majeure, s’il ne comparait, il peut être passé outre. Au jour fixé par la convocation et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir les explications et moyens de sa défense sur les faits qui lui sont reprochés. Il doit répondre aux questions posées par les membres du Conseil puis ses conseils auront la parole pour assurer sa défense. Le Conseil délibère enfin à huis clos.