La Suisse est un acteur discret mais influent dans l'actuelle médiation internationale entre Bamako et les groupes rebelles du Nord-Mali. Un engagement diplomatique sans arrières-pensées ?
Toujours sensibles, les affaires d'otages sont aussi très souvent entourées de mystère. Parmi les nombreux ressortissants occidentaux enlevés ces dernières années au Sahel, le cas de Béatrice Stockly fait partie des plus intrigants. Le 15 avril 2012, cette Suissesse d'une quarantaine d'années, amoureuse de Tombouctou où elle habite depuis longtemps, est enlevée par des hommes armés. Chrétienne investie dans le social, elle avait refusé de quitter la Cité aux 333 saints après sa chute aux mains des jihadistes, quinze jours plus tôt.
Récupérée par le groupe islamiste radical Ansar Eddine, Beatrice Stockly est libérée moins de dix jours après son rapt, le 24 avril. Un record, la majorité des otages au Sahel restant des mois, si ce n'est des années, en captivité. "On ne sait pas comment une libération si rapide a pu avoir lieu dans un tel contexte [les groupes jihadistes sont alors maîtres du Nord-Mali, NDLR], commente un ancien membre des services secrets helvétiques. Ce qui est sûr, c'est que les autorités suisses, avec l'aide des Burkinabè, ont fait jouer leurs solides réseaux avec les Touaregs maliens".
La Suisse est une vieille connaissance de la communauté touarègue du Mali.
La Confédération est en effet une vieille connaissance de la communauté touarègue du Mali. Comme d'autres pays européens, elle s’implique depuis plusieurs décennies, via différents accords ou programmes, dans la stabilité de la bande sahélo-saharienne. Ses diplomates ont récemment participé à la médiation internationale aux côté de l'Union africaine (UA), de l'Union européenne (UE), de la France, du Burkina Faso, de l'Algérie, du Niger et de la Mauritanie lors de la signature de l'accord de Ouagadougou entre les mouvements rebelles du nord du Mali et le gouvernement malien de transition, le 18 juin 2013. "Nous avons beaucoup collaboré avec les Suisses durant tout le processus de négociation, notamment pour les relations avec le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), confie un haut responsable burkinabè qui a participé à la médiation. Ils ont aussi financièrement appuyé la médiation, que ce soit pour la location de salles ou encore l'hébergement des différentes délégations".
L'envoyé spécial de la Suisse pour le Sahel reçu par IBK
Au cours de ces dernières années, les Helvètes ont régulièrement été soupçonnés d'accointances avec différents responsables touaregs, entrainant parfois des situations houleuses entre Berne et Bamako. En août 2012, le quotidien Le Temps déclenchait une tempête médiatique au Mali en révélant que le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE, ministères des Affaires étrangères suisse) avait financé une réunion politique des rebelles indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), fin juillet, à Ouagadougou.
Depuis, les Suisses s'efforcent de rétablir une relation cordiale avec les autorités maliennes. Didier Berberat, envoyé spécial de la Confédération pour le Sahel depuis octobre 2013, a effectué ces derniers mois plusieurs voyages au Mali. Il y a rencontré plusieurs ministres de haut rang et a fini par obtenir un rendez-vous avec le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le 27 janvier, à Bamako. "Nos échanges ont surtout porté sur la reprise du dialogue politique entre les deux parties, dévoile le diplomate suisse. L’objectif de cette entrevue était également de réaffirmer le soutien de la Suisse au processus de Ouagadougou [par ailleurs bloqué depuis le mois de novembre 2013, NDLR]".
L'engagement diplomatique suisse au Mali remonte aux premières heures de la crise entre les rebelles du MNLA et les autorités maliennes. En novembre 2011, un mois après sa fondation, le mouvement touareg noue des contacts avec la Confédération pour jouer les intermédiaires avec Bamako. À partir de janvier 2012, lorsque le conflit dégénère en guerre ouverte entre les deux bélligérants, c'est au tour du gouvernement malien de se rapprocher des autorités helvétiques. Depuis, les Suisses jouent un rôle important au sein de la médiation internationale, provoquant au passage l'étonnement de certains acteurs ou observateurs. "En arrivant à Bamako, j'ai été surprise de voir à quel point ils étaient impliqués dans la résolution de la crise du Nord", souffle ainsi un diplomate occidental en poste dans la capitale malienne.
Secteur aurifère
Pourquoi la Suisse s'immisce-t-elle de la sorte au Mali ? "Nous n'avons aucun agenda caché, se défend vigoureusement l'envoyé spécial Didier Berberat. Nous sommes un facilitateur et œuvrons au retour de la paix en mettant à profit notre expertise en matière de gestion des conflits". Ce petit pays européen, réputé pour sa tradition de neutralité, n'en a pas moins des intérêts non-négligeables du côté de Bamako. ... suite de l'article sur Jeune Afrique