Le désormais ex-ambassadeur de Palestine au Mali, le Doyen Abderrahim Abou Rabah, le grand ami du Mali a fait prévaloir ses droits à la retraite fin décembre dernier. Juste avant le terme de cette riche et longue carrière diplomatique de 33 ans au Mali, sur 48 ans d’exil, nous l’avons rencontré à domicile le dimanche 29 décembre 2103 pour un entretien à bâton rompu. Suivez !
Arrivé le 30 octobre 1980 au Mali, le tout nouvel Ambassadeur de l’Etat de Palestine Son Excellence Monsieur Abderrahim Abou Rabah a présenté ses lettres de créances le 27 novembre 1980 au Président Moussa Traoré à Kati où siégeait la Direction du Parti. Mais son arrivée au Mali a une histoire.
En effet, en 1962, dans la classe, le professeur d’Histoire et Géographie parle de l’indépendance du Mali en donnant les caractéristiques du pays et de ses populations parmi d’autres pays africains sur deux cartes. Le jeune Abou Rabah a été marqué par les propos concernant le Mali. En plus, c’est lui que le professeur désigne pour refaire et agrandir les deux cartes (géographique et politique) de l’Afrique.
En janvier 1966 et tout au long de cette année, ce fut des rencontres avec des jeunes maliens en Algérie dont le premier était (l’étudiant marié) Dioncounda Traoré et son épouse, ainsi que Feu Louis Bastide et Nouhoun Diakité (plus tard Ambassadeur)…
En 1969, Abou Rabah est membre du bureau des étudiants palestiniens où il commence la diplomatie à travers ses fonctions de Secrétaire aux Relations Extérieures au Maroc et en Algérie, chaque mois il réalisait un document de 20 à 30 pages sur la Palestine.
C’est en janvier 1973 qu’Abou Rabah est arrivé à Dakar comme Premier Secrétaire à l’Ambassade de Palestine au Sénégal, première représentation africaine subsaharienne. Une semaine à peine installé, il part en Guinée en compagnie de l’ambassadeur pour assister aux obsèques d’Amilcar Cabral. Le Président guinéen de l’époque, Ahmed Sékou Touré les prend dans sa voiture du cimetière au Palais présidentiel pour des échanges. Suite à cette rencontre, Sékou Touré a non seulement donné son accord pour l’ouverture d’une représentation diplomatique à Conakry, mais a encouragé ses hôtes à étendre la représentation palestinienne à d’autres pays africains. C’est dans cette dynamique qu’il a été question d’écrire au gouvernement malien pour établir une relation diplomatique. Cette lettre a été écrite et signée par Abou Raba, et la réponse a été positive. Une délégation arrive à Bamako au nom de Yasser Arafat en 1974.
En 1979/80 à Tunis, Abou Rabah est Adjoint à l’Ambassadeur et responsable des communications. Il est question d’envoyer un Ambassadeur au Mali. Le proposé au poste se cache. Abou Rabah accepte de bon gré et est envoyé au Mali le 30 octobre, pour y être accrédité le 27 novembre 1980.
Le 29 novembre 1980, journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Feu Me Alioune Blondin Bèye, organise une réception pour déclarer à l’ensemble du corps diplomatique que le nouvel Ambassadeur représente l’OLP (Organisation pour la Libération de la Palestine) et la Palestine et bénéficie de tous les privilèges et l’immunité diplomatiques comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. C’était très courageux à cette époque d’affirmer que le Mali considère souverainement le représentant de l’OLP et de la Palestine comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.
Le Doyen quitte ses fonctions après 33 ans de services loyaux, mais reste au Mali, son second pays selon lui-même. Pour votre gouverne, c’est depuis juillet 1987 qu’il assure la fonction de Doyen après celui de Doyen par intérim du corps diplomatique à la suite d’un Mauritanien élu député et qui n’est plus revenu.
Abou Rabah a six enfants dont quatre garçons et deux filles parmi lesquels quatre sont nés au Mali. Il est aujourd’hui grand-père. Toute la famille maîtrise le bambara après tant d’années d’échanges, de collaboration, de lutte, de partage, de vie commune avec les Maliens.
Les bons souvenirs
A la question de savoir quels sont ses bons souvenirs, le Doyen répond: » Ça s’est bien passé pour moi au Mali à tous les niveaux. Mon séjour a été marqué par une adoption du peuple malien et de ses dirigeants dont les Présidents de Moussa Traoré à Ibrahim Boubacar Kéïta. Tous ont pris à bras le corps la question palestinienne et j’ai bénéficié d’une hospitalité particulière, d’un soutien et d’une solidarité indéfectibles de la part de tous les Présidents du Mali que j’ai eu l’honneur d’accompagner, y compris le Président IBK. J’ai eu l’honneur et le privilège d’être considéré comme un frère à tous les niveaux, officiel et populaire. Ce qui m’a beaucoup touché. C’est par reconnaissance, gratitude que ma famille et moi nous avons décidé de continuer ma vie de retraité au Mali, tout en espérant un jour, une fois que la Palestine est libre et indépendante, libérée de l’occupation israélienne, que je puisse vivre en Palestine.
Le samedi 28 décembre dernier, j’ai été reçu par le Président IBK qui m’a rassuré de son amitié et de sa fraternité. Je l’ai informé de ma décision de continuer ma vie au Mali, par gratitude et reconnaissance à l’égard du Mali et de sa position de soutien à notre pays pour son indépendance. Il m’a toujours dit »mon frère » et je suis fier de cette fraternité malienne « .
Le mauvais souvenir
» Le seul point qui a pincé mon cœur et m’a blessé, moi en tant que Palestinien et militant depuis 48 ans que je suis en exil, c’était de voir le Mali agressé et occupé dans sa partie septentrionale par des groupes étrangers. Cette agression, doublée d’un coup d’Etat militaire, n’a fait que sombrer le Mali et son histoire. Et a exposé le Mali à un jeu de stratégie internationale. J’ai le grand espoir que le peuple malien et ses leaders politiques, unis derrière le Président élu, pourront faire sortir le Mali de cette crise et surtout sauvegarder son unité, son intégrité territoriale et sa souveraineté « .
Relations Mali – Palestine
Malgré le fait que l’OLP et la Palestine soient en lutte continue pour libérer le territoire palestinien de l’occupation israélienne, le Mali et la Palestine ont signé un accord de coopération politique, économique, technique et de formation au mois de mai 1985, englobant notamment une coopération dans le domaine de la formation dans l’enseignement supérieur, dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’agriculture.
La Palestine a construit et meublé douze classes d’enseignement général (six classes dans la zone de Mandé et six classes à Bamako), construit un terrain de basketball au quartier Hippodrome pour les jeunes. La Palestine a formé une vingtaine d’étudiants maliens à l’Institut d’infirmerie d’Etat Falouga basé au Caire, spécifiquement pour les Palestiniens, les Maliens étaient l’exception. Ces vingt Maliens ont été boursiers complets durant les quatre ans de formation académique. Il y a eu un programme de jeunes maliens et africains et palestiniens pour des colonies de vacance qui a été exécuté durant quatre ans (1987 à 1990) lors des vacances scolaires et le Mali a été le mieux loti avec 13 enfants maliens entre 12 et 16 ans, une fois au Caire, une fois au Ghana et deux fois au Zimbabwe. Chaque année, il y avait 3 à 4 enfants maliens contre 1 enfant pour chaque pays autre. Les enfants ont reçu un diplôme de formation en informatique.
Il y a eu également un programme spécial de formation des étudiants de l’INA (Institut National des Arts) qui a duré quatre ans, au cours desquels d’éminents professeurs peintres palestiniens venaient enseigner l’art plastique aux étudiants de l’Institut. 320 étudiants ont bénéficié de ce programme. Durant la formation d’une semaine, chaque étudiant sortait avec deux tableaux dont les meilleurs faisaient l’objet d’une exposition. Il y avait un équipement de kits personnel pour chaque étudiant, plus l’équipement de salle d’une trentaine de tableaux de dessins, plus une bibliothèque. Ce qui a donné un essor à la promotion de l’art plastique au Mali. Chaque étudiant à partir de la première année pouvait imprimer lui-même son tableau avec une technique spéciale. C’était à la charge du Président Arafat.
Dans le domaine de la santé, l’Etat de Palestine a ouvert un centre de santé à Bamako, équipé par la Palestine et dirigé par des médecins palestiniens et maliens. C’était important puisqu’il a incité d’autres partenaires à s’occuper du domaine.
De plus, dans le domaine politique, il y a eu un échange extrêmement important et vivace surtout à travers les visites qu’effectuait le leader palestinien Yasser Arafat de 1984 jusqu’en 2000, 13 voyages au Mali, et la visite de Mahmoud Abbas en mars 2008. Sans oublier les échanges parlementaires où l’Assemblée Nationale du Mali a participé aux trois congrès du Conseil National palestinien à Damas, à Amman en Jordanie et à Alger lors de la proclamation de l’Etat indépendant de Palestine en 1988.