Les 05 et 06 août prochain, quarante-sept chefs d’Etat africains sont convoqués par Barack Obama, le président américain, à Washington, pour participer à une rencontre au sommet. Cette convocation, qui ne concerne cependant pas certains présidents africains, parce que jugés infréquentables, a jeté l’émoi dans certains milieux français. A travers ses médias aux ordres, la France décrit le fait de regrouper tous les chefs d’Etat africains au lieu de les écouter par petits groupes ou un par un. Autrement dit, pour ces détracteurs, des discussions bilatérales sont beaucoup plus efficaces et fructueuses qu’une foire au cours de laquelle des décisions importantes, surtout particulières ou relatives à un nombre restreint de pays, sont rarement prises. Et si elles le sont, elles sont rarement suivies d’effet, faute de mise en œuvre.
Ces arguments sont valables et même vrais. Mais surtout, une telle convocation prouve, si besoin en était encore, les sentiments de mépris, de dédain et de supériorité, entre autres, que les grandes puissances nourrissent envers les pays pauvres et leurs médiocres dirigeants. C’est une manière pour eux d’entretenir les rapports de vassalité, de subordination et d’allégeance.
Mais si les Etats-Unis ont décidé de s’inscrire dans cette pratique déplorable, ils n’ont fait qu’emboiter le pas à d’autres. Avant eux, en effet, ces dirigeants vassaux ont été reçus au cours de sommet Chine-Afrique (Chinafrique), Japon-Afrique (Ticad : Tokyo international conférence for african development), Afrique-Turquie, Afrique-Inde.
Au cours de ces grands-messes, des chefs d’Etat ou de gouvernement africains envieux se voient volontiers promettre l’Eldorado, chacun croyant, à tort, devenir bientôt le partenaire stratégique économique privilégié du grand hôte du jour. En réalité, ils sont insultés ou menacés, soumis au chantage de se retrouver avec des vivres coupés. En guise de consolation pendant leur bref séjour, ils ont le droit de lever le coude jusqu’à pas soif, de goûter à la bonne chère jusqu’à satiété. Après la beuverie, les plus lucides pourront s’amuser avec une call girl de luxe prêtée pour les besoins de la cause. Même dans tous les cas, tout ce beau monde repart avec des promesses et des contrats rarement honorés, sinon pour le plus grand profit de l’hôte du jour.
Alpha, lui, a dit non
Pourtant, nos chefs d’Etat et de gouvernement savent, grâce aux médias, comment les « grands » agissent entre eux : ils s’entretiennent en tête-à-tête pour prendre les décisions à imposer au reste du monde. L’un d’entre eux, un chef d’Etat malien, l’avait compris et a refusé de répondre à la convocation d’un président américain. Il s’agit d’Alpha Oumar Konaré qui a décliné, dans les années 90, l’invitation de Jacques Chirac, lorsque ce dernier avait eu l’idée saugrenue de recevoir à Dakar (Sénégal) quelques uns de ses pairs africains. Tout le monde croyait que Barack Obama avait compris la raison, surtout lorsqu’il avait décidé de ne recevoir chez lui qu’une poignée de présidents africains.
Pour en revenir à l’émoi causé en France par l’annonce d’une prochaine rencontre entre Obama et certains de ses collègues africains, il faut croire qu’il a une autre origine. Depuis quelques années, les nouvelles générations de dirigeants, leaders et cadres africains se tournent de plus en plus vers l’Amérique, pour impulser, entretenir et pérenniser des relations privilégiées dans des domaines considérés jusque-là comme la chasse gardée de la France. Notamment les domaines de la coopération économique et militaire où l’hexagone est la première et principale partenaire de l’Afrique. En plus d’«un pré carré » propre à elle, la France a entretenu, au cours des décennies écoulées, ses rapports de domination à travers les sommets France-Afrique, appelés pudiquement, depuis peu, Afrique-France comme pour conférer au continent une supériorité qu’il est loin d’avoir.
Au cours de ces sommets, qui traduisent l’entité Françafrique qui n’a changé que de forme et non de contenu, la France ne se préoccupe pas de savoir, comme les Etats-Unis, quel pays ou quel président est un modèle de démocratie. C’est dans leur ensemble que les chefs d’Etat africains sont reçus par leur homologue français. Et si, à la fin de la décennie 80, à la Baule, le président Mitterrand a promis de faire porter aux présidents africains la camisole de force de la démocratie, la politique de la France n’a jamais varié envers les dictateurs, despotes et autocrates qu’elle maintient dans ses républiques bananières.
Conjurer le risque américafricain
Et, aujourd’hui, ce que la France craint par-dessus tout, ce n’est pas des sommets entre l’Afrique et la Chine, l’Inde, le Japon ou la Turquie. Ces rencontres entrent strictement dans le canevas économique et commercial. Ce que la France, qu’elle soit de droite, de gauche ou du centre, qu’elle soit verte ou pas mûre, redoute le plus, c’est une « Américafrique », une entité qui tiendra forcément compte des paramètres sécuritaires, militaires et politiques. Son bétail africain doit rester dans l’enclos françafricain.
Et pour contrer l’offensive américaine, qui se limite pour le moment à des actes de formation militaire, de fournitures en équipements et renseignements, d’appuis aux opérations de lutte antiterroriste, et reprendre pied dans son territoire, la France a trouvé l’occasion idéale : les interventions armées pour participer à la lutte contre l’internationale terroriste. Et, dans la foulée, signer avec les pays « sauvés » des accords de défense et de coopération militaire, et s’y maintenir.
Ainsi, la France qui «n’a pas vocation à se substituer aux armées africaines» a quand même l’occasion de cantonner ses forces armées et spéciales sur le continent. Histoire de ne pas perdre l’œil sur ses intérêts.
Cheick TANDINA