Lors de sa dernière visite au Mali en fin décembre 2013, le Ministre français de la Défense, Jean Yves le Drian, avait affirmé qu’il reviendrait au Mali le 20 janvier 2014 pour signer, au nom de la France, un accord de défense avec le Mali. La signature d’un accord suppose l’engagement d’au moins deux parties. Entre Boubéye et Drian qui ment ?
Pour l’annoncer officiellement comme l’a fait le ministre français de la Défense, il a bien fallu qu’il eût les garanties de la partie malienne représentée au sommet de l’Etat. Mais depuis la levée de boucliers de la part d’une large frange de l’opinion publique pour contester un tel agenda, on assiste à une opération de dérobade très bien orchestrée avec des ministres et des conseillers qui n’éprouvent la moindre gène à jurer, la main sur le cœur, qu’il n’ya pas de quoi fouetter un chat, parce qu’il n’a jamais été question de signature de quoi que ce soit à la date du 20 janvier 2014. Mais en même temps, personne d’entre eux n’a osé construire son argumentaire sur l’idée peu recevable selon laquelle toute cette histoire ne serait que le produit de l’imagination fertile de M. Drian.
Par conséquent, nous devons nous rendre à l’évidence et conclure à une défaillance majeure de l’Etat qui a failli effacer du patrimoine commun malien, le souvenir heureux d’un évènement historique constitutif de notre conscience collective. Notre patrimoine historique a failli subir une souillure violente et irréversible de la part de certaines autorités de l’Etat qui ne méritent plus le respect et la confiance de la Nation malienne.
La planification méthodique de ce sabotage d’un symbole fort de notre indépendance et de notre souveraineté est assurément l’expression irresponsable d’un déni de patriotisme qui ne s’explique que par le peu d’intérêt que ses auteurs attachent à l’histoire glorieuse du Mali.
Chaque citoyen a certainement le droit de choisir la part de fondamentaux historiques et culturels sur laquelle il veut construire sa personnalité, sa psychologie et sa spiritualité. Mais dans le cadre de la gestion d’une partie du patrimoine matériel ou immatériel de l’Etat, la notion de citoyenneté prend une autre dimension qui limite son expression dans un champ de libertés et d’obligations très encadré, favorable à la prise en charge effective de la défense des intérêts matériels et moraux de tout un peuple au service duquel engagement a été librement pris. C’est le cas de tout ministre de la République qui a, en tout lieu et en toute circonstance, la responsabilité imprescriptible de veiller à la sauvegarde et à la vivification du patrimoine commun de la Nation qui est une propriété indivisible de tout le monde dans lequel chacun (e) doit se retrouver et pour lequel une transmission régulière doit être assurée de génération en génération.
La date du 20 janvier commémore un évènement empreint de courage patriotique et de fierté nationale dans un contexte difficile de défense et d’affirmation de la souveraineté du Mali. Elle est par conséquent un élément essentiel de notre patrimoine historique commun qui rappelle un haut fait d’armes de l’armée malienne dans ses relations heurtées avec la France colonisatrice et pour lequel la nation entière exprime unanimement sa fierté. En choisissant de parapher les termes d’un Accord Militaire (AM) avec le Mali en cette date symbolique du 20 Janvier négativement chargée pour elles, les autorités françaises ont fait montre d’un grand esprit patriotique parce qu’elles tentaient de transformer un jour noir inscrit dans les annales de l’histoire africaine de la France en un jour de gloire. L’Etat français et son ministre de la défense Drian étaient simplement dans leur rôle.
Entendons-nous bien ! Ce n’est pas le principe des Accords militaires qui est décrié ici, surtout pour un pays (le Mali) qui vient de vivre une crise violente et multiforme qui a étalé largement et au grand jour, les faiblesses structurelles de son système de sécurité et de défense ainsi que les insuffisances fonctionnelles et opérationnelles criardes des Etats africains pour faire face aux différentes menaces auxquelles ils sont désormais régulièrement confrontés. Par conséquent, non seulement de tels Accords militaires entre les Etats du Mali et de la France sont nécessaires, mais devraient être élargis à d’autres Etats africains, occidentaux et asiatiques qui ont l’expertise, la logistique et les forces appropriées, leur permettant de participer efficacement aux réponses diversifiées et adéquate
s que requièrent les besoins en sécurité et en défense auxquels le Mali devra faire face.
‘’substituer le jour de notre fierté par celui de notre humiliation’’.
Par contre, ce qui est contestable et mérite d’être rigoureusement dénoncé, c’est la légèreté et le manque de sérieux qui ont présidé à la capitulation facile de la part de certaines autorités de l’Etat malien qui ont validé le choix de la date du 20 janvier 2014 pour la signature des Accords militaires avec la France. Ces autorités gouvernementales ont failli rayer définitivement de notre livre de mémoire historique, l’une de ses pages les plus glorieuses, n’eut été la perspicacité et le courage risqué (pour qui connaît l’orgueil et le paternalisme mal refoulé de l‘ex-puissance colonisatrice) du Président IBK, heureusement alerté par des citoyens ordinaires, mais patriotes et sincères, à travers les media maliens qui jouèrent parfaitement leur rôle d’alerte et de veille.
En entérinant cette date du 20 janvier (je n’ose pas imaginer un seul instant que cette date fut une suggestion malienne), que ce fut par oubli, par ignorance, par complaisance ou par simple indifférence, ces enfants du Mali ont travesti leur mission, trahi la confiance du peuple et failli engager la République du Mali dans un processus irréversible vers sa déchéance morale.
Cette tentative, heureusement ratée, de reformatage de la conscience historique des maliens est une vraie abomination. Qu’on ne nous parle surtout pas de coïncidence quand il s’agit de poser un acte aussi diabolique susceptible de substituer le jour de notre fierté par celui de notre humiliation. Ce choix porté sur le jour-anniversaire de notre rupture patriotique avec l’armée française dans un contexte particulier pour qu’il symbolise dorénavant le jour de sa revanche, est absolument suspect et nous rend profondément soupçonneux.
Les principes élémentaires d’organisation et de méthode interdisent qu’une date aussi symbolique dans l’histoire récente du Mali (1960) soit souillée pour une raison tue à dessein qui mériterait d’être connue de tous.
Se pose alors avec acuité la question de la compétence et de la loyauté des nombreux membres du cabinet du Président de la République qui n’auraient rien vu venir. Nous interpellons par conséquent solennellement l’Assemblée Nationale afin que les ministres de la Défense, de la Sécurité, de la Culture ainsi que le Secrétaire général de la Présidence, soient convoqués et entendus pour informations, afin que les responsabilités soient clairement situées dans cette affaire qui a failli atteindre profondément, violemment et de manière irréversible, la conscience collective des populations maliennes. C’est aussi cela la rupture dans le comportement de ses dirigeants et dans le fonctionnement des institutions de la République que les maliens attendent légitimement. Parce qu’un ministre de la République ne saurait être un citoyen comme les autres.
Boniface Démbélé