On a dit et redit que le Mali est un pays qui halète encore à cause de l’inconfort sécuritaire et institutionnel dans lequel l’a précipité la rébellion MNLA ayant charrié la horde de barbares d’AQMI, du MUJAO et d’ANSARDINE. On a aussi dit que ce qui est arrivé à ce pays n’est pas simplement une question de terrorisme ou de rébellion, mais aussi celle d’une vacuité politique et d’une faiblesse de l’Etat. Un Etat brisé par la corruption, le népotisme, l’incompétence des dirigeants, et la kleptocratie. Un Etat dont les citoyens, offensés dans leur dignité et leur honnêteté, avaient fini par se coucher, s’en remettre…à Dieu.
Ce sont là des constats auxquels on ne doit rien enlever. C’est vrai, malgré l’instabilité dans laquelle marinent les populations de Kidal, le Mali commence à « décoller », avec les élections présidentielles et législatives qui ont permis de franchir un pas énorme sur le chemin de la sortie de crise. Les Maliens ont voté, et attendent maintenant le « Mali Kura (le nouveau Mali) », débarrassé de la corruption, de l’injustice, et où il y aura une revanche sur les profiteurs du régime d’ATT, et ATT lui-même. Les Maliens, qui se sont sentis trompés et trahis, attendent de IBK qu’il juge tous ceux qui sont impliqués dans le pillage concerté de l’Etat malien.
Ces derniers temps, un communiqué de presse du gouvernement a fait du boucan, et vaut aujourd’hui au président Ibrahim Boubacar Keïta des accusations de toutes sortes lui attribuant même « un désir de vengeance». « Le gouvernement informe l’opinion publique nationale et internationale que l’Assemblée Nationale, siège de la Haute Cour de Justice, vient d’être saisie par la lettre n°285/PG-CS du 18 décembre, d’une dénonciation des faits susceptibles d’être retenus contre Amadou Toumani Touré, ancien président de la République pour haute trahison. », peut on lire dans le préambule du communiqué. Aussitôt publié, aussitôt placé au centre des polémiques dans la presse. Chacun y va de son commentaire, quitte à surenchérir. « …Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas changé d’un iota. Au contraire, il vient de prouver aux Maliens qu’il est animé par un sentiment de revanche (vengeance ?) sur l’histoire récente du pays. Cette vengeance le sert-il ? Cette vengeance sert-elle les Maliens qui cherchent à se réconcilier et à construire un pays meurtri et détruit ? (…) Que l’on ne s’y trompe guère, l’éventualité d’une poursuite contre ATT n’obéit qu’à une logique : celle d’humilier et de régler des comptes… » s’interroge et s’indigne le journal L’Aube dans un article digne d’un avocat du diable. Après lecture, j’ai tout de suite pensé à cette phrase de Tahar Ben Jelloun dans son roman « L’Auberge des pauvres » : « Dire ‘’oui’’ à tout et à tout le monde, c’est comme si on n’existait pas. » C’est pourquoi, je refuse de dire ‘’oui’’ à cet article, j’use de ma liberté d’expression et de ma liberté de presse pour dire qu’il n’y a vraiment pas lieu de voir dans cette décision du gouvernement un sentiment revanchard ou une volonté d’humilier ATT et son establishment. Que c’est vraiment insulter notre intelligence que d’établir un rapport entre la réconciliation nationale et le procès visant ATT. En l’espèce, il s’agit plutôt d’appliquer cette formule lancée par Thomas Sankara, le 19 octobre 1983, lors du ‘’Procès des affameurs du peuple’’ : « Nous jugeons un homme pour rétablir des millions d’hommes dans leurs droits. Nous sommes, par conséquent, de fervents défenseurs des droits de l’homme et non des droits d’un homme. A la morale immorale de la minorité exploiteuse et corrompue, nous opposons la morale révolutionnaire de tout un peuple pour la justice sociale. (1) »
Oui, je suis d’accord avec Sami Tchak lorsqu’il écrit dans « La Fête des masques » ( p.62) : « Et c’est pure incapacité ou paresse que de peindre le pire des ennemis exclusivement par ses travers répugnants, alors que l’ennemi, même s’il offre toutes les raisons d’être haï, demeure le frère de l’homme ». C’est pourquoi, je ne résiste pas à l’envie d’écrire qu’ATT n’a pas été qu’un président pantin, sans autorité, mais qu’il a eu le malheur aussi de s’entourer d’incompétents et d’inconscients, qu’il a fait de bonnes choses. C’est vrai, les Maliens veulent se réconcilier, se pardonner. Mais je n’admets pas que mes confrères, tels des matamores, essayent de dédouaner ATT, qualifient d’inopportune et de revancharde la décision du gouvernement de juger ATT. ATT doit être jugé, tout comme Sanogo et tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir commis des crimes, et ce, quel que soit le crime, c’est à dire toute action condamnable par la loi.
Par ailleurs, il est difficile de ne pas dire que le délire provoqué par ce sujet pose aussi la question de l’indépendance de la presse. On sait que quand elle parle, c’est le plus souvent pour détourner l’attention des problèmes fondamentaux, et cela, à cause du per diem, ce « traquenard qui paralyse la plume et la voix des journalistes ». La presse s’agite au sujet de Sanogo, de ATT, mais son silence est assourdissant quant au prix du riz, de la viande, du poisson qui n’a pas baissé d’un iota, et que l’on patauge encore et toujours à Kidal, que….
Ah, le journalisme alimentaire !
(1) Justice du peuple chez Sankara, Grands procès de l’Afrique contemporaine, J. A, Sennen Andriamirado
Boubacar Sangaré
Les Surtitre, Titre et Chapeau sont de la Rédaction