'aime aller dans le Nord, le nord du Mali bien sûr, puisqu'il est question de lui et de son avenir aujourd'hui, et ça n'avait rien d'un voyage ordinaire. Nous attendions toujours ce moment avec impatience. Que ce soit pour le travail ou pour le plaisir, le départ se préparait minutieusement. Carburant, eau, révision du véhicule, pièces de rechange, l'itinéraire et, enfin, nous étions prêts à partir. Le Nord, le "septentrion" est vaste et nous avions le choix de la route. Tout dépendait de la saison mais aussi de l'humeur du chauffeur, du but du voyage, de l'objectif en vue. Ces données déterminaient notre choix d'itinéraire. Dès Ségou, il s'agissait de décider de la route. Allait-on, passant par Douentza et Bambara-Mahoundé, saluer les amis de Karwassa au passage. Allions-nous passer par Léré, puis Goundam, afin d'en voir l'adduction d'eau ? Plus que le Nord et l'arrivée à Tombouctou ou Gao, c'était la route, la manière d'y aller, les rencontres sur la piste que nous attendions.
L'arrivée à Tombouctou, c'était déjà avoir pris une dizaine d'heure de route dans les pattes. Il fallait attendre la venue du bac, pas toujours visible de l'autre rive du fleuve et, si possible, prévenu de notre arrivée depuis le départ de Douentza quelques 3 heures avant. Il faut bien passer le Niger et les ponts sont rares, Markala, Gao...
Trouver un endroit où dormir, poser la natte et le matelas, n'était jamais un problème, mais avait son importance. Au campement, entre deux villages, pourvu qu'il n'y ait pas trop de cramcram (graminées dont les graines s'accrochent douloureusement aux mollets) et que la piste ne soit pas trop passante, histoire d'être tranquille, de ne pas être dérangé par le bruit des gros porteurs peinant sur la piste et pressés d'arriver pour le jour du marché. Je ne me souviens pas m'être posé la question de l'insécurité jusqu'à il y a 5 ou 6 ans. Et puis il y avait cette chaleur, cette torpeur, qui vous enveloppait progressivement le matin sans pour autant vous surprendre ou vous assommer.
La surprise, l'inattendu, était toujours au rendez-vous. Un véhicule s'arrête en pleine nuit, les occupants déroulent les nattes non loin de notre campement et au petit matin viennent nous saluer. Je ne les reconnais pas mais ils me donnent des nouvelles de Yehya qui, me dit-on, a déménagé et est parti vers Faguibine. Eux m'ont reconnu, dix ans déjà! Ou cette autre fois, vers Gargando, un homme me montre une photo datant de 97. Ma fille pose à côté de ses filles, elles avaient 6 ans à ce moment... et sont maintenant des femmes.
Aller dans le Nord en 2012 n'est plus une partie de plaisir, il n'est même pas question d'y aller. A moins d'avoir des tendances suicidaires ou de très sérieuses relations avec les salafistes. Aminata me parle avec inquiétude et nostalgie du Nord de son enfance. Son Nord de tolérance et de respect où battre une femme était suivi immédiatement d'un divorce et de célibat à perpétuité. Son Nord, où malgré les tensions passées, la tradition veut que tous soient frères, Tamasheq, Songhaï ou Peulhs et Maures. Son Nord, où il faudra maintenant attendre des années avant de voir un programme démarrer, un touriste suivre à nouveau les pas des premiers explorateurs.