Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le directeur de l’agence de développement du nord, Mohamoud Ag Mohamedoun, un des acteurs clés des assises de Gao sur la paix et la réconciliation, a fortement interpellé les partenaires du Mali, plus précisément la France, à clarifier leur position par rapport à Kidal. Il a aussi insisté sur le fait que le sous-développement ne saurait justifier le recours aux armes tel qu’on le voit au nord.
Le gouvernement a initié des assises régionales, celles de Gao ont vécu. Il est prévu dans les jours à venir d’autres rencontres du même genre à Tombouctou. Pensez-vous que ces rencontres peuvent asseoir un climat d’entente entre les communautés ?
Mohamed Ag Mohamedoun : C’est une situation salutaire qui a commencé sous de bons auspices depuis Bamako, à travers les assises nationales sur le nord, lesquelles ont produit un certain nombre de recommandations. Il faut que ces assises aient le caractère le plus participatif qui soit. La finalité, c’est d’avoir des outils qui permettent au gouvernement de recueillir les observations des localités de l’intérieur pour faire face aux revendications faites par les groupes armés.
Je tiens à préciser que ces revendications, le plus souvent faites par les groupes armés, ne sont pas forcement celles des populations.
Au moment où le gouvernement fournit des efforts à Gao et Tombouctou pour asseoir la réconciliation, à Kidal les armes continuent à crépiter. N’est-ce pas là une situation paradoxale ?
MAM : Sachez que tout est parti de Kidal. Le problème n’est pas Gao ni Tombouctou. Ceux qui ont pris les armes sont en majorité des gens de Kidal. Ce sont eux qui ont surtout contaminé des groupuscules qui se trouvaient dans la périphérie. A Gao et Tombouctou, nous avons des populations entièrement acquises à l’unité nationale. Le cas de Kidal reste entier, parce que le problème est parti de Kidal. C’est à Kidal qu’il faut résoudre le problème. Je pense honnêtement que la solution n’est pas ici (Gao, Tombouctou) mais de l’autre côté.
Je comprends parfaitement ce qui se passe à Kidal. Dans cette ville, certains habitants sont avec les groupes armés. Par contre la communauté Imghad à laquelle j’appartiens et qui est aussi la communauté d’Aladji Gamou a toujours été pro-malienne. Je ne suis pas surpris par ce qui arrive à Kidal. Si les choses trainent à ce point, c’est que ceux qui tiennent le haut du pavé sont mieux armés, organisés et ont des soutiens à l’extérieur. Je sais qu’on est parti pour très longtemps pour l’instabilité dans cette partie du pays s’il n’y a pas un accord de paix. Parce que le mouvement auquel on assiste actuellement peut prendre d’autres formes (guérillas, embuscades). Les Bahanga et Fagaga sont passés par là. Et le problème est que maintenant ce sont des groupes plus importants. Aussi, il ne faut pas se voiler la face, ces gens-là, ils sont soutenus par l’extérieur. Si nos partenaires veulent nous aider, qu’ils nous aident ou qu’ils clarifient leurs positions. En réalité, ces partenaires auxquels je fais allusion (la France) constituent la force mais ils font aussi partie de cette solution. S’ils sont venus nous aider, qu’ils le prouvent sans tricherie.
Certains habitants du nord estiment que la réconciliation passe par la justice. Qu’en pensez-vous ?
M.A.M : Je suis un houphouétiste convaincu pour avoir travaillé 13 ans à Abidjan. Le président ivoirien feu Houphouët avait l’habitude de dire : » Ne m’obligez pas à choisir entre l’injustice et le désordre parce que je choisirais l’injustice « . Une injustice peut se réparer mais un désordre peut être irréparable. S’il faut aller vers une justice qui nous entraine dans le chaos, çà ne servira à rien. Pour réconcilier le pays, lui éviter la partition, pourquoi ne pas faire sacrifice sur nous-mêmes y compris sur la justice. Faire de la justice rien que pour la justice, je ne crois pas que ce soit une bonne approche. Il faut mesurer les risques. La question mérite d’être réfléchie mûrement. Si IBK, dont on connait la fermeté, pense que des mandats d’arrêt bloquent les discussions, faisons-lui confiance. Par ailleurs, toutes les religions prônent le pardon. Pourquoi ne pas aller vers cette vertu? Pourquoi ne pas faire la paix à l’image de l’Afrique du sud comme a pu le faire Nelson Mandela?
Quid de l’irrédentisme touareg ?
Le sous-développement ne peut pas justifier la prise des armes au nord du Mali. Certaines localités du sud sont moins développées que le nord. Ces gens ont-ils pris les armes ? Non. Malgré tout, ils ont l’amour de leur patrie. Même si l’Etat goudronne toutes les routes du nord, cela va -t-il suffire ? Je pense que la question mérite d’être débattue. Outre le développement, l’Etat doit mettre l’accent sur l’éducation.
Les chances de réussite des enfants dans nos régions sont très faibles. Ces jeunes rencontrent toutes sortes d’aventuriers et la récupération est facile. Il faut occuper ces jeunes, les rendre utiles à quelque chose.
Propos recueillis par Abdoulaye DIARRA