L’occupation du Nord du Mali par le MNLA, soufflé par les islamistes, et depuis par divers groupes salafistes sous la houlette d’AQMI, a suscité de la part des observateurs et acteurs toutes sortes d’interprétations et de scénarios possibles de sortie de crise. N’est-il pas vraisemblable que nous soyons en train de faire juste contrition de la faillite morale qui a caractérisé notre conduite à tous les niveaux? L’intégrité territoriale du Mali n’est pas le seul attribut de la République. Si un justiciable doit ester, c’est le Mali.
Lors de son discours bilan des cinquante années d’indépendance du Mali, le Président Dioncounda Traoré résumait l’histoire du Mali indépendant par une énumération discontinue des régimes qui se succédèrent: Modibo Kéïta, CTSP, AOK et ATT. Exit donc les 23 ans du régime de Moussa Traoré, implicitement assimilés à un creux, décrié comme une régression. La figure narrative du Président de l’Assemblée Nationale traduisait en fait le besoin du Mali de se réconcilier avec lui-même et de revenir aux nobles valeurs qui sont les siennes, à l’exclusion du mensonge, de l’incompétence, de la haine, de l’égoïsme, dont Dioncounda Traoré lui-même fut l’emblématique victime expiatoire, le 21 avril 2012, dans son palais de Koulouba.
Au delà d’un procès d’intention de régimes qui ne furent pas l’alternative vertueuse à ce que fut le régime de Moussa Traoré, loin s’en faut, c’est le caractère de l’homme malien qui interpelle, devenu naufragé de la dignité. Le regretté Abdoul Traoré dit Diop fustigeait le complexe de Kankou Moussa.
La tare génétique prêtée au vénérable aïeul n’étant encore certifiée par aucune étude scientifique, les cas comportementaux énumérés dans une anaphore risible dressent une ahurissante carte d’identité de l’homo maliensis «quand des hommes d’affaires intelligents arrosent de billets de banque des cantatrices aux avants-bras déjà surchargés d’or, au lieu de créer emploi et richesse dans leur pays, …, quand des hommes de Dieu attitrés rêvent jusqu’à l’obsession de monter dans la dernière voiture de luxe, au lieu de partager leurs biens avec les pauvres, … quand de hauts commis de l’Etat n’hésitent pas à dévaliser les caisses publiques pour mener la vie d’un prince du pétrole, …, quand…quand…».
«J’ai honte d’être Malien», crie un ressortissant du Nord. «Nous avons honte d’exhiber nos passeports maliens» renchérit cette autre, cantatrice. Des phrases de stupide indignation se font écho depuis le 1er avril, date sombre de l’entrée des assaillants indépendantistes et jihadistes à Tombouctou et début de l’occupation des régions du Nord. Seulement maintenant?
Que n’avions-nous pas eu honte lorsqu’un Boeing 737 atterrissait, avec toutes les permissions, à Bourem pour débarquer de ses soutes dix tonnes de drogue pure, au profit et au bénéfice de Maliens connus et quiets. En octobre 2011 déjà, le député Ibrahim Ag Mohamed Assaleh, élu à Bourem, membre du directoire du MNLA, dénonçait, avec courage et responsabilité, le trafic et les intérêts en jeu dans cette affaire, sur le site web de Jeune Afrique, évoquant «une complicité en haut lieu» et citant nommément Koulouba et l’Assemblée nationale comme étant impliqués dans ce trafic. L’interview a été publiée dans l’édition du 23 novembre 2011 du Républicain, alors que l’élu vivait à Bamako et siégeait régulièrement à l’Assemblée nationale.
Que n’avions-nous pas eu honte lorsqu’Eva Joly, eurodéputé écologiste, est venue de Bruxelles plaider auprès du Gouvernement de la République du Mali, qui n’avait rien vu, rien constaté, la cause de populations maliennes menacées de mort à grande échelle parce que des hommes, mus par un honteux besoin d’argent, avaient concédé l’exploitation d’une mine d’uranium, selon des termes contractuels préhistoriques, incluant une utilisation à grande échelle de cyanure, au mépris des dispositions constitutionnelles de prévention de l’impact environnemental. La légèreté, dénoncée et réparée par les soins de la Conseillère Ecologie du Gouvernement suédois, paraît d’autant plus insoutenable qu’il se passe au Mali, lauréat es qualité du Prix Khéba MBaye de l’éthique.
«La corruption de ce qu’il y a de meilleur est la pire» disait le Pape Grégoire 1er. La ville de Tombouctou, Cité des 333 saints, vit sur son histoire chaste un quotidien pour le moins lubrique. L’histoire de la cité témoigne que ses habitants sont rodés à la patience et la résignation lorsqu’ils sont touchés par les arrêts du destin. Et donc l’orgueil, piqué au vif cette fois-ci, s’explique par cette vérité que nous avons été heurtés à la preuve tangible de notre versatilité à nos règles séculaires de vie. Traduction: nous avons rompu avec les valeurs fondatrices de la ville, nous sommes tombés dans la légèreté des mœurs et l’incontinence morale est devenue endémique chez les responsables, leaders politiques et cadres.
Ce n’est pas une question d’islam, c’est une question de morale, parce qu’il y a une exigence morale pour des gardiens des Temples. En attendant des jours meilleurs, nous pouvons méditer Nietzsche: «Tout ce qui advient à chacun, en bien ou en mal, est une étape de son propre accomplissement».
Chez nos voisins, le déploiement de la force internationale butait sur une volonté manifeste de ménager le MNLA. Maintenant que ces terroristes sont forfaits, et planqués en lieu sûr, au Burkina Faso, le plan dont la CEDEAO peinait (en raison ou non du refus décrié de coopération des autorités de la transition malienne) à préciser le contour et le contenu apparaît plus lisible. Aujourd’hui, la préoccupation serait de faire émerger le MNLA du néant auquel le confondit ses démêlés avec le MUJAO. Dans cette dynamique, il n’y a pas, jusqu’à Alpha Condé, dans l’ordre de leur passage à l’Elysée, en passant par Macky Sall et Boni Yayi, un dirigeant africain qui ne se soit fait l’écho, finalement inutile, de l’amorce du dialogue avec les rebelles du MNLA.
Ce ballet de compassions et de leçons pour un peuple encore lucide et digne, qui n’a jamais rompu le dialogue, est caricatural de la posture du Mali, à genoux, reprenant l’ultime cri de désolation dans la langue des Kwa, capture sonore de la romance Ma Famille, «Yako! Même la bonne met sa bouche dans mon affaire ». En clair, dans l’air du temps, il était in de faire la leçon au Mali. Le Premier ministre l’a bien compris, qui, pendant que de gros yeux versaient des larmes sur l’épaule compatissante de Blaise Compaoré et de ses hôtes chefs d’Etat, inaugurait une ère nouvelle de coopération avec le Maroc.
Ouf! Il était temps. Nous nous sommes mis à dos grand pays. Nous sommes pratiquement responsables de sa mise hors OUA lorsque la voix du Mali, la 26ème, a basculé du côté des partisans de la fantoche RASD, en 1983, à Addis-Abeba. Mais nous l’avons fait surtout pour faire plaisir à un puissant voisin, l’Algérie, en l’amitié de laquelle nous croyions avec une fermeté égale à la brutalité de notre déception face au leurre. Le royaume chérifien, en plus des nombreux domaines déjà explorés de la coopération, est un excellent vivier politique et militaire.
Son expérience de la célèbre «Marche verte» de 1975 et l’effort militaire pour maintenir l’intégrité du Seguia el-Hamra, de l’ex Sahara espagnol au royaume chérifien, sont deux axes fructueux de coopération pouvant aider nos forces républicaines à en finir définitivement avec les velléités sécessionnistes au Nord. Il faut ôter le masque et faire la diplomatie autant de nos intérêts que de notre honneur.
Au lieu de cela, le Mali donne l’impression de n’être pas encore sorti des couloirs du Gedunk Merdeka, le cadre de la Conférence de Bandoeng, initiatrice en 1954 du non alignement. Pour juguler le sort diplomatique dans lequel l’après Modibo Keïta nous jeta, il faut espérer que la prochaine étape du premier ministre sera Israël. Le Mali boude ce pays utile depuis la guerre israélo-arabe de 1967, par solidarité avec les pays arabes, l’Egypte notamment, qui, elle-même, échange allègrement un ambassadeur avec l’Etat hébreux, contre des royalties américaines estimées en milliards de dollars.
Pendant ce temps, le reflet de notre diplomatie est carrément terni par la silhouette et les idées pompeusement panafricanistes et panarabiques d’un ambassadeur inamovible, maintenu à la dignité de Doyen, et qui finalement gangrène le protocole diplomatique. La dignité de Doyen du corps diplomatique peut être attribuée à tour de rôle aux ambassadeurs. Ce procédé a la vertu de faire émerger diverses sensibilités, opinions sur l’état et perspectives de coopération avec notre pays. Autant en profiter.
Aujourd’hui le MNLA est défait. Des grandes douleurs sont bues dans ce pays, commises par le pouvoir de feu Modibo Keïta. De justes larmes coulent depuis les événements de mars 2001, exacerbées par le contenu finalement creux de la cause. Mais il faut se réconcilier et dialoguer. Dialogue qui sera d’autant plus difficile à faire admettre qu’il va concerner également les rebelles, à l’exclusion des cas d’assassinat et de viols, dont la justice et la CPI, déjà à pied d’œuvre, se chargeront. Le dialogue et l’intégration des frères qui ont pris les armes est une nécessité et une condition sine qua non pour faire le Mali.
Primo, le Général Moussa Traoré a payé pour ses fautes, au nom du Peuple malien. Aussi, les références à ses liens familiaux avec des responsables politiques et administratifs relève de la détraction. Si notre colère n’est pas entièrement écumée, puisons dans notre foi pour rester dignes. Aucun Malien n’est plus méritoire qu’un parent de GMT et personne n’a une vocation familiale à diriger ce pays. La charge est attribuée contre sa mesure de compétence et de moralité.
Deuxio, les liens entre les communautés touaregs sont séculairement consanguins. En outre, ils ont régulièrement été alimentés du sentiment grégaire suscité par leur résidence dans le milieu et les modes de vie du Sud. Ceux qui ont tourné les armes contre leur pays constituent une minorité, certes, mais il est hors de question de demander à la majorité, restée digne et intègre, de se séparer d’eux par un mur délimitant la vertu et le vice républicains. L’endroit et l’envers de ce mur ne sont pas pas apparents au Mali, pas même depuis l’intérieur d’une mosquée.
Tertio, l’intégrité physique du Mali n’est pas le seul attribut de la République. Sa mise en cause est coupable, mais autant que l’atteinte aux biens publics, le favoritisme, l’exclusion, le népotisme. Parce que, proclamer à Paris l’indépendance du Nord du Mali n’est ni plus offensant, ni plus outrageant que fêter, dans un hôtel de la place, en tant que pur produit de la corruption, le gain de plusieurs unités de milliards de francs, en présence de ministres de la République, s’il vous plait. Alors, Mesdames et Messieurs les donneurs de leçons, taisez-vous, et allons à la réconciliation des cœurs et des esprits.
Autant y aller tout de suite. Ceux qui pensent qu’il est trop tôt pensent également que la transition est trop courte. Non. Nous sommes tous fautifs et, si un justiciable est habilité à ester, c’est le Mali lui-même et nul autre en son nom. Ou alors, que celui qui n’a jamais pêché jette la première pierre!