Chérif Ousmane Madani Haïdara est considéré aujourd’hui comme l’un des plus influents, voire le plus influent guide au sein de la communauté musulmane du Mali. Le mouvement Ançardine qu’il a fondé et qu’il anime compte plusieurs centaines de milliers d’adeptes et de sympathisants dans notre pays et une vingtaine d’autres en Afrique, en Europe, en Asie, aux Amériques. La célébration du Maouloud du dimanche dernier a suscité une telle affluence au stade du 26 mars à Bamako qu’il a fallu interrompre la cérémonie de peur que ne se reproduise la tragédie du Maouloud 2010 qui avait fait 36 morts au stade Modibo Kéïta, des suites d’une bousculade, avait-on dit.
Ce prédicateur émérite, qui a le don d’électriser les foules, dont les prêches prononcés au cours des ziaras sont enregistrés sur des cassettes vendues à plusieurs millions d’exemplaires, a été le premier, de tous les guides spirituels maliens, à dénoncer en termes sans équivoque l’occupation des régions septentrionales par de soi-disant groupes » jihadistes « . Un acte de courage et de lucidité qui lui a valu d’être décoré par la France de la médaille de la légion d’honneur.
C’est cet homme qui, malgré la force qu’il représente, a toujours refusé de se laisser tenter par l’attrait de la politique, convaincu d’être plus utile comme recours pour préserver la paix, l’entente et l’unité, qui a profité de sa rencontre traditionnelle avec la presse marquant l’apothéose du Maouloud, pour dire ce qu’il pense du procès en » haute trahison » concocté par le duo IBK – Mohamed Aly Bathily contre l’ancien président ATT.
Avec le franc-parler qui constitue un trait majeur de sa personnalité, il a asséné deux vérités.
La première est celle-ci : » Si ATT est jugé, beaucoup en pâtiront avec lui « . C’est une évidence. Certes au regard de la Constitution (article 44) ATT était «le Chef suprême des armées». Par la vertu de la même loi fondamentale, il était le premier magistrat de la République en ce qu’il présidait le Conseil supérieur de la magistrature. Pour autant, il ne pouvait être tenu personnellement et seul responsable de la défaite des troupes, pas plus qu’il n’était comptable des errements commis par des instances judiciaires.
L’armée malienne possède des structures pour la gérer en temps de paix et de guerre : le ministère de la Défense, les différents états-majors, un état-major général interames, un état-major opérationnel ( en cas de crise comme c’était le cas en 2012). On ne peut pas ignorer toutes ces structures et vouloir tout mettre sur le dos du seul président au motif qu’il était « Chef suprême des armées « . Tous les officiers supérieurs, de quelque grade que ce soit, qui ont exercé des responsabilités au sein desdites structures, devront être entendus et répondre des actes qu’ils ont posés ou qu’ils n’ont pas posé selon les cas.
Bien des gens vont donc devoir défiler devant la Haute Cour de Justice, ce qui va provoquer un sacré remue-ménage dans les rangs de l’armée, au moment où celle-ci a besoin de toute sa cohésion et doit se concentrer sur l’essentiel : la libération de Kidal de l’emprise du MNLA et d’autres groupes armés et le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national. Mais peut-être que nos nouveaux dirigeants comptent bien plus sur Serval et la MINUSMA que sur nos propres soldats pour conduire cette tâche pourtant régalienne?
Les hauts gradés de l’armée ne seront pas seuls à accompagner ATT devant la Haute Cour de Justice.
L’Assemblée nationale n’a manifestement pas joué son rôle de garde-fou; elle n’a pas assumé sa mission de contrôle de l’activité gouvernementale; elle n’a pas usé de sa prérogative de proposer et adopter des lois lorsqu’elle considère que le gouvernement a failli en la matière. Bien au contraire, elle a voté une résolution pour soutenir le gouvernement dans sa gestion de la crise du nord. IBK et Dioncounda Traoré ont présidé cette Assemblée durant la décennie où elle a fonctionné sous ATT. Ils doivent être entendus pour complicité.
L’autre vérité dite par le guide de Ançardine et non moins coordinateur du Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali est celle-ci : » Si une procédure contre l’ancien président de la République peut remettre en cause le tissu social, pourquoi ne pas y renoncer ? « .
Il est certain que l’on va vers un déchirement du tissu social malien si une telle procédure devait aboutir. D’abord parce que nos concitoyens ont le sentiment que celle-ci obéït à un usage abusif de la justice pour régler des comptes personnels, qu’ils soient d’ordre politique ou strictement privé. Ensuite, parce que la démarche manque de crédibilité. En effet, d’un côté on brandit l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de ATT pour «haute trahison». De l’autre, on se garde d’inquiéter les militaires qui ont renversé le régime démocratique du même ATT bien que la Constitution stipule en son article 121 que « Tout coup d’Etat est un crime imprescriptible contre le peuple malien».
Ajoutons-y que les rebelles qui ont commis des atrocités avérées contre nos militaires notamment à Aguelhock ont été remis en liberté, les poursuites judiciaires ouvertes contre eux abandonnées et certains d’entre eux sont même revenus à l’Assemblée comme représentants du peuple malien. D’où un mélange de déception et de colère qui couve chez un grand nombre de nos concitoyens. Mais il n’est jamais tard pour bien faire. Puisse seulement IBK méditer cette parole de Cherif Ousmane Madani Haïdara : « A vouloir coûte que coûte remuer certaines choses, on risque de ne pas avoir l’effet escompté « .