Alors que Macky Sall, le Président sénégalais est revenu de Pékin en fin de semaine avec de fabuleux contrats lui ouvrant la voie au financement de routes, autoroutes, voies ferroviaires et port minier destinés avant tout à acheminer les matières premières du Mali et du Sénégal, revenons un instant sur l’ampleur de la bataille économique et financière qui voit actuellement s’affronter la Chine contre la Banque mondiale et ses partenaires.
Rappelons que l’accord avec la Chine intervient à quelques heures à peine de la réunion du Groupe Consultatif de Paris, lequel se tiendra le 24 et 25 février prochains au siège de la Banque Mondiale dans la capitale française. Evènement que la presse sénégalaise qualifie de grand oral du chef d’Etat sénégalais devant autorités financières et bailleurs de fonds occidentaux.
« Simple visite de travail » avait pour sa part affirmé la Banque mondiale en mars 2013 pour annoncer que le Vice-Président pour la Région Afrique de l’établissement financier, M. Makhtar Diop, arriverait le dimanche 17 mars au Mali pour un séjour de deux jours.
Nous avions alors d’ores et déjà indiqué à cette occasion – même si cela ne constituait certes pas le thème officiel des discussions – que la Banque mondiale figure parmi les principales entités ayant financé la toute nouvelle route, le «corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar». Laquelle est destinée notamment à faciliter l’exportation des richesses minières de la région. Richesses parmi lesquelles figurent l’uranium du Mali et du Sénégal et d’autres matières premières convoitées … Alors, qu’il s’agisse d’une simple visite de travail …
En tout état de cause, la Banque mondiale avait indiqué dans un communiqué qu’au cours de sa mission, M. Diop s’entretiendrait avec le Président par intérim Dioncounda Traoré, le Premier ministre Diango Cissoko, des membres du gouvernement malien et les représentants des partenaires techniques et financiers au développement du Mali. Ousmane Diagana, le directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Mali, la Guinée, le Tchad et le Niger avait quant à lui affirmé que la Banque mondiale intensifierait son action en faveur de la reprise économique, la reconstruction du pays en mettant un accent particulier sur l’accès aux services essentiels de base.
Fait notable : l’établissement promettait alors d’engager une action en vue de promouvoir la réhabilitation, reconstruction et réparation des infrastructures endommagées par le conflit. Histoire de s’assurer que la voie royale édifiée par et pour les grands groupes internationaux en vue d’acheminer les richesses du sous-sol maliens puissent rapidement devenir opérationnelle ? Qui sait …
La Banque mondiale avait alors indiqué être l’un des partenaires principaux du Mali, avec un engagement total de 732,75 millions de dollars en faveur des projets de développement. Son portefeuille de plus d’une dizaine de projets nationaux et sept projets régionaux couvrant alors des activités dans les domaines du développement rural, les services de base, l’énergie, le transport, les réformes institutionnelles et la décentralisation.
Parmi ces projets figure donc le «corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar» : liaison routière entre Dakar et Bamako réalisée par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, l’agence de développement japonaise, l’USAID, la Chine, la Banque Africaine de Développement, la Banque Islamique de Développement, les gouvernements du Sénégal et du Mali en coopération avec l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine dans le cadre du Programme d’action communautaire pour les infrastructures et le transport. Tout de même …
A noter que le corridor suit pendant des centaines de kilomètres le vieux tracé de la ligne des chemins de fer coloniaux, fermée récemment au public par la privatisation.
Une filiale de la société d’Etat des chemins de fer chinois – Covec-Mali – avait quant à elle réalisé le tronçon de route entre la frontière du Mali, près de Kenieba, et Bamako. Participe également au chantier l’entreprise de BTP Razel, laquelle appartient depuis 2009 au Groupe Fayat, premier groupe familial français, quatrième groupe du BTP dans l’hexagone, est actif dans plus de cent pays.
La société de travaux publics Dai Nippon Construction a construit quant à elle les trois ponts nécessaires (Balé, Bafing et Falémé) sur cette route vers Bamako. Le financement ? des sommes offertes par le Japon, via des crédits non remboursables.
Ce qui faisait dire en résumé à la délégation du Forum Civique Européen lors de son voyage au Mali que se voyaient ainsi réuni « des fonds en provenance d’Etats les plus divers réunis pour la construction d’infrastructures qui favorisent, pour des multinationales, l’extraction bon marché des richesses minières de l’Afrique de l’Ouest pour les transformer loin de là« . Ajoutant qu’il était « même question d’un projet de construction d’un port maritime à environ 60 km au sud de Dakar ».
Au début du mois de mars 2013, Diène Farba Sarr, Directeur général de l’Agence nationale chargée de la promotion des investissements et des grands travaux (APIX) avait indiqué pour sa part que le Sénégal allait poursuivre les grands chantiers laissés par l’ancien régime de Wade, en œuvrant surtout pour concrétiser de nouveaux projets, comme la Zone économique intégrée, le port minéralier de Bargny ou encore le développement des chemins de fer.
Port minéralier et infrastructures ferroviaires que la Chine promet désormais de financer …
En 2012, le site survie.org indiquait quant à lui que « le Mali est pieds et poings liés aux demandes des multinationales » , ajoutant que le ministère des Mines, créé sous Alpha Oumar Konaré en 1995, au moment de la libéralisation du code minier et des réglementations en matière d’investissement sous l’impulsion de la Banque Mondiale, en était « l’instrument docile » .
Ajoutant : « en plus de la compromission des élites, le code minier malien ne prévoit aucune contrainte pour les compagnies minières en termes de responsabilité environnementale et sociale pendant la phase d’exploration et de prospection« . Une faiblesse législative rendant le sous-sol malien « extrêmement attractif » soulignait-il enfin.
Rappelons également que le 18 septembre dernier, Makhtar Diop, le vice-président de la région Afrique de la Banque mondiale, s’est rendu au Mali à « l’occasion » de l’investiture du nouveau président Ibrahim Boubacar Keita. Tout en « profitant » du déplacement pour signer un accord de crédit sans intérêt de 50 millions de dollars avec le gouvernement malien.
A cette occasion, Makhtar Diop a rencontré Bouaré Fily Sissoko, la nouvelle ministre malienne de l’Économie et des Finances en vue de discuter de la façon dont la Banque mondiale pouvait soutenir les priorités de développement du Mali. Rappelons à toutes fins utiles que Fily Bouaré Sissoko est elle-même issue de la Banque mondiale, en poste récemment à la représentation de l’établissement financier à Bamako. Des retrouvailles donc en quelque sorte … voire un retour aux sources.
Après avoir remercié le Groupe de la Banque mondiale pour son soutien continu (de l’auto-congratulation ? ) la Ministre de l’Économie et des Finances a souligné à cette occasion que ce financement arrivait à point nommé pour le Mali.
Sources : Banque Mondiale, Presse sénégalaise, Forum civique européen, Survie.org, Africaintelligence
Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com – 23 février 2014
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