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Oumou Sangaré à propos de la paix au Mali : « Je souffre parce que mon pays se déchire. Je suis déçue de la classe politique et des militaires »
Publié le samedi 14 juillet 2012   |  Bamako Hebdo


Oumou
© Autre presse par DR
Oumou Sangaré , Artiste malienne


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Pour l’une des rares fois, la diva Oumou Sangaré monte au créneau pour dénoncer le comportement des hommes politiques maliens, de certains leaders religieux et des militaires. La crise que connaît notre pays devrait être l’occasion pour tous les Maliens de souffler dans la même direction pour affronter l’ennemi commun. Mais à sa grande surprise, la division gagne du terrain. Notamment dans la classe politique et dans les rangs des militaires. Nous l’avons rencontrée dans son hôtel à la veille de sa tournée européenne. C’est une interview exclusive qu’elle a accordée à Bamako Hebdo.

Bamako Hebdo : On constate que vous êtes en train de faire vos bagages, vous quittez le Mali ?

Oumou Sangaré : Je dois entamer une tournée européenne. Je pars ce soir. Ma tournée commence par l’Italie et se poursuivra en Suède, au Danemark, en Allemagne, en Hollande, en Angleterre et en France.
Cette fois, je marcherai la tête basse en Europe, parce qu’avant et après chaque spectacle, les journalistes courent derrière moi pour demander : » Oumou comment va ton pays ? Comment ça va ? Je ne saurai plus comment répondre pour cette fois. Je suis déçue par la classe politique, je suis déçue par les militaires maliens. Au moment où ça ne va pas dans un pays, tout le monde devrait se souder. La classe politique devrait se rassembler comme un seul homme pour parler d’un seul langage. Les militaires maliens devraient consolider plus que jamais leurs rangs pour combattre l’ennemi.
Ces moments ne sont pas des périodes de discorde au sein de l’armée. C’est elle qui aurait du montrer le bon exemple. Mais si l’armée se trompe d’ennemi ça ne peut que conduire à des situations pareilles. Et l’ennemi qui est au nord en profite pour donner à cœur joie, parce qu’il n’est pas inquiété. Quand il y a une fissure sur le mur, le margouillat pénètre. Nous ne devons pas accepter cela, nous devons nous donner la main. Il faut que la classe politique et les militaires oublient les querelles internes pour penser au Mali. Le peuple est vigilant.

Que proposez-vous pour une sortie de crise ?
Je demande à tous de s’unir, de s’asseoir et de se parler. Il faut penser au Mali qui a été bâti par nos parents, ce Mali de Modibo Keïta. C’est une honte de constater que nous sommes en train de détruire le lourd héritage légué par nos parents. Il ne faut pas qu’on détruise cet héritage, on ne doit pas aussi accepter qu’on le détruise devant nous.

Pendant votre tournée européenne, avez- vous pensé à lancer des messages ?
Ça c’est naturel. Je vais lancer des messages pour la paix et pour mobiliser la communauté internationale pour le Mali. Nous avons besoin de l’aide de tout le monde, nous devons être assistés, nous devons écouter tout le monde. Mais on ne peut être aidé qu’à la seule condition qu’on ne soit pas dispersé. On est dispersé aujourd’hui. C’est ce qui me fait le plus mal. C’est ce qui m’inquiète. Dans une famille quand ça ne va pas et lorsque l’ennemi rentre, toute la famille se retrouve pour le combattre. En ce moment nous taisons nos egos, nous faisons face à l’ennemi, si on finit le combat, on peut revenir à nos habitudes.

L’ennemi risque de venir à bout de nous si on ne change pas. Les militaires s’entredéchirent sur de simples détails. Les hommes politiques pensent que c’est le moment où jamais d’accéder au pouvoir. Aucune action concrète n’est menée pour libérer le nord. Le choléra fait des victimes à Gao, les islamistes détruisent Tombouctou. Vraiment je suis blessée. C’est comme si on nous a poignardé dans nos cœurs. Nous sommes tous blessés.

Le hic est que les militaires ne donnent aucun signe d’espoir, le gouvernement n’en parlons pas, c’est la grande déception. Je ne reconnais plus nos militaires et hommes politiques. On marche la tête basse, vous ne pouvez pas imaginer. Surtout pour quelqu’un qui parcourt le monde. Le Mali était cité en exemple comme un modèle de démocratie en Afrique. Mes interlocuteurs surtout des journalistes étaient souvent surpris de notre parcours démocratique. J’étais tellement fière, mais comment je vais répondre maintenant, qu’est ce que je vais leur dire ?

Est – ce la raison pour laquelle, vous avez chanté la paix ?
Je veux la paix, on ne veut pas de la guerre chez nous. J’ai vu et entendu la guerre dans les autres pays, mais je ne pouvais pas imaginer que cela pouvait nous arriver. On se croirait dans un rêve.
La guerre au Mali, la division de notre pays en deux ça me dépasse. C’est pourquoi j’ai réfléchi et je me suis dis qu’est ce que je dois faire pour me faire entendre ? Donc j’ai écri la chanson intitulée la paix avec Alassane Soumano et Barou Diallo.
Si on a une arme c’est ça. En plus des aides et soutiens qu’on donne à nos frères venus de nos régions assiègées par nos ennemis, le rôle des artistes est de s’exprimer.

Vous venez d’être classée 9ème femme la plus puissante d’Afrique par un magazine américain ?
Ce n’est pas moi qui ai eu cette consécration mais mon pays le Mali. Surtout les femmes qui se battent à longueur de journée à la corvée, ce sont elles aussi les plus grands bénéficiaires.
A travers ma personne, ce sont elles qui sont honorées. L’Afrique est grande, si par-dessus tout, on prend une Malienne comme 9ème au classement général, cela fait du baume au cœur. C’est ça aussi le Mali. Je dédie ce trophée à toutes les braves femmes du Mali.
Malgré ce trophée, apparemment vous êtes révoltée contre la classe politique et les militaires ?

Les hommes politiques parlent en notre nom, parce que leur base c’est le peuple. Les militaires sont payés par le contribuable malien. On ne peut pas s’asseoir et les laisser nous trimbaler. Je suis permanemment au Mali depuis le début de cette crise. Je ne dure plus à l’extérieur chaque fois que je sort. Après chaque concert, les gens me sollicitent soit pour venir à Paris, à Londres ou en Suisse.
J’ai toujours dit non, je reviens au Mali, parce que ça ne va pas dans mon pays. Tout le monde ne peut pas quitter le pays. Les enfants souffrent dans le nord, les femmes sont violées, agressées et martyrisées, on tue les enfants, on détruit nos églises, nos mosquées, nos tombes et mausolées, on ne pourra jamais être serein tant qu’il y a cette situation. Il faut que cela cesse.

Au delà des dons, des soirées et des condamnations, que comptent faire les artistes maliens?
Nous avons commencé à nous mobiliser. Nous avons eu des réunions et dans les jours à venir les lignes vont bouger. Mais pour le moment nous faisons de la sensibilisation pour dire aux gens ce qu’ils doivent faire.
Parce que nous sommes la voix des pauvres, les sans voix. On supplie la classe politique, on supplie les militaires maliens de s’unir pour aller libérer le nord de notre pays, c’est tout ce que nous nous avons à dire. Et nous sommes dans notre droit, parce qu’il s’agit de notre pays.

Avez-vous un mot de la fin ?
Juste pour dire que nous sommes la voix du peuple. Nous sommes en contact direct avec la population, les gens viennent nous voir pour nous dire ce qui se passe. Avant mon dernier voyage, j’ai reçu un groupe de métisses touarègues. Ils étaient venus dans mon hôtel les larmes aux yeux : Oumou on est venu non seulement pour te dire merci pour ta chanson sur la paix, mais aussi pour nous confier à toi. Si on va au nord on nous traite de bambara, de malinké ou peul. Ici à Bamako on nous traite de rebelles. Je leur ai dit, qu’ils ne vont nulle part. Ici c’est notre pays à nous tous, on va se battre contre l’ennemi.

Les Maliens ne doivent pas penser que tous les touarègues, arabes sont des ennemis et des rebelles. Tel devrait être le travail des journalistes. Il faut que chacun joue son rôle, en sensibilisant les gens contre cette stigmatisation. Beaucoup de personnes souffrent de cela à Bamako.
Certains ne peuvent même pas sortir. Les Maliens doivent s’unir, la classe politique doit faire autant. Il faut mettre de côté les histoires de galons, bérets. Ça ne nous mène nulle part. Tant que le nord n’est pas libéré, tout le reste n’est que du verbiage. Agissons en responsable.

Réalisé par Kassim TRAORE

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