Nous avons rencontré le faiseur des braves dans le milieu des chasseurs à l’issue de la fête rituelle des Koroma à Semana. Le chanteur a bien voulu nous accorder un entretien sur la dégradation de nos parcs forestiers. Selon Sékoubani Traoré, de nos jours, la forêt a besoin de l’appui de tout un chacun pour éviter une catastrophe environnementale.
L’interview a été réalisée dans un climat convivial dans une forêt blessée par les feux de brousse. Lisez-là plutôt. L’Annonceur : Bonjour Sékouba Traoré. Nous sommes dans la forêt de Semana, une zone pourtant agropastorale et surtout connue pour ses valeurs traditionnelles par ses pratiques de chasseurs et ‘’Somas’’ (thaumaturge). Pourtant un chasseur et un ‘’Soma’’ n’as de recours que la forêt. Quel constat faites-vous ? Sékouba Traoré : Ce n’est pas ici seulement. Partout au Mali, depuis un certain temps, nos forêts sont dégradées.
Le constat est tout simplement amer. Quand je compare le parc forestier de nos jours et cette même forêt il y a dix ans, j’ai tout simplement envie de pleurer. L’Annonceur : Cela veut dire que la forêt représente beaucoup de chose pour vous… ? Sékouba Traoré : Bien sûr. Pour moi, la forêt représente tout. Avant d’être un chanteur pour des chasseurs, je suis un Bambara et fils de cultivateur. La forêt, c’est pour moi une source de vie, avant tout. La forêt est aussi la mère protectrice des communautés qu’elle entoure. Grâce à la forêt, la pluie ne faisait pas défaut et même après l’hivernage, la forêt était un réservoir d’eau. L’écosystème nous permettait d’éviter certaines maladies dues à la dégradation de la nature. Quand je prends par exemple, le cas de certaines maladies graves de respiration surtout dans nos campagnes, pour moi la seule cause, ce sont les vents secs et violents. Pour la pauvreté de la terre, il n’y a plus rien à dire, tout le monde est conscient de la situation. Avant, nos parents ne connaissaient pas d’engrais parce que la forêt produisait son propre engrais organique grâce aux feuilles mortes et des poches d’eau qui produisaient de l’humidité. Un seul champ pouvait être utilisé pendant un siècle sans être dégradé.
L’Annonceur : En tant que chanteur des chasseurs et des somas, quelle est votre source d’inspiration ? Sékouba Traoré :
En tant que chanteur des Somas et des chasseurs, la forêt est ma source de vie et surtout d’inspiration. Vous savez, il m’est plus facile de louer une personne pour sa bravoure dans la forêt que pour sa richesse. Si je vois un chasseur qui m’a déjà apporté un gibier, je suis tellement comblé de joie et tout de suite, je peux inventer une belle chanson. Il en est de même pour un ‘’Soma’’ qui fait des miracles. Si tu prends l’histoire de certaines de mes chansons, tu verras qu’elles sont spécialement créées pour un événement grandiose qu’a accompli un chasseur ou un Soma. Pourtant, pour qu’un chasseur ait une renommée internationale, il lui faut une forêt digne de ce nom. De nos jours, à cause de la dégradation de la forêt, tous nos gibiers se sont enfuis dans les pays limitrophes. Car un gibier ne peut vivre sans eau et sans bosquet. Cela fait longtemps que l’on ne croise pas des gibiers en cours de voyage. C’est pourquoi si un chasseur te promet un gibier et qu’il tienne sa promesse, il est à remercier vivement pour sa détermination, et je prends tout mon temps pour louer ce chasseur.
L’Annonceur : Que faut-il faire pour reverdir notre forêt selon vous ?
Sékouba Traoré : Cela est très simple. Je commence par les ménagères et autres personnes qui ont recours au bois de chauffage de changer de méthode. J’ai vu dans la partie septentrionale du Mali, les populations utiliser de la bouse de vache et des crottins d’ânes pour faire de la cuisine et autres tâches liées au bois de chauffage et au charbon. Nous pouvons faire recours à la même méthode. Mieux, le crottin d’ânes est le meilleur produit de chauffage habilité. Pour les cultivateurs, il serait mieux de retourner aux engrais organiques. Car, les engrais chimiques sont les principales causes de la dégradation des terres. Quand j’étais encore enfant, la potasse que nos mères produisaient, provenait de la terre. Car les sols étaient riches. Mais de nos jours, il faut des cendres pour faire ce produit, car la terre a perdu toutes ses vertus à cause des engrais chimiques. Par ailleurs, au lieu d’abattre à chaque fois le peu d’arbres qui restent pour faire de nouveaux champs, il faut entretenir les anciens champs par les fumures organiques et éviter à beaucoup de pourcentage, les engrais chimiques. Il faut vraiment une nouvelle approche pour que nos forêts redeviennent un peu comme avant.
L’Annonceur : Et aux Agents des eaux et forêt ?
Sékouba Traoré : Aux agents des Eaux et Forêt, il faut impérativement impliquer le plus étroitement que possible les chasseurs à la protection de notre environnement. Il faut changer cette ancienne approche entre chasseurs et agents officiels de la protection de l’environnement. On doit donner aux chasseurs, la prérogative d’agent officiel et les moyens de surveiller de près tous les acteurs de la forêt. Mêmes les simples passants, il ne s’agit pas de faire subir aux gens des interrogatoires. Mais, ils seront là pour contrôler le moindre feu de brousse et dissuader les gens à couper les arbres.…
L’Annonceur : Est-ce que vous, en tant que jeune et vedette du milieu Soma et chasseur, vous serez disponible à une éventuelle campagne de sensibilisation pour la protection de notre parc forestier ? Sékouba Traoré :
Bien sûr, je crois que cela est mon travail de tous les jours. Le chanteur et les chasseurs ne peuvent pas se passer de parler de forêt. Moi, je serai prêt à faire ce travail sans aucune contrainte. Je ne me lasserai jamais d’exhorter les jeunes à faire quelque chose pour nos enfants et nos petits-enfants. Car, ces ressources naturelles constituent un précieux moyen que nous ont laissé nos parents et arrières parents. Si on ne fait rien, nos enfants auront d’autres problèmes dus à la dégradation de l’environnement plus graves encore. Une telle campagne viendra plutôt m’aider à l’une mes tâches quotidiennes. L’Annonceur : Un dernier mot ? Sékouba Traoré : Que des remerciements à l’endroit de tous les chasseurs et somas pour avoir fait de Sékouba ce qu’il est aujourd’hui. Si tout le monde, même des personnes qui ne sont ni chasseurs, ni soma et même des jeunes écoutent mes chansons qui sont pourtant particulières, c’est grâce à eux qui ont accordé beaucoup d’intérêts à ce que je leur dis. Je termine une fois encore avec ce conseil à l’endroit des jeunes. Prenons soin de notre environnement.
Christelle