«Malgré la crise, il se trouve qu’en 2012, la hausse des prix de l’or et du coton sur les marchés internationaux a eu un impact positif sur l’économie malienne, l’or représentant 80% des recettes d’exportation du pays et une part importante des recettes fiscales». C’est ce que Cheikh Diop, économiste de la Banque mondiale à Bamako, écrivait dans son rapport. Dans le classement fait par le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale (Bm), le Mali, en 2012, affichait un Pib annuel par habitant de 649 US $ (315 306 F CFA), soit 26 275 FCfa par mois, par habitant. Et pourtant, les populations ont faim.
La réalité est plutôt l’Indice de développement humain (Idh) qui se base sur l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le pouvoir d’achat. Ces critères de bien-être individuel et collectif ont permis au Pnud de classer 187 pays. En 2011, le Mali y occupait la triste 175ème place. A priori, il est difficile de comprendre que le Mali affiche une croissance économique sensible, alors que l’indice de développement humain des populations stagne. Le prix des denrées au marché ne cesse d’augmenter, la sécurité alimentaire n’est pas assurée, le taux d’alphabétisation demeure très faible et l’accès à la santé publique est singulièrement restreint.
Certes, les plans d’ajustement structurel imposés dès les années 80, et la dévaluation du FCfa sont des causes majeures. Mais, nul n’ignore que le dénuement dans lequel vivent les populations, est principalement dû à la mauvaise gestion de l’Etat par les régimes successifs, plus préoccupés de leur propre bien-être que de celui des citoyens. L’enrichissement illicite et la corruption minent le pays depuis des décennies, et ce, à tous les niveaux, privant ainsi les populations de tout ce qui leur revient de droit. Petit à petit, le pays a été transformé en une zone de non-droit où tout est permis. Les coupables ne sont pas inquiétés. Ils vivent dans leurs riches villas et circulent dans leurs luxueuses voitures 4×4, alors que les mamans se demandent comment faire bouillir la marmite. Les milliardaires sont connus de tous. Chacun accepte de glisser un billet dans un dossier pour obtenir le document administratif voulu, et fait taire le policier qui siffle au coin de la rue de la même manière.
Les relations sociales permettent d’obtenir les diplômes et les emplois. Le pays est gangréné de la tête à la queue. Dans le classement 2010 de Transparency international, le Mali occupait le 116ème rang sur 178, reculant ainsi de 5 places. Il aura fallu la crise polymorphe de 2012 pour que chacun reconnaisse que ces pratiques généralisées, ont non seulement piétiné les droits humains, mais aussi creusé le lit de l’insécurité et du conflit. Le Mali a dangereusement tangué, et la tempête n’est pas terminée. De nombreux pays et bailleurs ont promis d’aider à la reconstruction, mais ils exigent que, cette fois-ci, les fonds bénéficient de façon pérenne à l’ensemble des populations, afin que le développement humain devienne une réalité.
Le Mali doit faire preuve de bonne volonté, mais, surtout, prendre les mesures efficaces et sincères pour stopper l’enrichissement illicite des élites et la corruption au quotidien. C’est dans cet esprit que la Primature a organisé le Forum sur la corruption et la délinquance financière, au Cicb, les 23 et 24 janvier derniers. Dans son discours d’ouverture, Oumar Tatam Ly, Premier Ministre, a reconnu que «ce fléau décourage les bailleurs, spolie les populations, entretient la pauvreté et les conditions socio-économiques déplorables, anéantit la confiance que les citoyens doivent avoir en leurs élus et la sphère politique, et détruit les valeurs ancestrales maliennes». Il a ajouté que «tous les secteurs sont touchés : l’Etat, les administrations et la société civile» et a conclu que «le changement collectif passera par le changement individuel».
Mais, l’Etat ne peut pas être juge et partie. Comment les principaux acteurs de ces pratiques peuvent-ils prétendre être ceux qui éradiqueront le mal ? C’est au citoyen, quelque soit sa condition sociale, de voir ce que ceux qui mangent l’argent et ceux qui font des affaires, au vu et au su de tous, soient dénoncés et jugés de façon impartiale et indépendante. C’est au citoyen de veiller à ce que l’argent volé, soit restitué et utilisé pour une véritable amélioration de tous les services publics et pour une modernisation des infrastructures. Les salaires pourront alors être augmentés. Chaque travailleur deviendra un contribuable exigeant envers l’Etat, et parfaitement conscient de ses propres devoirs de citoyen. Dans le secteur public comme dans le secteur privé, en ville comme au village, chacun doit aussi comprendre en quoi certaines de ses propres pratiques sociales relèvent de la corruption.
Des campagnes de sensibilisation doivent être lancées. Les médias doivent jouer leur rôle. Les artistes doivent user de leur talent et de leur rayonnement pour faire passer le message. Les parents doivent montrer l’exemple à leurs petits. L’école malienne doit redevenir un haut lieu de moralité, afin que seul le mérite soit le critère pour obtenir un diplôme. L’emploi doit être attribué au méritant, et non à celle ou celui qui a des relations. Tout ceci prendra du temps, car le mal est aussi endémique que les maladies qui tuent les enfants en bas âge.
Cette lutte est nécessaire, car elle relève des droits humains et de la démocratie. Elle est la condition sine qua non pour que le Mali Kura devienne une réalité. Cette lutte permettra au peuple malien de relever la tête et de vivre comme il le mérite, bien installé sur sa terre riche de ses fleuves, de ses ressources naturelles, de son savoir-faire agricole et de son potentiel humain. A terme, cette lutte mettra fin à la poursuite de la chimère du bonheur au pays des Blancs. Il est temps pour le Mali de relever ses manches. Vraiment !