Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Mohamed Ali Bathily, semble confondre vitesse et précipitation dans l’affaire qui l’oppose au procureur anti-corruption démissionnaire du tribunal de la Commune III, Mohamed Sidda Dicko. Contrairement à tous ses arguments, la correspondance en date du 5 décembre dernier fait mieux ressortir ses desseins inavoués. Car il est question de demander l’ouverture d’une enquête selon de simple renseignement, comme le dit la correspondance, d’exiger l’arrestation d’une personne. Où est la présomption d’innocence ? Cet acharnement judiciaire contre le maire du district ne cache-t-il pas un règlement de compte politique ou personnel de la part d’un ministre avocat ? Si ce n’est pas une tentative d’instrumentalisation de la justice, de quoi s’agit-il ? Face à cette situation digne de l’époque de la dictature, il revient aux magistrats de mettre fin à ce rêve d’un ministre en quête de visibilité.
En prélude à la création de son parti, le ministre Mohamed Ali Bathily se donne en spectacle depuis quelques semaines en vue de s’attirer le feu des projecteurs. En voulant ratisser large d’un seul coup, il va plus vite en besogne. Confondant la lutte contre la corruption et l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ou personnelles, notre cher avocat s’attire les foudres des procureurs Daniel Tessougué et Mohamed Sidda Dicko du tribunal de la Commune III. Ce bras de fer prévisible fait suite à l’envoi d’un courrier demandant aux deux magistrats : «l’ouverture d’une enquête pour faux et usage de faux contre Adama Sangaré, maire du district de Bamako, arrestation et saisine de la chambre criminelle de la Cour Suprême pour désignation de juridiction».
Pour les jaloux de l’indépendance de la justice, l’objet de la correspondance ainsi libellé a de quoi choquer. Comment un ministre de la Justice peut-il imposer à un procureur l’arrestation d’une personne, de surcroît, le maire du district à la veille du deuxième tour des élections législatives dont il était favori face à un candidat du parti au pouvoir, même si on connaît la suite, rien que sur la base de simple renseignement et de suspicion comme il le dit lui-même dans sa correspondance ? IBK était-il au courant des desseins de son ministre de la Justice ?
De toute évidence, il doit être un peu plus regardant de ce côté, car Mohamed Ali Bathily donne l’impression d’être dépassé par les évènements dans ce bras de fer avec les deux champions de la lutte contre la corruption dans notre pays que sont : Daniel Tessougué et Mohamed Sidda Dicko. Autrement, il serait difficile de comprendre comment un ministre peut demander pardon à un procureur de la République tout en le suppliant de ne pas démissionner après les remarques pertinentes de ce dernier, s’il ne se reproche rien.
Ainsi libellé : «Selon des renseignements qui nous sont parvenus, de graves suspicions de faux et usage pèserait sur le sieur Adama Sangaré, maire du district de Bamako dans l’attribution des terres dans sa circonscription se traduisant par l’extorsion de biens d’autrui, des attributions de parcelles sur des titres fonciers d’autrui etc. C’est pourquoi, je vous instruis de faire procéder par le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de la Commune III, à l’ouverture d’une enquête sur ces faits pour établir la vérité, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs ou complices ; à l’arrestation effective de M. Adama Sangaré pour les besoins de ladite enquête ; et à la présentation d’une requête, conformément aux dispositions de l’article 623 du code de procédure Pénale, à la Chambre Criminelle de la Cour Suprême pour la désignation de juridiction en raison de sa qualité d’Officier de Police Judiciaire. J’attache une importance toute particulière à l’exécution diligente des présentes instructions dont vous me rendrez compte».
Pourquoi le ministre Bathily n’a d’yeux que pour Adama Sangaré ? Est-il en mission pour IBK ? Règlement de compte politique ou personnel ? Toujours est-il qu’il revient aux magistrats de faire en sorte que la quête de justice n’engendre pas une injustice. Pour cela, ils doivent défendre leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif incarné par le ministre Bathily. Contrarié par Tessougué et Dicko, le ministre chercherait à les pousser à la démission. Le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) vont-ils se laisser faire ?