le Mali ne s’en sortira que s’il juge tous ceux qui se sont rendus coupables d’exactions dans le pays, qu’ils soient djihadistes, rebelles touareg ou soldats de l’armée régulière
Comme la majorité des habitants du Nord-Mali, qui ne constituent que 10 % de la population totale du pays (16 millions, NDLR), Shindouk Ould Najim est un nomade, aux traditions culturelles bien spécifiques.
« Les sociétés nomades sont quasiment féodales, avec une hiérarchie sociale très stricte allant des nobles aux personnes de statut servile », explique Jean-Luc Peduzzi, spécialiste des questions de sécurité dans la bande sahélo-saharienne et coauteur du livre aux côtés de la chercheuse Laurence Aïda Ammour.
Discriminations
À l’inverse, les populations du Sud, en majorité noires, demeurent sédentaires. « Le Mali a démarré sur de mauvaises bases », souligne Shindouk, qui ne se dit « ni séparatiste, ni islamiste, mais malien ». « Différences de race, de culture et de mode de vie, encore de nos jours, quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a souvent l’impression qu’ils parlent d’un autre pays », note-t-il. Habitant une zone désertique qui forme les deux tiers du pays, les Touareg estiment être marginalisés par l’administration centrale.
« Le premier gouvernement du Mali indépendant était un régime socialiste d’inspiration stalinienne », rappelle Jean-Luc Peduzzi, qui relaie dans le livre les paroles de Shindouk. « Il considérait les nomades comme un peuple primitif moyenâgeux, ennemi du progrès. Tout l’opposé de l’homo sovieticus, modèle lointain qui inspirait, à cette date, les dirigeants maliens. » Shindouk raconte que les nouvelles autorités du Mali indépendant multiplient alors les mesures discriminatoires ayant pour but de « civiliser » ces populations. Interdiction d’entrer dans les villes à la nuit tombée, arrestations, amendes ou confiscation de marchandises, l’humiliation subie par les nomades était trop lourde.
Exil
Excédés par ces traitements, les Touareg de Kidal (ville de l’extrême Nord malien, NDLR) se soulèvent en 1963. La première rébellion touareg est née. Trois autres suivront, en 1991, en 2006 puis en 2012. Chaque fois, la révolte est durement réprimée par l’armée malienne. Shindouk parle même d’ »épuration ethnique ». « Il s’agissait plutôt d’une volonté de mater une communauté dissidente », tempère Jean-Luc Peduzzi. Des dizaines de milliers de « teints clairs » – c’est ainsi que les Maliens nomment les populations arabes et touareg du Nord – fuient en direction des pays voisins. Shindouk en fait partie. Pendant cinq ans (1991-1996), il n’a d’autre choix que de s’exiler dans des camps de réfugiés, en Mauritanie.
« Pour la première fois depuis l’indépendance, nous avions le sentiment d’être respectés », souligne-t-il. De retour à Tombouctou, Shindouk Ould Najim se lance dans le tourisme et crée son agence de voyage, Sahara Passion. « Avec le retour de la paix, j’ai commencé à organiser des visites de la ville, puis des circuits dans le désert, de plus en plus loin, à pied ou à dos de dromadaire », raconte-t-il. C’est à cette occasion qu’il rencontre Jean-Luc Peduzzi, alors attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Bamako, à qui il va faire découvrir les joyaux du désert malien. « Nous passions des heures, la nuit, dans le désert à contempler les étoiles », se souvient le commissaire. « C’est lui qui m’a donné le goût du désert, univers où j’ai beaucoup voyagé par la suite. »
Abandon du Nord
En 2004, Shindouk rencontre Miranda, une Américaine de retour de Mauritanie où elle a appartenu aux Peace Corps, de jeunes volontaires envoyés par Washington en Afrique pour favoriser la paix et la fraternité en Afrique. Ils auront un fils, Najim. Et en dépit de la signature en 1992 du Pacte national de réconciliation avec le Nord, la condition des Touareg ne s’améliore pas. « Les populations de l’Azawad ont gardé l’impression d’avoir été négligées et traitées de façon injuste par le pouvoir central », explique Shindouk.
Abandonné par Bamako, le Nord-Mali développe une véritable économie parallèle. Traditionnel carrefour des routes commerciales transsahariennes, la région devient zone de tous les trafics. « L’État n’avait pas les moyens d’assurer sa souveraineté sur la région et a laissé tomber le Nord, qui est devenu, de facto, un véritable Far West », indique Jean-Luc Peduzzi. Tout d’abord théâtre de la contrebande de cigarettes, de voitures ou de migrants, le désert malien sert bientôt de zone de transit aux convois de cannabis et de cocaïne. À la fin des années 1990, la région voit débarquer le fléau djihadiste.
Contrairement à ses anciens camarades, Iyad Ag Ghali n’a pas de visée séparatiste, mais souhaite au contraire appliquer la charia dans l’ensemble du pays. Un but qui va permettre à Ansar Dine de bénéficier du soutien d’Aqmi. « N’oubliez jamais que les civilisations du désert sont celles de la survie », pointe Jean-Luc Peduzzi. « Les alliances se nouent et se dénouent vite, au gré des situations, avec beaucoup d’opportunisme. » Bien qu’opposés dans leurs objectifs, les deux groupes touareg du MNLA et d’Ansar Dine vont combattre côte à côte début 2012. Le 24 janvier, les insurgés s’emparent de la localité d’Aguelhok.
Des dizaines de jeunes militaires maliens sont froidement exécutés. Les images du massacre, diffusées sur Internet, choquent le pays. Informé de la chute imminente de Tombouctou, Shindouk décide en mars 2012 de fuir in extremis avec sa famille. « Sa maison étant surnommée à Tombouctou l’ambassade des Toubabs [Blancs], il n’avait d’autre choix que de partir », souligne Jean-Luc Peduzzi.
Le guide malien réapparaîtra quelques jours plus tard, dans un e-mail. En pièce jointe du message, la photo du chef touareg en tenue traditionnelle, au beau milieu d’un paysage enneigé. Shindouk s’est réfugié au Canada, en Nouvelle-Écosse, chez sa belle-famille.
Déjouant tous les pronostics, l’élection a pu se tenir dans tout le pays à l’été 2013 et a consacré Ibrahim Boubacar Keïta, un ancien Premier ministre. Or, le 26 septembre, le MNLA a annoncé à la surprise générale qu’il suspendait le dialogue avec Bamako, accusant le pouvoir de ne pas respecter sa parole, ce qui a précipité les derniers heurts. Quant à Shindouk, il garde les yeux rivés sur son pays natal, toujours réfugié à quelques milliers de kilomètres de là.
Pour lui, le Mali ne s’en sortira que s’il juge tous ceux qui se sont rendus coupables d’exactions dans le pays, qu’ils soient djihadistes, rebelles touareg ou soldats de l’armée régulière. « Sans justice, le pardon ne sera pas possible et il n’y aura pas de vraie réconciliation », insiste-t-il.
Enfin, après une présidentielle réussie et les 3,25 milliards d’euros d’aide promis par la communauté internationale, le chef touareg milite pour l’instauration de nouvelles pratiques responsables intégrant la société civile dans la reconstruction du pays, au nord comme au sud du Mali.
Si les troubles que connaît le Mali ne lui permettent pas, pour l’heure, de rentrer, Shindouk Ould Najim sait qu’il reprendra bientôt la route du voyage. Il ne peut en être autrement : il reviendra à Tombouctou.