Recrutés par l’ex-junte à raison de 10 000 FCFA pour la journée de travail : Deux saisonniers devenus fous après avoir creusé la fosse commune de Diago
Publié le mercredi 19 fevrier 2014 | L’Indépendant
Au fur et à mesure que les têtes tombent dans l’affaire des 21 bérets rouges dont les corps ont été déterrés dans la nuit du 3 au 4 décembre 2013, dans la commune rurale de Diago, les langues des présumés témoins se délient. C’est ainsi qu’on a récemment appris que deux travailleurs saisonniers sont devenus fous après avoir creusé la fosse commune de Diago, sous la menace d’armes à feu.
Ces deux travailleurs saisonniers -leur ethnie importe peu même s’il est facile de le deviner – étaient tranquillement assis devant un kiosque du marché Dibida, quand un monsieur en tenue civile vînt leur demander s’ils voulaient travailler sur un chantier non loin de Kati. A peine les deux manœuvres ont-ils le temps de penser sur « le coût de la prestation » que leur interlocuteur ajouta promptement « c’est à 10 000F CFA la journée« . Un tel montant coupa le souffle à ces colosses qui n’avaient même pas déjeuné à leur faim ce matin-là. La journée de travail pour un manœuvre étant traditionnellement de 2 000F CFA, ces saisonniers ne pouvaient, en aucun cas; rater cette occasion en or. En cette période de crise financière aigue consécutive au coup d’Etat du 22mars 2013.
L’affaire conclue, ils embarquèrent à bord d’un véhicule 4×4 aux vitres teintées pour une destination que ces deux travailleurs ne pouvaient aucunement soupçonner. En tout cas, ils étaient heureux à l’idée qu’ils allaient empocher une vraie fortune à la fin de cette journée qui a commencé…dans la mi-journée.
Assis à bord de la rutilante 4×4, après avoir contemplé le paysage de végétation rabougrie qui s’offrait à leur regard, recevant directement sur leur corps de chair et de muscle la fraîcheur du climatiseur mis à fond, nos deux saisonniers étaient loin de s’imaginer ce qui les attendaient et où on les transportait. Peut- être sur un site de construction d’un immeuble à usage d’habitation pour un riche homme d’affaires de Bamako ou sur le chantier d’une usine de ciment ? Ni l’un ni l’autre.
Arrivés à Diago, les manœuvres ont été invités par le monsieur à descendre et à le suivre. Ce qu’il firent avec empressement avant de se retrouver devant un grand trou, une fosse qu’un engin lourd s’était évertuer à creuser avant de tomber en panne. Là attendaient d’autres types au regard menaçant qui laissait, toutefois, transparaître une certaine anxiété. Dans cette broussaille, on n’entendait que les chants des oiseaux affolés par cette présence humaine inhabituelle.
Les deux gars se mirent à creuser plus profondément cette fosse comme s’il s’agissait d’une piscine pour une riche personnalité de la capitale. Le travail était difficile mais il fallait s’y mettre car le temps filait et « les patrons » étaient impatients de voir le boulot terminé le plus vite possible. C’est en ce moment que l’un des saisonniers demanda de se retirer pour aller faire un besoin naturel derrière un arbuste.
A peine s’est-il éloigné de quelques mètres qu’il sentit une odeur pestilentielle à faire vomir n’importe quel âme. Il prit son nez, ensuite sa bouche. Mais rien n’y fit. Il se tourna à gauche pour voir d’où venait l’odeur. Rien. A droite, rien non plus. C’est en jetant le regard tout droit qu’il aperçut une bâche qui recouvrait quelque chose de bizarre. Peut-être des cadavres d’animaux, avait d’abord pensé le manœuvre, stressé et apeuré. Mais très vite, il se ressaisit et retourna sur ses pas, trouvant son camarade épuisé et à bout de souffle. Sans souffler mot, il demanda à ses » patrons » l’autorisation de se retirer même s’il ne devait pas être payé. C’est niet, a répondu l’un des messieurs en sortant une arme, l’air très menaçant. » Si tu ne continues pas, je te tue » a lancé le gars à la figure du saisonnier. Celui-ci se remit au boulot malgré lui pour éviter de rejoindre les cadavres qu’il dévinait sous la bâche.
Le boulot fini, les deux manœuvres sont déposés en ville, en un endroit loin du marché Dibida d’où ils avaient été embarqués. Leur salaire de la journée en poche.
Après avoir quelque peu repris leur esprit, ils rejoignirent à pied le marché Dibida, l’air hébété. Celui qui avait aperçu les corps des bérets rouges ne parla plus jamais. Devenu fou, il fut expédié au village par la communauté. Quant à son compagnon d’infortune, personne ne sait sa destination finale. Mais, dans son entourage, on dit qu’il est devenu fou lui-aussi.
Comme on le voit, ce sont des dizaines et des dizaines de vies qui ont été brisées à la suite de la tuerie des vingt-et-un bérets rouges.