Active sur le front diplomatique, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest entend faire plier les deux juntes qui, au Mali et en Guinée-Bissau, menacent de déstabiliser la région. Mais sa capacité de persuasion semble bien limitée.
Et de deux. Sept jours après le sommet extraordinaire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, les dirigeants de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se sont réunis ce jeudi 3 mai à Dakar, au Sénégal, pour tenter une seconde fois d’apporter une réponse coordonnée aux crises politiques qui agitent le Mali et la Guinée-Bissau, deux de ses États membres, théâtres récents d’un coup d’État militaire. À l’issue de ce conclave de la seconde chance, l’organisation régionale a exhorté la junte au pouvoir à Bissau à libérer "toutes les personnes encore détenues sans jugement"et annoncé l`envoi d`une force au Mali dès que le pays "en fera la demande".
Des mesures qui paraissent bien faibles au regard de l’objectif que s’étaient fixés les responsables ouest-africains avant la rencontre : mettre un terme, selon les mots du président ivoirien Alassane Ouattara, à "l’attitude de défiance" de putschistes bien peu disposés à rendre le pouvoir aux civils.
Bien qu’elle ait officiellement lâché les rênes du pouvoir au profit du président de l’Assemblée nationale Dioncounda Traoré, la junte malienne, qui renversa le 22 mars le président Amadou Toumani Touré (dit "ATT"), est régulièrement accusée de faire régner sa loi dans la capitale Bamako. Elle y procèderait à de nombreuses arrestations parmi les proches du chef de l’État déchu. Son chef, le capitaine Amadou Sanogo, s’est, en outre, toujours vivement opposé à l’envoi dans le pays d’une force de la Cédéao ainsi qu’à l’allongement à un an de la période de transition avant la tenue d`élections présidentielle et législatives.
"Fermeté"
En Guinée-Bissau, les putschistes ne se montrent guère plus conciliants. La junte qui destitua, le 12 avril, le président par intérim, Raimundo Pereira, n’a accepté qu’après moult tergiversations "toutes les exigences" de la Cédéao, parmi lesquelles le déploiement de 500 à 600 hommes. "La région ne saurait tolérer cette défiance perpétuelle des militaires bissau-guinéens qui, au mépris des règles constitutionnelles, tentent d`imposer leur volonté à leur peuple", s’est insurgé, ce jeudi, à Dakar, le président de la Commission de la Cédéao, Désiré Kadré Ouédraogo, qui a également appelé à "davantage de fermeté".
Créée en 1975, mais dotée d’une force militaire permanente depuis 1999 seulement (voir encadré), l’organisation sous-continentale n’avait jamais montré autant d’empressement à régler de telles crises. "Il est clair que beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest ont intérêt à ce que cesse la crise malienne, analyse Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Le coup d’État au Mali fait écho à ce qu’ont vécu des pays comme le Niger et la Guinée-Conakry. Il y a donc une volonté d’envoyer un signal fort aux éventuels putschistes." Un volontarisme que beaucoup imputent également à la personnalité et l’expérience de l’actuel président en exercice de la Cédéao, l`Ivoirien Alassane Ouattara, qui vit son pouvoir confisqué quatre mois durant par son prédécesseur Laurent Gbagbo.
Las, nombre d’observateurs craignent toutefois que les bonnes volontés affichées par l’organisation ouest-africaine ne suffise à rétablir l’ordre constitutionnelle dans les deux nouveaux pays parias de la région. "La force que la Cédéao veut mettre en place au Mali ne sera pas d’une grande efficacité. Dans une région comme le nord du pays, elle est même inadéquate car insuffisamment préparée à ce qui pourrait être une guerre du désert", juge Philippe Hugon.
"Contre-productive"
Limitée militairement, la Cédéao l’est aussi politiquement. Composée de 15 États membres, l’organisation peine parfois à parler d’une même voix. Aussi le dossier bissau-guinéen a-t-il mis au jour les divergences de vue qui minent le club ouest-africain. Favorables au dialogue, les poids lourds que sont la Côte d’Ivoire et le Nigeria ont eu maille à partir avec la Gambie, la Guinée-Conakry et le Cap-Vert, tous trois partisans d’une intervention militaire dans l’ancienne colonie portugaise.
Mais c’est aussi – et surtout – avec les pays non communautaire que les Ouest-Africains doivent apprendre à coopérer. "En Guinée-Bissau, deux blocs s’opposent. D’un côté, la Cédéao qui prône la voie diplomatique et de l’autre l’Angola et la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), en faveur d’une intervention militaire", décrit Vincent Foucher, analyste pour International Crisis Group. "Il y a dans cette région une compétition de l’action diplomatique qui peut s’avérer contre-productive".
Ainsi pour faire pièce au projet angolais, la Cédéao pourrait être tentée d’adopter une solution un peu trop avantageuse pour les putschistes. "La Cédéao a autant besoin de la junte que la junte a besoin de la Cédéao, observe le chercheur basé à Dakar. Mais tout peut bien se passer s’ils parviennent à s’entendre et à adopter une ligne cohérente"
Mêmes difficultés au Mali, où la Cédéao ne peut tout régler toute seule. "Il ne fallait rien attendre du sommet de Dakar, regrette Philippe Hugon. La crise malienne est très compliquée, pour la régler il faut une coopération régionale des pays frontaliers, notamment l’Algérie, un régime politique fort à Bamako, et des négociations avec des rebelles touareg débarrassés des islamistes. La Cédéao ne peut faire qu’une partie du travail."