Peu de temps avant le coup d’Etat du 22 mars, nous avions rencontré Zeidane Ag Sidalamine, ex-Coordinateur des Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad (MFUA) et ex-Secrétaire général du Front Populaire pour la Libération de l’Azawad (FPLA) (22 Septembre du 8 mars 2012). Dans l’interview qu’il a bien voulu nous accorder en fin de semaine dernière, Zeidane Ag Sidalamine revient sur le conflit au Nord du Mali, la crise institutionnelle qu’il a engendré et le rôle de la CEDEAO dans la recherche d’une solution durable.
22 Septembre: Le bihebdomadaire 22 Septembre a fêté son 3ème anniversaire le 13 juillet dernier. Vous en êtes un fidèle lecteur et, surtout, un important contributeur à travers vos réflexions. Quelle appréciation faites-vous de notre journal?
Zeidane Ag Sidalamine: Je vous remercie tout d’abord de m’associer à cet anniversaire. Je suis enseignant de formation et je note durement. Pour nous, enseignants, les notes sont en quelque sorte un doit de veto au plan pédagogique. Je tiens à vous dire que le bihebdomadaire 22 Septembre est un très bon journal. Depuis sa création, il a enrichi le paysage médiatique malien. Il est écrit avec beaucoup de rigueur, beaucoup d’objectivité, et il a une présentation sur papier acceptable. C’est aussi l’un des rares journaux en ligne, ce qui lui donne une grande capacité de diffusion. Le Directeur de Publication, ainsi que tous ses collaborateurs, sont à féliciter. Trois ans, c’est peu. Mais 22 Septembre est déjà dans la cour des grands. Comme le dirait l’autre «aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années».
Depuis le 17 janvier, le Nord du Mali est en proie à une crise sécuritaire jamais égalée. Près de sept mois après le début du conflit, où en sommes-nous actuellement?
Je pense que les menaces sont restées intactes sur la carte sécuritaire du Mali. Je préfère parler du Mali entier. En mars, quand nous nous rencontrions pour une autre interview, je vous disais que les menaces étaient au nombre de trois. Et elles n’ont pas varié. Il y a le narcotrafic, qui occupe nos terroirs, l’extrémisme religieux, qui occupe nos terroirs et nos consciences, et la rébellion, qui occupe une partie de notre territoire. Ces trois menaces continueront à planer sur le Septentrion malien tant qu’il n’y aura pas une véritable solution de sortie de crise.
On dit souvent qu’entre deux maux il faut choisir le moindre. Entre les islamistes et le MNLA…
Je ne pense pas devoir quitter le choléra pour accepter de contracter la peste. Ou vice versa. L’erreur du MNLA est d’avoir toujours eu un discours indépendantiste et séparatiste. Il l’a démontré en proclamant, de façon unilatérale et au plus grand mépris du peuple malien et des populations du Nord du Mali, dont la majorité est Songhoï et Peuhl, une République dite de l’Azawad. Toute résistance républicaine, citoyenne ou militaire venant des Songhoï ou des Peuhls ne peut pas être condamnée, car c’est une résistance pour l’identité, c’est une résistance pour la dignité, c’est une résistance pour l’honneur. La ville de Gao, où j’ai étudié au lycée, est une ville sonhgoï. Ce n’est ni une ville tamasheq, ni une ville arabe, encore moins une ville arma. Le tombeau des Askias est une signature ADN sur le plan culturel de la civilisation songhoï. Les islamistes, eux, veulent faire du Mali une République islamique. Le Mali sera toujours une terre d’Islam, mais le Mali ne sera jamais une république islamique. Nous sommes dans une République laïque, indivisible et sociale. Considérer, revaloriser, améliorer, soigner l’apport de l’islam au niveau de nos terroirs de base n’est pas choquant. Ce qui est choquant, c’est de vouloir établir une République des Mollahs dans les limites territoriales du Mali actuel.
Quand on entend vos propos, on a l’impression qu’il est impossible de négocier avec ces différents groupes tant qu’ils restent sur leurs positions…
Je suis un adepte du dialogue. Ma conviction la plus ferme est qu’il faut négocier avec ceux qui acceptent de respecter deux préalables indiscutables: l’intégrité du territoire de la République du Mali et la laïcité de l’Etat malien. Ce sont les deux lignes rouges qu’aucun groupe, quel qu’il soit, ne doit franchir.
Au Sud, depuis le 22 mars, on connaît une crise sociopolitique. Quelle lecture en faites-vous?
Je voudrais, une fois de plus, sortir des appellations Nord et Sud pour dire le Mali. Tout ce qui touche Bamako touche le Mali, car la capitale est le baromètre national. Nous avons connu le coup d’Etat du 22 mars, qui a fait son chemin. Nous avons aujourd’hui une équipe gouvernementale qui est différemment appréciée par les bords politiques. Il y a ceux qui sont contre et d’autres qui apprécient son travail. Pour moi, le plus important est de se mettre d’accord pour sauver le Mali. Le Mali d’abord, avant les partis politiques, les guerres de clocher, les egos. Aujourd’hui, plus que jamais, il est question du Mali avant tout. Tout le monde doit aller dans ce sens.
Dans cette crise sociopolitique et sécuritaire, quelle place, selon vous, doit occuper la CEDEAO?
J’ai vu une certaine tension se créer autour des différentes actions de la CEDEAO. Je crois que la CEDEAO ne peut pas être une organisation étrangère au Mali, comme le Mali ne peut pas être étranger à la CEDEAO. Nous en sommes membre fondateur. Le Mali a ratifié tous les accords et traités de l’espace CEDEAO. Nous sommes donc tenus d’honorer toutes les feuilles de route, en commun accord avec l’organisation ouest-africaine. Pour moi, le débat est inutile et parfois injustifié. Je voudrais aussi rappeler que les Maliens ont participé à plusieurs missions dans le cadre de la CEDEAO. Avec les militaires maliens nous avons été au Libéria, en RDC, au Burundi, au Rwanda ou en Sierra Léone. Nous intervenons ailleurs et nous ne voulons pas que les gens viennent nous aider quand nous avons des problèmes. On ne peut pas aimer une chose et son contraire. Soit on a un idéal panafricain, soit on ne l’a pas.
Nos lecteurs nous demandent très souvent si, avec le recul, vous n’avez pas peur des positions que vous prenez vis-à-vis des militaires, des rebelles, des islamistes…
Je vous assure que je n’ai pas peur du Capitaine Sanogo, car c’est un Malien. Je n’ai pas peur du Premier ministre Cheick Modibo Diarra, car c’est un Malien. Je n’ai pas peur des rebelles et des islamistes qui sont de nationalité malienne. Nous sommes obligés de construire ce pays de façon positive. Je ne me sens en insécurité ni à Bamako ni à Kati, absolument pas.
Certains de nos compatriotes ont pourtant choisi l’exil…
Ce n’est pas le bon choix. On n’abandonne pas Rome quand Rome brûle. On ne doit pas quitter le Mali quand il brûle. On doit y rester et apporter sa pierre au chantier. J’ai décidé de vivre et de mourir au Mali, dans la paix et dans la dignité. C’est un choix délicat et difficile, mais il y a des morts qui sont aussi une forme de grandeur. Mourir pour l’amour du Mali, pour son intégrité territoriale, pour la convergence de ses religions et pour sa solidarité est une forme de grandeur.