L'Afrique, et particulièrement la zone sahélienne, est devenue un incubateur pour les groupes extrémistes. Ils mènent des attaques de plus en plus meurtrières. C’est le constat du directeur du renseignement américain, James Clapper, auditionné par le Sénat mercredi 29 janvier. Anne Giudicelli, directrice du cabinet de consulting Terrorisc, en parle sur RFI.
RFI : Pourquoi le renseignement américain tire-t-il cette sonnette d’alarme selon vous ? La géographie du terrorisme a-t-elle réellement changé ?
Anne Giudicelli : Ces déclarations renvoient à d'autres déclarations, notamment d’Africom (le commandement militaire des États-Unis pour l'Afrique, NDLR), qui faisaient état de menaces persistantes sur la région sahélienne. Il y a notamment eu un certain nombre d’interceptions ces derniers temps.
Ces dernières ont permis aux responsables des services de renseignement occidentaux, et de la région, de rester en alerte sur une possible velléité de la part de certains groupes, capables de mener des actions d’ampleur qui changeraient un petit peu la donne par rapport à la stratégie de harcèlement actuellement en cours, notamment au Mali, en direction des forces militaires internationales et maliennes.
Comment expliquer l'évolution observée dans la zone sahélienne ? Les Etats ont-ils perdu tout contrôle de ces territoires ?
Il faut revenir un petit peu en arrière. Cela faisait un petit moment que le Nord-Mali était considéré comme une zone de non-droit. On pouvait circuler en étant trafiquant, potentiel terroriste, ou je dirais même exercer des exactions localement sans aucun contrôle de l’Etat en question. Il est certain que les événements en Libye ont largement contribué à exposer cette zone à une autre forme d’instabilité, et avec une plus grande ampleur.
Et puis, l’intervention française suivie du déploiement des forces étrangères au Mali a redéployé, pour le moment en tout cas, un certain nombre de ces groupes aux alentours. Mais ce qui est certain, c’est que le manque de coordination entre les différents pays du Sahel, c'est-à-dire l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, ou encore le Niger, a forcément contribué à laisser une situation se détériorer à ce niveau-là.
Les renseignements américains pointent également une formation locale au terrorisme pour des actions globales à l’étranger. Cette menace est-elle réelle, ou exagérée ?
Je pense qu’ils pointent ici un phénomène de recrutement qui n’est pas forcément un recrutement de la population à une idéologie, mais qui est aussi une forme de complicité passive, compte tenu de l’état de pauvreté parfois terrible dans ces zones. L’absence de toute alternative pour essayer d’avoir un projet de vie, en particulier pour les jeunes dans ces pays-là, et l’absence de perspectives ajoutée à une offensive de recrutement basée sur le rejet de l’Etat et des forces internationales, a finalement généré un repli par défaut, d’un certain nombre de demandes des populations vers ces groupes.
La zone du terrorisme s’étend. Le visage des terroristes change-t-il aussi ? La multiplication des groupes ne complique-t-elle pas la tâche ?
Si vous voulez, il y a trois groupes majeurs qui dominent effectivement la zone : Aqmi (al-Quaïda au Maghreb islamique, NDLR), Al-Mourabitoune, qui est une fusion entre des éléments d’un autre groupe, le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, NDLR), qui est par ailleurs le troisième groupe, et les éléments de l’ancien groupe de Mokhtar Belmokhtar, qui lui-même est un ancien d’Aqmi...
On a une nébuleuse comme ça. A partir de là, il y a des éléments isolés, qui tentent de rejoindre ces grands groupes-là, en menant des actions, comme au Mali à la fin de l’année, à Tessalit ou à Tombouctou. L'objectif de ces actions, c’est aussi de faire partie de cette grande nébuleuse qui dispose encore de capacités et de moyens.... suite de l'article sur RFI