Depuis le coup d’Etat de la nuit du 21 au 22 mars 2012, les intellectuels maliens sont comme tétanisés. Au mieux, ils seraient surpris par l’irruption de la soldatesque sur la scène politique, au pire dépassés par la tournure que prennent les évènements.
Eux, l’autre conscience morale de la nation, semblent abdiquer au pire moment de l’histoire récente de notre pays. A l’image du Grand Mali dont ils se plaisaient à être des zélateurs rompus aux différents arts du panégyrique, il n’y a pas encore si longtemps, ils s’enfoncent, eux-aussi, dans la fange nauséabonde de la déchéance morale que nul ne semble pouvoir arrêter. Certains parmi eux, et non des moindres, se sont illustrés de la pire façon, s’étant alliés, pour des raisons qui leur sont propres, à la perfide entreprise de destruction de notre pays.
J’ai vu quelques sorties médiatiques, j’ai lu quelques piteuses réactions dans la presse, j’ai vu aussi quelques gesticulations et contorsions intellectualistes, mais je n’ai rien vu de la trempe de « J’accuse… ! », cette célèbre lettre ouverte que Zola a adressée au président de la République française, Félix Faure, et qui a fait la « Une » du journal « L’Aurore » du 13 janvier 1898.
L’establishment français d’alors, dans une poussée d’antisémitisme, tentait lamentablement de couvrir d’opprobre un valeureux officier d’origine juive, Alfred Dreyfus, déporté sur l’île du Diable, en Guyane française, pour l’infâmante accusation d’intelligence avec une puissance étrangère, en l’occurrence l’Allemagne.
C’est franchement prétentieux de ma part de vouloir dénicher des Zola dans le désert intellectuel de notre pays en totale chute libre amorcée depuis belle lurette. Ça l’est davantage de vouloir choquer la bonne conscience des poètes, des artistes, des lumières ou tout simplement des patriotes désintéressés afin qu’ils nous guident sur le chemin si tortueux et si dangereux que notre pays emprunte à la stupeur générale.
Cependant, est-il au-dessus de nos forces que nous Maliens, héritiers des plus grandes constructions politiques et sociales du moyen-âge africain, si fiers de nos figures emblématiques et de nos héros… ayons la lucidité d’analyser nos problèmes existentiels et d’y apporter les solutions idoines ?
Je dis et redis non ! Malgré le poids des apparences et l’indigence des forces de propositions, j’ai la faiblesse de croire que nous sommes un peuple mûr, que nous n’acceptons pas la fatalité et que nous sommes capables de sursaut d’orgueil.
La Cédéao tant décriée mais dont nous sommes un membre fondateur et les autres ne sont là que pour nous accompagner sur le difficile et périlleux chemin du dialogue national. Il nous revient à nous, Maliens, de prendre notre sort en main, d’être aux commandes de notre bateau ivre qui, selon toute vraisemblance, vogue par gros temps sans aucune indication sur son port d’attache.
Dans la conjoncture actuelle, j’ai la nostalgie de voix célèbres qui ont été, par le passé, rassurantes, apaisantes et qui ont été autant de caution morale. Ces voix se sont tues temporairement. Je l’espère ! Mais je ne désespère pas de les réentendre, mieux, j’ai hâte qu’elles reprennent du service et, se faisant, donnent espoir à un peuple en dérive totale, à un Mali qui s’autodétruit.
De toutes les façons, la voix des intellectuels maliens ne saurait manquer au décompte final. Qu’ils le veuillent ou non ! Ce serait de la folie de se tenir à distance, dans une sorte d’indifférence béate. Ce serait pur suicide. Ce serait trahison. Ce serait non assistance à peuple en danger. Pour eux, le prix à payer serait la déconsidération et la honte.
Telles des tortues qui sortent prudemment leurs têtes de leurs carapaces, il est temps que les intellectuels maliens émergent de leur torpeur et se tiennent à équidistance des « belligérants » et autres protagonistes de la crise actuelle pour leur faire raison entendre.
C’est leur devoir historique, c’est leur devoir de patriotes, c’est leur devoir de génération que de s’impliquer, sans retenue, dans la gestion de la crise actuelle qu’ils ont, consciemment ou inconsciemment, qu’ils ont contribué à enfanter.
Comme dans l’imaginaire collectif, nous sommes tombés du sommet du rônier. Nous sommes à terre. Nous sommes plus bas que terre. Et nous semblons nous complaire dans cette déchéance… au moment où deux tiers de notre pays sont occupés par l’ennemi ; où nos femmes et filles sont violées par des hordes de barbares venus de loi ; au moment où le développement que nous construisons si patiemment depuis plusieurs générations est réduit à néant ; au moment ou d’autres, des non Maliens, décident de notre destinée.
Quelle honte ! Quelle humiliation ! Quelle descente aux enfers ! Accepter cela sans réagir est au dessus de mes forces. Rien que d’y penser, j’ai envie de m’exiler, de changer de patronyme, de changer de nationalité, d’effacer le disque dur de mon histoire pour faire place à du néant.
Oui, mes chers compatriotes, j’ai envie d’exalter notre fibre patriotique, non pas pour engager quelque guerre impérialiste au-delà de nos frontières, mais pour briser cette chaîne de l’indifférence qui nous lie.
Secouons-nous, chers frères et sœurs ; les temps sont graves. Prenons-en la mesure ! Les appartenances ethniques, les affinités politiques ainsi que toutes autres considérations mesquines sont futiles et inutiles au moment où notre existence en tant que Nation est menacée de disparition.
Tous ceux qui collaboreront à cette entreprise, tous ceux qui pactiseront avec le diable, tous ceux qui apporteront leur caution à l’œuvre de destruction de notre pays… pour quelque raison obscure que ce soit, encourront les foudres du jugement de nos ancêtres… en attendant celui de l’Histoire et de Dieu.