Au Mali, tout comme dans bien d’autres pays africains, les albinos sont parfois victimes de meurtres et d’enlèvements mystérieux liés à des croyances ancestrales. Une fois tués, des parties entières de leur corps sont enlevées ou découpées en morceaux, pour servir d’offrandes à des sorciers, à des prétendus djinns. D’autres parties sont utilisées pour préparer des potions vendues à des hommes d’affaires ou politiques. Dans certaines croyances d’une autre époque, on raconte que «boire ce liquide rendrait riche et beau pour l’éternité…».
Premier constat, dans cet autre véritable phénomène de société au cœur des temps modernes, c’est qu’il n’existe pas de statistiques fiables en la matière. De ce fait, des mesures appropriées doivent être prises par l’Etat pour instaurer, au besoin, un recensement général des albinos et mettre en place un service policier d’escorte des enfants atteints de cette anomalie lorsqu’ils se rendent, par exemple, à l’école. «Nous avons été maudits. Outre les problèmes d’élimination physique, nous sommes, depuis longtemps traumatisés. Nous sommes isolés, repoussés. Personne n’ose nous demander en mariage», déplore Sambou, un vieil albinos.
Preuve irréfutable que les croyances autour de l’albinisme persistent au Mali. Génie des eaux, devin, mi-homme mi-dieu, tels sont les attributs que l’ont prête, dans certaines localités du pays, aux albinos. Recherchés pour leurs prétendus pouvoirs bénéfiques ou maléfiques, ils sont souvent victimes de sacrifices humains.
Pour mettre un terme aux croyances et aux pratiques occultes qui en découlent, des associations se battent au quotidien pour que les albinos ne soient plus marginalisés. Pourtant, ils sont nombreux, dans notre pays, à être atteints de cette maladie, l’albinisme, qui se caractérise par une absence de pigmentation. Outre les problèmes de vue et les risques de cancers de la peau directement liés à cette infection, les albinos font l’objet de toutes sortes d’agressions et de violences physiques à cause encore des croyances persistantes sous nos cieux.
Malgré des campagnes de sensibilisation, les sacrifices humains ont toujours cours dans le pays profond. Ainsi, il n’est pas rare d’assister, à travers les colonnes de nos confrères spécialisés en faits divers, de terribles cas d’enlèvements ou de meurtres d’albinos.
Des sacrifices humains
Malheureusement, les albinos sont recherchés, voire traqués presque partout en Afrique et au Mali pour des besoins en sacrifices humains, prometteurs (en termes d’enrichissement ou d’élévation sociale). «Au moment des compétitions électorales, le sang ou les organes des albinos sont convoités par certains candidats. Pendant cette période, nous devons rester chez nous», indique une mère d’albinos. «Les albinos ne sont plus perçus comme des êtres humains; mais, comme des objets sacrificiels convoités pour leurs têtes ou pour leurs appareils génitaux, les parties du corps les plus puissantes», ajoute-t-elle.
C’est au niveau du corps social que les répercussions sont les plus influentes et les plus fréquentes. Même si cette pratique a tendance à devenir de moins en moins courante, les albinos peuvent être rejetés à leur naissance. «Quand je suis né, mon père ne voulait pas de moi. Heureusement, le reste de ma famille l’a convaincu de me garder, pensant que j’étais un bébé», explique Sory Kéïta, un albinos et militant actif de la cause. Et à Korotoumou T. d’enfoncer le clou en ces termes: «Je ne suis presque jamais sortie de chez moi, par peur que l’on me fasse du mal».
Aux dires d’un sociologue de la place, les croyances mènent la vie dure aux albinos. Car, soutient-il, ils sont encore victimes de rejet. «Les gens les regardent bizarrement. Ils les toisent et ont peur d’eux», conclura-t-il.
Cependant, avec la longue lutte des associations de défense du droit des albinos, la superstition tend à diminuer au Mali. «Les gens sont moins ignorants et commencent à considérer l’albinisme comme une maladie comme les autres», soutient un autre spécialiste.
Paul MAHAMANE
Encadré
L’albinisme est une anomalie génétique caractérisée par une absence de pigmentation de la peau, des poils, des cheveux et des yeux. Si aux Etats-Unis ou en Europe, une personne sur 20.000 est albinos, ce taux descend à un individu sur 4 000 en Afrique, où l’on tente de lutter contre ces crimes. Au Mali, malgré leur nombre considérable, il n’existe pas de statistiques fiables en la matière.