Arrêté le 27 novembre 2013 à sa résidence de l’ex-base aérienne de Bamako, le général de cors d’armée Amadou Aya Sanogo passe des jours paisibles à l’Ecole de gendarmerie de Faladié, en commune 6 de Bamako.
Installé dans une grande pièce carrelée et dotée d’une toilette, il est devenu un fervent musulman. Sous son lit : un tapis neuf de prière, un chapelet et un exemplaire du Coran.
Ceux qui lui rendent visite rapportent qu’il récite par cœur une quarantaine de sourates du saint livre apprises dans l’enfance, à Ségou. « J’ai toujours cru en Dieu mais ma foi a grandi en prison, de même que mon aptitude au repos. Je n’aurais jamais cru possible pour moi de rester sur place toute une journée », confie Sanogo à des visiteurs. L’un d’eux observe avec une pointe d’amusement: « Le mandat de dépôt du juge d’instruction Yaya Karambé n’a fait que formaliser la prison quotidienne où se mouvait Sanogo depuis qu’il a lâché le pouvoir, en avril 2012. Avant son arrestation, il vivait presque reclus, pour des raisons sécuritaires, mais aussi de crainte de gêner le nouveau pouvoir d’IBK. ».
Pour arriver à la cellule du célèbre prisonnier, il faut montrer patte blanche aux gendarmes de faction à l’entrée de l’Ecole de gendarmerie, vaste établissement qui s’étend sur près de 50 hectares. Depuis la diffusion, par le général Sanogo, d’une interview sur une radio de la place, la surveillance autour de sa personne s’est considérablement renforcée. La garde de service exige un permis de communiquer délivré par le juge d’instruction et, pour les avocats, une lettre de constitution dûment déchargée par le cabinet du magistrat. Des avocats ont été éconduits pour n’avoir pas respecté cette formalité. En dehors des avocats, nul n’est admis dans la cellule de Sanogo qu’avec son autorisation. Cette nouvelle mesure vient de ce que récemment, un colonel du nom de Fakourou Kéita, patron du service des ressources humaines de l’armée, s’est fait recevoir là sous couvert d’un permis de communiquer et a cru utile d’engager une altercation verbale avec le détenu.
Après la porte d’entrée, il faut traverser la vaste cour de l’Ecole de gendarmerie jusqu’au bâtiment où siège le peloton d’intervention de la gendarmerie nationale (PIGN). A l’entrée de cet édifice assez isolé, se tient une seconde équipe de surveillance.
L’enceinte du bâtiment est inondée de véhicules militaires et d’une dizaine d’agents armés.
Le chef de poste, qui change régulièrement, trône devant une grande table, accompagné d’agents constamment sur le qui-vive. Il vérifie l’identité et les documents d’accès du visiteur, lui passe un détecteur de métaux, le débarrasse de ses outils électroniques (téléphones, par exemple) puis annonce sa venue au détenu. Le visiteur ne manque d’être frappé par le respect voué à Sanogo par ses geôliers. Ils ne le saluent qu’en se mettant au garde-à-vous et l’intéressé, tout sourire, les invite au repos d’une voix vigoureuse. Comme pour cultiver ce climat de garnison, Sanogo, qui a grossi de quelques kilos, ne quitte pas son uniforme et ses galons de général. Il lui arrive de plaisanter en lançant à un soldat de passage: « Si tu ne m’amènes pas un thé en vitesse, je te mets aux arrêts de forteresse ! C’est le général qui parle ! ».
Sanogo se félicite que les services de sécurité aient enfin remis en liberté les 32 agents qui le servaient à domicile avant son incarcération. Ils avaient été ramassés à sa résidence le 27 novembre 2013 puis maintenus au secret en l’absence de toute décision judiciaire. Suite aux dénonciations de la presse et à une grève de la faim entamée par les malheureux, ils furent libérés sans autre forme de procès.
Dossier désespérément vide
Depuis son placement sous mandat de dépôt, Sanogo n’a pas été interrogé sur le fond du dossier d’accusation. Il n’y a eu que l’interrogatoire de première comparution destiné à vérifier son identoité, à lui notifier le motif de son inculpation et à le placer sous mandat de dépôt. Le juge semble, pour l’instant, privilégier les enquêtes périphériques afin de mettre la main sur des éléments consistants devant lesquels Sanogo perdrait ses moyens.Ainsi, quelques 14 co-inculpés sont déjà passés dans le bureau du juge. Invariablement, le magistrat leur pose les questions suivantes : « Sanogo vous a-t-il ordonné de tuer les 21 bérets rouges retrouvés dans une fosse commune à Diago, près de Kati ? Avez-vous assisté ou participé à leur meurtre? Si Sanogo avait été informé de leur projet d’élimination, l’aurait-il empêché ou approuvé? ». Jusqu’à présent, le juge a fait chou blanc.
Aucune des personnes interrogées n’a accusé formellement l’ex-chef de la junte militaire d’avoir ordonné, participé ou assisté à l’acte. Au contraire, selon des sources très proches du dossier, toutes les personnes interrogées ont répondu que s’il l’avait apprise à temps, il aurait sûrement empêché la liquidation physique des bérets rouges arrêtés. C’est donc l’impasse totale. « Vous comprenez maintenant pourquoi le juge, qui peine à prouver l’enlèvement, ne se risque pas encore à requalifier les faits en assassinat, crime beaucoup plus difficile à démontrer mais qui fait fantasmer les associations de droits de l’homme et les ennemis de Sanogo ! », commente un avocat de l’officier général. Est-ce la raison pour laquelle le juge d’instruction a décidé d’étendre l’éventail des enquêtes en émettant le souhait d’entendre des officiers actuellement bien placés dans les sphères dirigeantes de l’Etat ? Probablement.
A s’en tenir aux faits d’enlèvement actuellement poursuivis, le général Sanogo, en cas de condamnation, encourt 20 ans de prison. C’est ce qui ressort de l’article 240 du Code pénal qui dispose: « Quiconque par fraude, violence ou menaces, enlèvera un individu du lieu où il aura été placé par ceux à l’autorité desquels il était soumis ou confié, sera puni de cinq à vingt ans de réclusion et facultativement d’un an à vingt ans d’interdiction de séjour ».
Liberté provisoire
Déjà interrogés sur le fond, les 14 co-inculpés de Sanogo (tous des militaires) ont déposé la semaine dernière une demande de mise en liberté provisoire. Le juge y accédera-t-il ? Rien n’est moins sûr. Le dossier Sanogo suscite, en effet, beaucoup de passion; de plus, le parquet, qui obéit aux ordres du ministère de la justice a le pouvoir d’empêcher la libération; enfin, une foule de hauts dignitaires aimerait savoir le général Sanogo à l’ombre plutôt que libre des pieds et des mains. Quant à Sanogo lui-même, il attend. Pas de demande de liberté. Pas de bruit. Il a confié à des proches sa conviction que le chef de l’Etat a été trompé sur son compte et que son sort se trouve entre les mains de Dieu. Pieux musulman, on vous dit !