Si le règne de la justice et la promotion de la bonne gouvernance sont appelés de tous les vœux des Maliens comme ingrédients nécessaires du changement auquel ils aspirent, les règlements de compte personnels n’y contribueront pas. En enjoignant aux magistrats de mettre à tout prix un citoyen malien aux arrêts, malgré l’avis contraire de ces derniers, le ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily risque de torpiller la politique de justice égale pour tous » du chef de l’Etat, le premier magistrat du pays.
Les magistrats, dont on connaît la solidarité légendaire face à toute adversité, viennent de sonner le tocsin en vue de se prépare à tomber à bras raccourci sur le ministre Mohamed Aly Bathily. Motif : le téméraire ministre de la Justice a osé traiter le Procureur général près la Cour d’Appel, Daniel Amagoin Tessougué » de curiosité intellectuelle, d’irresponsable et manquant de bon sens « . En couvrant ainsi d’injure la pire des têtes brûlées des magistrats maliens, l’avocat Bathily a jeté une pierre dans un essaim d’abeilles.
D’abord, la convergence de vue entre le Procureur général et son collègue Procureur du Pôle économique, Mohamed Sidda Dicko dans l’affaire Adama Sangaré est une réalité qui a toute les chances d’être contagieuse. Les juges ont quasiment signé un pacte d’assistance pour se soutenir face à toute autorité. Si M. Bathily veut coûte que coûte voir le maire du district Adama Sangaré en prison, les deux juges, plus collés aux faits, sont d’avis contraire. Les attributions de parcelles incriminées dans l’affaire ayant été annulées par la Cour suprême. Relent de compte personnel que le ministre veut régler à Adama Sangaré ? Tout porte à le croire.
Il faut rappeler que dans une récente assemblée générale à la Cour d’Appel de Bamako, les magistrats, suite à la mise aux arrêts de certains d’entre eux pour divers motifs, ont réaffirmé leur devoir de rester unis pour contrecarrer toute animosité contre leur corps.
Ensuite, il est loisible de reconnaître que le Procureur général Daniel Tessougué est un dur à cuir du corps de la magistrature du Mali. Celui qui s’est opposé à une nomination du président ATT pour ensuite déférer la décision de nomination en recours pour excès de pouvoir et a eu gain de cause, qui a fait vivre un calvaire au Vérificateur général Sidi Sosso Diarra, est connu pour son intransigeance sur les principes. Celui qui a souvent protesté contre l’intrusion de l’exécutif dans la sphère judiciaire et qui ne recule devant rien sera un morceau difficile à mâcher dans la bouche du ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily.
Par ailleurs, l’histoire retiendra que le domaine de la Justice a toujours été confronté à des crises graves et des conflits de compétence quand il est piloté par un avocat. A croire qu’entre magistrats et avocats, ce n’est jamais le grand amour (c’est un euphémisme). Me Fanta Sylla, Me Abdoulaye Garba Tapo ont été des éphémères ministres de la Justice qui ont appris cette… jurisprudence à leurs dépens. Le ministre Mohamed Aly Bathily pourrait, en cette veille du remaniement du gouvernement, subir le même sort. Pris entre plusieurs feux dont un éventuel procès pour » haute trahison contre ATT, l’affaire Sanogo et consorts, les dossiers liés à la corruption et à la lutte contre la délinquance financière, on se demande si Bathily n’est pas simplement dépassé par les événements.
Rappelons que même si le parquet est soumis à l’autorité hiérarchique du Garde des sceaux, l’obéissance de ses magistrats se limite seulement aux écrits en vertu d’un principe coutumier selon lequel » la plume est serve mais la parole est libre « . Par conséquent, ces magistrats peuvent faire librement, pendant un procès des observations orales ; l’obéissance se limitant aux réquisitions écrites. Le ministère public peut exercer l’action publique pour les infractions pénales causant un trouble à l’ordre public et être à l’initiative des poursuites ou des non-poursuites. Alors, jusqu’où ira cette fronde » magistrale » contre le numéro 2 du gouvernement Oumar Tatam Ly ? Wait and see !
Bruno D SEGBEDJI