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Youssouf Traore au sujet du Blocus à la frontière Mali-Sénégal : «Que de tracasseries et d’abus sur ce corridor»
Publié le lundi 17 fevrier 2014  |  Le Prétoire




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Le trafic marchandises sur le corridor Bamako-Dakar est paralysé depuis le 9 février, suite à une décision des autorités sénégalaises interdisant aux camions maliens de pénétrer sur leur territoire avec les réservoirs de carburant pleins. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase depuis bientôt une semaine. Pour en savoir plus, nous avons rencontré le président du conseil malien des transporteurs routiers(Cmtr), Youssouf Traoré. Dans une interview exclusive, le patron des transporteurs routiers explique les raisons de leur blocus à la frontière et dénonce la démarche solitaire des autorités sénégalaises contraire aux principes de l’Uemoa.

Le Prétoire : Vous venez d’effectuer une visite d’amitié au Sénégal, quelles sont les raisons et les enseignements de cette mission?

Youssouf Traoé : Nos partenaires du Sénégal ont effectué une mission commerciale ici en novembre dernier. Nous avions convenu d’échanger sur la gestion du corridor reliant les deux pays et sur le passage des marchandises en transit au port de Dakar. Le 10 février dernier, nous avons été saisis par les transporteurs maliens qui nous ont dit avoir été sommés par la gendarmerie sénégalaise de vider les réservoirs secours. Vous savez que le gasoil coûte moins cher au Mali qu’au Sénégal. Ce qui fait que nos transporteurs, en partant à Dakar, achètent leur carburant aller et retour. Mais aussi des Sénégalais qui viennent décharger au Mali profitent aussi du prix du carburant pour en faire autant.
À notre grande surprise, ils ont pris une nouvelle mesure pour y mettre fin. Partenaires que nous sommes, les Sénégalais auraient dû nous saisir avant de prendre une telle décision. Tel n’a pas été malheureusement le cas. Toute chose qui a irrité les transporteurs, contrairement à ce qui se dit. On n’a pas bloqué la frontière. En tant que Président, j’ai pris mes responsabilités et j’ai informé le ministre des Transports.

J’ai demandé aux transporteurs de rester à la frontière du Mali en attendant de trouver un dénouement à cette situation. Sur vingt deux camions, ils en ont vidé je crois sept, soit huit milles litres de gasoil, pour raison, disent-ils, de trafics de carburant entre les deux pays.
Cette affaire ne peut pas continuer, le Sénégal et le Mali sont les seuls pays qui utilisent le port de Dakar, tous les pays voisins du Sénégal ont leur port à part le Mali. Et je peux vous dire que nous avons transporté deux millions de tonnes, transitées en 2013 au port de Dakar. Ça fait beaucoup de dizaine de milliards pour l’économie du Sénégal. Donc aujourd’hui, la frontière est bloquée, j’ai été interpellé par l’ambassadeur du Sénégal au Mali et un colonel de la Minusma pour me dire qu’ils ont des marchandises qui doivent aller à Bamako.

Au moment où je vous parle, je reviens de cette mission au Sénégal. J’étais avec le CMC, ou nous avons rencontré le ministre sénégalais en charge des transports et son homologue de la Pêche et des infrastructures maritimes, avec qui on a eu des échanges. Au cours de ces échanges, on a parlé de l’aspect économique, ceux-ci nous ont fait croire que le Sénégal perd beaucoup d’argent. Car il prend des redevances sur le pétrole qui sont utilisées pour entretenir les routes. Aussi, le Sénégal vend moins de carburant parce que tous les camionneurs, Sénégalais ou Maliens, n’achètent plus le carburant au Sénégal. Ils se ravitaillent au Mali. Nous sommes dans un ensemble économique où la liberté de concurrence est de bonne guerre. Donc aujourd’hui, si on doit arrêter l’achat du carburant au Mali, et qu’on doit donner 500 000 FCFA pour le carburant retour, c’est pour exposer les chauffeurs à l’insécurité, sachant bien qu’il y a en moyenne trois cents camions qui relient quotidiennement les deux capitales. Nous avons demandé à nos homologues du Sénégal de gérer cette affaire dans le sens de l’intérêt de nos deux pays.

En dehors de cette mission au Sénégal où vous avez rencontré ces problèmes, avez-vous entrepris des démarches à Bamako pour décanter la situation ?

Dès que j’ai été saisi par le président du conseil malien des transporteurs de Kayes, j’ai aussitôt informé mon ministre de tutelle. Cela pour lui dire qu’il ya des problèmes à la frontière entre les autorités sénégalaises et les camionneurs maliens. Aujourd’hui les camions ne veulent plus continuer la route, ils se sont tous arrêtés à la frontière en attendant en tous cas le dénouement de la situation. Donc la tutelle est au courant, que la frontière n’est pas fermée parce qu’ils ne veulent pas aller au risque de se faire vider leur réservoirs de carburant.
En tant que président des transporteurs est ce que vous mesurez la conséquence de cette situation ?
C’est un manque à gagner terrible pour les deux économies particulièrement le Sénégal, je dis qu’il y a 300 camions qui sont en mouvement. Vous imaginez deux millions de tonnes aujourd’hui, le prix moyen d’une tonne est de 38.000 FCFA. Si vous multipliez trente huit mille à deux millions combien ça vous fait. C’est à peu près deux cent milliards des frais de transport. Ces frais sont partagés entre les Sénégalais et les Maliens et ça profite aux deux pays. Donc, si la frontière est bloquée certes, ça n’arrange pas les operateurs économiques mais aussi ça n’arrange pas autant le Sénégal.

Ce n’est pas la première fois qu’il y ait une crise entre le Sénégal et le Mali sur la gestion du corridor Dakar et Bamako. Pourquoi une répétition de crise?

L’accord communautaire et les dispositions de l’Uemoa prônent la libre circulation des personnes et des biens entre les Etats. Nous sommes dans cette logique, la première crise était due au comportement des chauffeurs Sénégalais et en même temps le problème de pesage récurrent qui, aujourd’hui, agace les transporteurs. Parce que la méthodologie utilisée par les autorités sénégalaises en la matière est contraire à l’esprit du règlement 14 de l’Uemoa. Le règlement 14 de l’Uemoa a adopté un pesage statique, c’est-à-dire tu viens avec le camion tu t’arrêtes sur le pont et tu es pesé au poids total qu’on appelle PTAC.

Et Aujourd’hui le Sénégal utilise les deux systèmes, le système aérodynamique, qui est un pèse essieu où tu passe les essieux un à un. On pèse et en même temps si tu as un surpoids sur un axe c’est facturé à part et ensuite on procède au pesage statique qui est le pont bascule. Quand tu as un surpoids, tu es encore taxé. Avec cette méthode, tu es deux fois taxé au Sénégal. Ce qui est contraire aux principes de l’Uemoa. L’Uemoa a donné deux ans de moratoire aux transporteurs pour changer les habitudes. Nous avons dit deux ans ça ne suffit pas, les transporteurs se sont endettés. Nous avons des engagements avec la banque et on ne peut solder en deux ans et remettre les véhicules aux normes exigées. L’Uemoa n’a pas changé c’est toujours les mêmes règlements qui sont en vigueur 14 tonnes à l’essieu au lieu de 12 tonnes appliquées au Sénégal.

L’un des sujets importants de cette mission était aussi de revoir la position du Sénégal par rapport au pesage sur les camions et les entraves sur le corridor. Nous sommes dans cette logique là, d’abord nous avons dit que nous ne bougerons pas avec ces camions tant qu’on nous ne remet pas dans nos droits. C’est-à-dire remettre les documents afférents aux véhicules et aux chauffeurs, restituer les permis saisis par la gendarmerie, remettre le carburant vidé. Aujourd’hui le Sénégal est un pays qui a des problèmes avec la Gambie et la Mauritanie également. Il faut que nos Etats montrent leurs muscles au Sénégal sinon on est fatigué sur le corridor Dakar-Bamako.

En tant qu’acteur majeur du secteur des transports, quelle est la solution que vous préconisez pour résoudre définitivement les petits problèmes entre les deux Etats ?

A la suite de cette mission, nous avons discuté avec les deux ministres et du port en charge de la gestion de cette affaire. Nous leur avons dit que nous sommes en partenariat, si vous devez prendre des décisions, nous devons être associés dans l’intérêt des deux pays. Le port du Sénégal n’est utilisé que par des Maliens. Et le port du Sénégal contribue beaucoup à l’économie du Sénégal et les Maliens contribuent indirectement beaucoup à cette économie. Il y a beaucoup d’échanges entre le Sénégal et le Mali, nous nous devons le respect mutuel. Mon homologue du Sénégal est d’accord avec moi : il est solidaire avec moi parce que lui-même ne comprend pas. Il n’a pas été informé c’est ce qui est très grave. Il y a beaucoup de camions sénégalais qui sont bloqués au Mali qui ne peuvent pas aller au Sénégal. Parce que la frontière n’est pas fluide. Cela cause des problèmes il y a des gens qui sont à quatre jours de stationnement et peut être qu’ils n’ont pas d’argent pour manger. Aujourd’hui, nous en tant qu’acteur nous demandons à l’Etat du Sénégal de laisser les camions circuler librement conformément à l’esprit de l’Uemoa et de la Cedeao, démanteler les barrières non tarifaires départ, les postes intermédiaires et à l’arrivée.

C’est n’est pas seulement Sénégal, au Mali aussi il y a des problèmes. Les Etats doivent faire des efforts pour respecter l’esprit de la Cedeao et de l’Uemoa. Notre position est ferme et sans équivoque. Aucun camion ne prendra la route de Dakar sans l’abrogation de cette décision. Nous demandons aussi l’indemnisation des 22 gros porteurs qui ont été obligés de déverser une partie du carburant embarqué. Trop, c’est trop. Que de tracasseries et d’abus sur ce corridor ! A une certaine époque, c’était les cars maliens qui se sont vu interdits d’entrée sur le territoire sénégalais au prétexte que les cars sénégalais n’avaient pas assez de clients. Chaque jour, nous découvrons de nouvelles décisions qui nous lèsent sur ce corridor

Propos recueillis par
Nouhoum DICKO

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