n janvier 2013, la bataille de Konna avait porté un coup d'arrêt à l'expansion des groupes jihadistes au nord du Mali. Laurent Touchard* revient en détail sur cet épisode qui a vu l'entrée en guerre des Français avec l'opération Serval mais aussi une résistance courageuse des forces maliennes.
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Dans le document que Blaise Compaoré reçoit des représentants d'Ansar Eddine, le 1er janvier 2013, figurent deux points principaux. Tout d'abord, l'organisation radicale demande que "le caractère islamique de l'État du Mali soit proclamé solennellement dans la Constitution." Ensuite, si l'idée de l'indépendance du nord n'est plus envisagée à court terme, est mentionnée celle d'une autonomie de l'Azawad. Bien entendu Bamako refuse ; Iyad Ag Ghaly annonce alors que son offre de cessation des hostilités est désormais caduque.
Dans la foulée, il amasse des forces de plus en plus nombreuses au nord de la ligne de démarcation entre le nord et le sud Mali, encouragé par l'absence de réaction de la communauté internationale et surtout, de la France. Les 4x4 sont chargés de bidons de carburant, d'eau, de vivres, de munitions. Bientôt, il ne fait plus aucun doute que les combattants d'Ansar Eddine vont en découdre... Cette offensive creusera la tombe des capacités militaires "conventionnelles" d'Ansar Eddine, du Mujao et des katibas d'Aqmi dans la région. Elle apportera aussi la preuve – une fois encore - que la fragile armée malienne dispose de militaires de valeur en dépit de terribles lacunes.
Mopti, c'est la porte vers le sud. Sévaré en est le verrou, Konna le trou de serrure...
Les forces en présence
Le 7 janvier, les dissidents se regroupent tout d'abord à Bambara Maoudé, à environ 210 kilomètres à vol d'oiseau au nord est de Mopti (287 kilomètres par la route). Puis ils se rapprochent, établissant une zone de desserrement à Boré, à 101 kilomètres au nord est de Mopti (124 par la route). Or, sur le trajet qui conduit de Boré à Mopti, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest, il y a la localité de Konna. Celle-ci bloque donc l'itinéraire qui conduit à la base de Sévaré, près de Mopti. Ce d'autant plus qu'à l'ouest de Konna, il y a le fleuve Niger. La coupure humide souligne le chemin entre les deux villes tout en barrant l'espace géographique à l'ouest. Le fleuve compartimente donc le terrain en une sorte de couloir qui conduit à Mopti. Mopti, c'est aussi la porte vers le sud. Sévaré en est le verrou, Konna le trou de serrure...
En tout, 1 500 à 2 500 combattants islamistes se concentrent en quelques jours au nord de la ligne de démarcation, avec jusqu'à 300 pick-ups dont beaucoup sont armés. Il ne s'agit que d'une partie de leurs forces, à savoir les plus mobiles, les mieux équipées et les plus aguerries. Les autres, les "auxiliaires" recrutés à coups de dollars, les volontaires plus opportunistes que fanatiques ; milices peu solides qui contrôlent les villes pour empêcher toutes rebuffades des populations, elles s'évanouiront dans la nature à la première occasion. Ces rebelles sont bien armés comme nous l'expliquions dans un article avant l'opération Serval. Cependant, leur matériel est loin d'être aussi sophistiqué que d'aucuns l'affirment à l'envi.
Face à eux, le colonel Didier Dacko qui commande le dispositif opérationnel malien, est en mesure d'aligner des unités avec des hommes motivés. C'est d'ailleurs leur seul véritable atout. Ces unités comprennent le Groupement des Commandos Volontaires (GCV) du commandant Abass Dembélé, le 62e Régiment d'Infanterie Motorisée, ainsi que des éléments du 35e Régiment Blindé et du 36e Régiment d'Artillerie à quoi s'additionnent ce qui subsiste des troupes de la 1ère Région Militaire désormais occupée par l'ennemi.
Premiers accrochages
En théorie, les négociations entre l'État malien et les islamistes doivent reprendre à Ouagadougou soixante-douze heures plus tard, le 10 janvier 2013. En théorie seulement. Dans la nuit du 7 au 08, des tirs de sommations maliens expliquent aux islamistes qu'ils seraint bien avisés de stopper leur progression en direction de la ligne de démarcation. Ceux-ci semblent comprendre le message et s'arrêtent. En réalité, ils ne renoncent pas : ils se déploient. Le 8 janvier, à 18 heures, Ansar Eddine entreprend d'harceler les positions malienne à coups de roquettes de 122 mm, d'obus de canons sans-recul. Les échanges de tir se prolongent jusqu'à une heure du matin. Contrairement à ce qu'espéraient certainement les insurgés, les gouvernementaux ne se débandent pas à la première escarmouche.
Le 9 janvier, le lieutenant-colonel Mamadou Samaké veut en savoir davantage sur le dispositif qui se met en place, et ainsi, mieux appréhender les intentions de l'ennemi. En fin de journée, il lance donc une reconnaissance offensive qui s'organise autour d'une dizaine de blindés légers BRDM-2 et d'éléments du 62e Régiment. Il commande personnellement l'ensemble. Aucun contact n'a lieu durant la mission. La colonne fait donc demi-tour : retour sur Konna. Les combattants d'Ansar Eddine se dévoilent alors. Tandis qu'un groupe mène l'embuscade contre l'élément mobile totalement surpris, un autre fonce en direction de Konna.
Cavalcade sur Konna
Ce groupe assaille la localité de trois côtés, à partir de 8 heures 30 : au nord, par la route de Korientzé, à l'est par la route de Douentza et plus au sud afin de couper la retraite de la garnison. Tout en l'isolant d'éventuels renforts. Peu après, à Bamako notamment, va courir la rumeur que des combattants islamistes se sont infiltrés, déguisés en civils, à bord d'un bus de la société de transport Sonef. Il n'en est rien : l'agresseur déboule alors que l'identité des passagers du bus - de véritables civils - est en cours de vérification. Le bus en question est d'ailleurs pris pour cible par les hommes d'Iyad Ag Ghaly. Cet incident témoigne de la confusion qui règne dans le pays.
À ce moment, les forces gouvernementales sont dispersées, les ordres n'arrivent pas, la cohésion s'émiette, les munitions s'épuisent trop vite, la logistique est déplorable. En outre, les islamistes d'Ansar Eddine et leurs alliés jihadistes d'Aqmi et du Mujao interceptent les messages radios pour connaître les mouvements et positions des militaires maliens qui ne s'astreignent que peu ou prou aux règles élémentaires de sécurité dans les transmissions. Les compte-rendu remontent mal - voire pas du tout - aux chefs qui n'ont qu'une vue partielle - voire fausse - de la situation...