Qu’y a-t-il d’anormal à vouloir comprendre comment la démocratie si chèrement acquise, l’état de droit et les institutions de la république se sont effondrés comme un château de cartes suite à la saute d’humeur d’une soldatesque elle-même surprise par la vacuité du système en place? N’a-t-on pas droit à une explication lorsque l’armée nationale, une armée dont on a toujours été si fiers pour l’avoir vue régulièrement relever les défis sécuritaires depuis l’indépendance (différentes rébellions touarègues, crises frontalières avec la Haute Volta), se trouve dépenaillée du jour au lendemain malgré les lourds sacrifices financiers consentis par la nation à son profit, au point de ne pouvoir faire face à aucun moment et sur aucun front à des bandits armés dont tout le monde sait dans quelles circonstances ils sont arrivés dans le pays?
N’est-ils pas temps, enfin temps dans ce pays qu’on appelle le Mali que quelqu’un daigne sonner la fin de la recréation pour que, en fils dignes devant supporter un héritage devenu pesant, nous examinions ensemble et sans indulgence l’état de notre conscience ? N’est-il pas opportun aujourd’hui de créer les conditions du sursaut national, de la renaissance politique, du redécollage économique et social pour que plus jamais pareille humiliation ne nous retombe dessus? Et comment le faire sans interroger le passé, notre passé récent ?
De quel règlement de comptes peut-on parler devant un tableau si saisissant de laxisme et d’incurie? C’est à croire que certains, à force de patauger dans la gadoue, ont fini par perdre tout discernement au point de ne pouvoir comprendre qu’un pays qui a été à l’article de la mort a besoin pour se relever d’un traitement de choc, d’une catharsis. La décision du gouvernement de saisir la Haute Cour de Justice relativement à ce qu’il convient désormais d’appeler « l’Affaire ATT » et qui a surpris plus d’un, répond parfaitement à ce besoin de thérapie. L’émoi des uns et la satisfaction des autres prouvent à suffisance que l’objectif est en passe d’être atteint. Deux questions majeures de gouvernance sous tendent la saisine de la Haute Cour de Justice : l’état de notre armée et la question essentielle de la défense du pays d’une part ; l’état de notre économie et la question brûlante de la corruption d’autre part. Peut-on raisonnablement espérer régler ces deux problèmes en épargnant certaines personnalités au motif généralement évoqué que tous les Maliens sont responsables de ce qui est arrivé?
Si le paysan ployant sous le soleil pour tirer de la terre de quoi survivre, si le pêcheur inquiet de la rareté du poisson suite à une pollution mal maîtrisée, si l’éleveur désorienté par la disparition progressive des pâturages, si le commerçant à qui des fonctionnaires véreux font une concurrence abjecte, si l’étudiant et la jeunesse à qui il n’est promis que le chômage, si la femme qui s’inquiète quotidiennement pour la pitance familiale, si tous ces citoyens anonymes dont certains ne vivent que de la charité nationale peuvent être considérés comme aussi coupables que le président, le ministre ou le directeur, aussi coupables que le député qui est sensé contrôler l’action gouvernementale, aussi coupables que le gestionnaire des deniers publics, c’est à désespérer du sens de l’équité et du repentir de certains de nos compatriotes. Et pourtant, la justice ne doit pas faire peur. Elle ne doit pas faire peur à celui qui ne se reproche rien même si le juge lui, peut faire peur. Oui, le juge fait peur lorsqu’il oublie que la justice symbolisée par la balance est rendue au nom du peuple malien, quand le juge choisit de piétiner son serment pour se transformer en bras armé des puissances politiques ou des puissances de l’argent. Malheureusement de tels juges existent. Il faut donc veiller à ce que le juge malien dise le droit, rien que le droit ou qu’il soit extirpé tel un cancer du corps judiciaire au sein duquel il n’aurait plus sa place car, seule une bonne administration de la justice rassure les populations à l’intérieur et les incite au travail honnête dans la confiance.
C’est aussi par la pratique d’une bonne justice (bien plus que par le code des investissements) qu’on oriente favorablement la décision des investisseurs étrangers. Dis-moi quelle justice tu as, je te dirai la dimension humaine de ton citoyen, la consistance de ta démocratie et le niveau de vitalité de ton économie. L’homme qui a choisi en cette fin d’année 2013 de s’attaquer à la corruption au Mali n’ignore certainement pas les difficultés qui jalonnent le parcours menant à la résolution du problème. Il a le mérite de faire des choix clairs et de vouloir établir un code d’honneur de la gouvernance politique et économique, d’autant plus que ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. Le plus important n’est pas tant la condamnation de tel ou tel à l’arrivée, mais la leçon d’efficacité que le Mali pourra en tirer pour asseoir et perpétuer une gouvernance vertueuse. Il est important de comprendre que le président de la république n’est qu’un homme.
C’est un homme convaincu qu’il a une mission, qu’il répondra devant Dieu et devant les hommes des engagements qu’il a pris. C’est donc un homme plutôt auréolé de quelques soucis supplémentaires. C’est pourquoi, il ne fera certainement pas comme les autres. « L’honneur du Mali » ? « Le bonheur des Maliens » ? Tout un programme, n’est-ce pas ?