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Carnet de voyage : Une caravane et des étoiles pour un retour au bercail
Publié le vendredi 28 mars 2014  |  Le Reporter




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Mentao, mon pays. L’esprit qui a sous-tendu le périple est des plus nobles : remercier les autorités du Faso pour l’accueil accordé à nos compatriotes réfugiés ; apporter du réconfort aux personnes déplacées et surtout les inciter au retour au pays.

Au début de la crise, ils étaient plus de 30.000. Au camp de Mentao qui regroupe encore 12.000 de nos compatriotes dont une majorité d’enfants, la représentante de Mouvement des Africains de Rome en Italie, Mme Balkissa Maïga, a fait don d’une enveloppe financière de plus d’un million 900 mille francs pour l’achat de lait et d’un lot de vêtements pour les tout-petits. Geste apprécié comme il se doit par le chef de village du camp, Mohamed Abdallah Ag Mohamed, 79 ans, est originaire de Gossi dans la région de Tombouctou. «Le soir, il arrive ici que la température tombe jusqu’à 15 degrés. En zone semi-désertique le camp non limité s’étend sur plus de sept kilomètres», nous confie-t-il. Si le vieux en est à son deuxième séjour dans un camp de réfugiés, son petit- fils, qui a 15 ans et vit au camp depuis 2012, entend retourner dans son Gossi natal au plutôt. Malgré ce que Mohamed Ali Souleymane qualifie de «bonnes conditions» de vie sur le site géré par le Haut commissariat pour les réfugiés (il est scolarisé, soigné, bien alimenté et dit dignement ne manquer de rien), il soutient fermement vouloir retourner au Mali.
Une des doyennes de la scène musicale, originaire du nord du Mali, Khaira Arby a passé une bonne partie de la journée du mercredi 29 janvier dans le camp, et cet après-midi là, la fête en acoustique s’est faite avec le groupe «shallo» des réfugiés. Avant le concert de la soirée de Djibo -à sept kilomètres- on a battu des mains entre quelques youyous. Les arbustes sont rares dans les alentours. Un grand demi-cercle est formé. Quelques calebasses sont retournées. Des pieds, on bat le sol. Les mélodies sont imprégnées de nostalgie et d’émotion. Les hommes ont les pas cadencés et des membres chaloupés, les dames gardent leur prestance. À côté de l’assemblée festive, quelque signes de subsistance : des produits de l’artisanat touareg sont exposés ; il s’agit pour la plupart d’objets utilitaires ou de décoration. Si Mentao est le plus grand camp de réfugiés, nos compatriotes de Sagnogo non loin de Ziniaré et de Bobo Dioulasso ont également fait partie des objectifs du projet culturel. Et, puisque nous y sommes de plein pied….

Culture et intégration
En fait, la caravane de la paix et de la réconciliation du festival au désert (du 27 janvier au 5 février 2014) a été une bien enrichissante expérience. Si le périple au Burkina Faso (d’une superficie de 274 200 km2, l’ex-Haute Volta accéda à l’indépendance le 5 aout 1960. Les Touareg, 3% de la population du Burkina, vivent généralement au nord de ce pays) ; au Mali, il a renforcé le sentiment de patriotisme pour les jeunes y participant ; il a permis aux artistes de mieux affiner leur jeu musical et jauger leur capacité de récupération en tournée.

L’organisation du festival au désert -qui était sédentaire- s’est frottée à des défis d’organisation jusque-là, à elle inconnus. Le festival au désert à Essakane ou à Tombouctou en est à sa 14° édition (dans le convoi d’un bus, de deux ou trois 4X4, d’un minibus et la restauration mobile-disposition variant selon les étapes- on est souvent arrivés affamés, presqu’en même temps que l’équipe de restauration. «Assouf», curiosités, émotions et anecdotes se sont succédé. Trois équipes de télévision et une agence de communication étaient du voyage ; le cameraman américain a pris place dans le coffre ouvert d’un 4-4 (le pot d’échappement n’est pas loin). Le reporter en verra de toutes les vapeurs et poussière ; il a un mal fou à filmer le cortège tant son véhicule fume.

Le grand bonhomme finit par baptiser son engin Smoking Machine avant d’en louer un autre dont le radiateur aura besoin d’eau toutes les 40 bornes. On n’est pas encore sorti de l’auberge. Justement, il ne semble jamais avoir suffisamment de chambres et beaucoup d’hommes rechignent à passer la nuit dans le même lit qu’un autre homme ; quant à la quantité du gas-oil disponible dans un village, elle n’est point suffisante pour soutenir le matériel de sonorisation. Ce n’est pas tout, pour excès de poussière, de vent ou de repas rapidement avalé-le soir le riz est lourd pour certains estomacs- on peut passer de migraine à mal de ventre avec des pics inquiétants pour certains (Chloé, l’infirmière et bénévole française n’a que des comprimés. Heureusement que le voyage en groupe entraîne une certaine solidarité entre les caravaniers. Pour une toux ou un mal de gorge, les artistes Haira Arby et Mariam Koné peuvent venir au secours, tout comme la fan d’antiquités Gerda de Pryck. Elle qui reçoit pas mal d’artistes maliens chez elle en Europe. Jacky Canton Lamousse, lui, organise le festival «Croisée des Chemins» en France. Dans la matinée du 6 février, devant l’hôtel Esplanade à Ségou, il avait la mine défaite et le pas lourd. Nuit agitée ? L’Italien Dario pense qu’à son âge le français doit éviter d’aller à un concert en tee-shirt par nuit fraîche, comme il l’avait fait la veille. Pour lui, on a acheté 500 Fcfa de comprimés dans une pharmacie). Deux semaines après, le «MANItou» lui-même en aura pour son compte à Bamako, le directeur du festival a été alité pendant trois semaines.
Des étoiles à la belle étoile

Les transporteurs maliens et burkinabé rivalisent de fausseté, des deux côtés, au moins, un bus est tombé en panne. De lourds camions défoncent quotidiennement la piste menant à Djibo. C’est la province du Sourou à plus de 205 km au nord de Ouagadougou. Péniblement, nous roulons à environ 80 kilomètres à l’heure. Une odeur de brûlé persiste à l’arrière du bus. Dans leur véhicule les reporters américains s’intéressent beaucoup au paysage alors que dans le bus les français incitent les artistes à parler d’un Azawad plus ou moins fictif. Le couple dit travailler pour France 24. La dame présente un début de grossesse. On loge dans l’auberge des Dicko. Très bien entretenu pour un tel patelin.

L’eau est souvent courante, les toilettes modernes et une télé plus ou moins stable avec des chaînes en noir et blanc plus. Une mare est juste derrière, des charrettes remplies de barriques d’eau quittent le bassin. Des ânes, des bœufs et un dromadaire flânent autour ou dans le réservoir. À partir d’ici les cultivateurs peuvent se faire du fumier. Village peulh, Djibo est un des plus gros marchés à bétail du pays. Sur la place publique des milliers de têtes de bétail sont embarquées vers la Côte d’Ivoire. Des dizaines de cages sont emplies de volaille piaulant au soleil. Futurs poulets -télévisés ou poulets-bicyclettes à Abidjan et Bamako, les bipèdes sont de toutes les couleurs et de diverses espèces. Entre Djibo et Ziniaré Ouaga (que de vent et de poussière) la route paraît interminable. De ses rayons, le soleil brûle les passagers à droite dans le car. Malgré la chaleur, un jeune bien sympathique est en manteau noir (kamikaze ou agent secret ?), il est aussi mobile qu’un convoyeur et parle beaucoup, on l’a surnommé «l’homme au manteau». Chaque fois que le bus doit démarrer, il crie «Allez ! Allez !». Contre les rayons du soleil, c’est un certain Bébéto qui trouve la parade : les matelas-mousse embarqués étant légers, il commence à les disposer le long des vitres. Ouf ! Toutefois, nous devons prendre notre mal en patience. La route semble interminable. Loin d’imaginer qu’une escale forcée nous attend à Nemsyaga. Le bus vient de «tousser» et le chauffeur se perd en conjectures. L’engin «râle» et se range près d’un arbre.

Nous sommes dans un village. On perçoit la clameur d’un match de foot et une antenne relais dressée dans le ciel. Les caravaniers qui n’ont pas compris qu’il s’agit d’un «séjour» s’empressent d’aller se soulager derrière un arbre ou une maison. Ils n’ont pas tort. Les passagers de deux 4X4 mettent le pied à terre, ils ne semblent pas non plus déchiffrer la nouvelle donne. Talkie et téléphone portable en main, Reagan vient de garer son véhicule ; c’est l’homme à tout faire du festival, Oumar de Bobo aussi est là. Le moteur du bus de 70 places est en bas à l’avant, il est rapidement ouvert. Déjà, le sol est noirci d’une large couche de graisse. La courroie n’avait pas été changée depuis 2005. Il en faut une nouvelle et il faut faire venir un mécanicien à plus de deux-cents kilomètres. C’est que parmi les …. 4 membres de l’équipage du bus, il n’y a aucun spécialiste dudit véhicule. Mieux que de dépêcher un véhicule, Dario (c’est l’Italiano) qui dirige la caravane a l’air de réfléchir. Il pose son cartable sur le capot d’une 4X4, range son talkie dans une poche latérale et sort son portable ; pourquoi ne pas appeler Mani Ansar le directeur du festival, dont le véhicule est un peu en avant ? On descend du bus la dizaine de matelas qui servaient de protection contre les rayons du soleil. On s’éparpille par affinités. Quatre ou cinq grins (causerie autour d’un thé) sont constitués le long du village.

Certains s’installent non loin d’une boutique mal éclairée (à travers le territoire la demande en électricité croit chaque année de 13 %). Les théières sont posées sur les petits fourneaux. On doit passer le temps comme on peut. Bébéto qui, en fait, est un bénévole sur le projet culturel n’a pas qu’une tête d’étudiant (dans le bus il a su répondre aux questions tendancieuses de certains journalistes), il a un talent d’artiste. La marmaille du village le suit partout –avec ses lunettes noires, tantôt il fait chanter les enfants tantôt il leur offre des bombons en chantonnant faux ou vrai. Tiens ! Voilà Assanatou Keita -la choriste de Mariam Koné-qui passe sur un vélo gentiment prêté par un villageois et voici un autre compagnon de voyage sur une charrette tractée par un bœuf (à Djibo, ce sont les dromadaires qui font ce boulot). C’est bien le loquace Bina qui a alpagué des ramasseurs de bois mort (aussi drôle qu’exaspérant, c’est lui qui dans le bus vient à haute voix réclamer «so-sara» les frais de location, alors que nous sommes tous exténués ou dans les bras de Morphée. Quand il ne fait pas cela, il se met à aboyer comme un chien. Plus jeune Moussa Tamega aussi aime faire l’animal, il aime à bêler comme un agneau. Sérieux, le soir, il joue du «tamani» à côté de «sa grand-mère» Khaira Arby. Bien bizarre garçon, parce qu’il arrive qu’il descende de scène en pleine prestation… peut-être pour aller uriner.) On anime le village.

Les rumeurs vont du bus aux grins en passant par les 4X4. À quelle heure on repart ? L’homme au manteau s’est engouffré dans le village, il doit chercher un lieu de rafraîchissement (au Faso, ça ne saurait manquer). Bonne nouvelle sous les arbres : la chargée de communication du festival est partie chercher de la bouffe (le terme convient à notre situation). Peu importe le goût, on appréciera. Il y a bien plus de huit heures que le sandwich avalé au départ de Djibo s’est évaporé. Tout à l’heure, on a aperçu une antenne relais. Pourquoi ne pas aller recharger nos portables et ordinateurs ? Jaou nous accompagne ; il a un turban blanc qui pend à son cou ; ce grand blanc parle songhay, il se dit originaire de Bourem au Mali (Il en connaît les familles, les us et les coutumes. Mon cadreur Aliou Touré s’en est aperçu dès qu’ils ont engagé la conversation. Ils ont même des amis communs. La députée Chato est une connaissance. Le «nansara» a vécu plusieurs années au nord du Mali et fait partie de la communauté mondiale des accrocs du festival. Avec chagrin, il parle des débuts du festival initié à Bourem).

On a fait connaissance la veille, au comptoir de l’auberge de Djibo. C’est un Noir à peau blanche, sans protocole. Il en veut aux djihadistes : «ils ont gâté notre pays». Maintenant, il vit à Ouagadougou. Il dit avoir rencontré sa femme à Ségou (il nous la présentera au festival sur le Niger sept jours plus tard). Sur la principale voie du village, un hangar est aménagé comme une salle de cinéma, une télé est allumée (c’est de là que venait la clameur de match qu’on a perçue. Il faut débourser 100Fcfa pour suivre la télé). Il paraît que la réparation du véhicule prendra quarante-cinq minutes. La chargée de Com a trouvé un palliatif à la faim. La gargote du village n’a jamais reçu autant de monde. On y va par vague emportée par 4X4. Quelques anciens sont restés à l’ombre, Alhassane dit Rodolfo Sandjenis (on lui attribue une liaison qu’il conteste) a été trop gentil de leur apporter du riz sauce. Au désert, on ne rêve pas de dessert, le torchon est un luxe. Le turban est multiservice. Notre douleur fait la fortune de la gargotière. Ce bus est une chimère. En début de soirée, la chanteuse Sadio Sidibé semble préoccupée : elle a la tête basse ; elle est en monologue. Elle va et vient. Elle est fâchée : on lui a chipé sa bouteille d’eau dans le bus. Impossible de savoir qui ? Bon… On n’a pas que ça à faire. Et maintenant la nuit étend ses ailes pour envelopper les choses et les êtres, nous avec.

Zabré (bonsoir en Moré) !

On doit passer la nuit à la belle étoile. L’homme au manteau n’a pas de problème. Heureusement qu’on voyage avec quelques matelas. Il y en a aussi dans les 4X4 avec quelques petites tentes. Devant la boutique, la lampe torche du cameraman français éclaire le petit show improvisé par deux éléments du groupe kidalois Amanar. On grince une guitare autour d’un feu comme dans le désert et les chasseurs d’images saisissent l’opportunité. C’est beau. Attention, la torche glisse de la main droite du journaliste qui -un genou à terre- tient de la gauche la hanche de sa caméra-woman de compagne en équilibre. La torche chaude tombe sur le crâne d’un jeune spectateur. OOUUIIIEEE !!! Le garçon est sonné. Au bout de quelques secondes, il relève la tète. Le journaliste semble plus confus que sa collègue. Il bafouille quelques excuses et reprend maladroitement torche, câble et gélatine. Apparemment plus de peur que de mal. Le tournage reprend. La guitare grésille. Un vent chaud souffle. On a sommeil. Ceux qui ont une tente ou un matelas et une bonne couverture optent pour le plein air. Les sièges du bus immobilisé sont une alternative, mais y dormir relève de l’acrobatie ; on se tourne et se retourne toute la nuit, tantôt sur les cotes de droite tantôt sur celles de gauche. Et les moustiques ne font pas que la ronde. Le turban est multiservice.

AFFICHE

Les artistes attitrés de la caravane collaborent avec la direction du festival dans le cadre d’une série de spectacles et d’ateliers en résidence (la caravane avait été lancée le 16 novembre 2013 à Taragalte au Maroc). Il s’agit de la doyenne Khaira Arby (marraine de ce 15°festival au désert itinérant. Le 29 janvier à 205 km au nord de Ouagadougou dans la province du Sourou, quand elle est montée sur la scène à Djibo à 0H48 mn- elle a proclamée «j’ai beaucoup chanté, maintenant j’emmène la paix»). Plus jeune est Mariam Koné (guitariste chanteuse de Kati qui a été finaliste de Découvertes Rfi 2012). Qui a aussi pour aînée l’ancienne choriste de Oumou Sangaré, Sadio Sidibé (le public est sensible à ses déhanchements, à ses postures de chasseur dans «Wassolo Simbo» et aux remarquables grand-écarts de la bête de scène. Sans lui ressembler elle me rappelle les gesticulations de Djaba, une diablesse dont me parlait ma grand-mère, il y a bien longtemps). Sont également présents Baba Djiré (bozo de Tombouctou), Zoumana Théréta (mythique ou angélique le ‘’rudga ‘’ou ‘’ Sokun ‘’-instrument traditionnel au son plus rugueux que celui du violon dont il est similaire.

Ne pas confondre avec le «n’goni» plus effilé -n’a plus de secret pour lui), le Dogon Petit Goro qui aborde la scène avec «djati» pour émerveiller les burkinabé et électriser nos compatriotes, le groupe Amanar de Kidal résidant à Bamako (si à Djibo ils dénoncent les bla-bla et la haine entre frères, le 1er février à Bobo Dioulasso, les Kidalois ont transformé le concert en bal populaire ; Ahmed Ag Kaedi en est le chef d’orchestre) et Génération Taragalte du Maroc (souvenir et «assouf» nostalgie en tamasheq à Djibo. Le groupe est inspiré de Tinariwen qu’il a rencontré en 2009. Rarement séparé de son turban blanc, Halim Sbay, le directeur du festival de Taragalte à Mhamid Elghrlane dans la province de Zagora au Maroc, est également avec nous). Tout comme le public burkinabé, lors des étapes où il a eu connaissance de la venue de la caravane. À Ziniaré, village natal du président Blaise Compaoré, on a passé la nuit à l’hôtel Neb Nova du secteur 1. D’autres Européens nous y rejoignent, des volontaires et une partenaire du festival, c’est Gerda de Pryck. Intello, lunettes vissées sur le nez, calme olympien, la férue d’antiquités s’initie à la peinture. Après Ségou, elle compte se rendre à Man dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire pour un festival de masques et marionnettes. Avec précaution, je lui fais savoir que celui de Markala reprendra bientôt (paix à l’âme du professeur Diop). Le samedi 1er février vers 9h, «Allez ! Allez !», nous réembarquons pour Bobo Dioulasso. Sya l’hôtel partenaire s’avère un peu étroit. On fait recours à d’autres espaces d’hébergement.

On en a l’habitude ; on met un temps fou pour caser les uns et les autres. L’homme au manteau est déjà dans la ville. Le lit est son dernier souci. On semble remis de la fatigue et des courbatures .Vaste esplanade à l’entrée de la gare ferroviaire ; (depuis 1934 une ligne de chemin de fer relie Bobo Dioulasso à Bouaké et Abidjan en Côte d’Ivoire). La nuit, face au podium des artistes, une centaine de chaises sont restées vides. Pourtant plusieurs dizaines de passants se tenaient debout pour suivre le spectacle de loin (comme si ce n’était pas gratuit). Autant à Bobo Dioulasso qu’au village Opéra Opendorf de Laongo-Ziniaré, des artistes burkinabé ont apporté leur contribution à la diversité du spectacle. Parmi eux Sana Bob qui pratique du reggae jazz et blues à base du rythme moré «Wed bidé». Notre ami Jaou et d’autres dansent dans le public ou sur l’espace aspergé qui mène au podium, une place tout à l’heure occupée par des danseurs en bazin enturbannés et sensibles aux sonorités des groupes Amanar et Génération Taragalte. Dans la rythmique «Wed bidé», il arrive qu’interviennent des instruments traditionnels tels le «rudga» («sokun» en bambara) sorte de violon, la «kora» et le «lunga» («tamani» malien) tambour d’aisselle, mais aussi le «wamdé», la grosse calebasse renversée. Non loin du camp des réfugiés de Sagnogo, à trente kilomètres de Ouagadougou-Sana, Salif dit Sana Bob est arrivé avec un mégaphone conformément à son surnom de «crieur public» utilisant bien souvent le «lunga». Notre «compatriote» Jaou est un grand mélomane. Il est finalement sur la scène en train de «répondre» aux déhanchements d’une danseuse bien en chair. Devant le chargé d’affaires de l’ambassade du Mali au Faso, Modibo Traoré et le représentant du ministre burkinabé de la Culture Achille Yaméogo (directeur général du centre national des arts, du spectacle et de l’audiovisuel), Sana Bob, auteur de «Mon pays» (du troisième album sur quatre intitulé «Dernière chance»), a laissé entendre -avec sincère émotion et sans exotisme voulu : «crise de Mali, c’est crise de Faso, wallahi, si djihadistes prend le Maliba, c’est comme si ils ont pris Burkina, on est même chose-là !» .
Du désert au fleuve Niger

Au Burkina Faso, les ruraux comptent environ 44 pour cent de pratiquants de religions traditionnelles et 43 pour cent de musulmans. Du pays des Bobo et des Dioula à la frontière malienne, le paysage est bien variant (il défilait un peu trop vite pour ceux à qui l’homme au manteau a offert discrètement du jus de mais bien frais dès 7H. Le «frigo-télévisé» de l’hôtel en conserve de toutes marques). Je crois me souvenir que le conteur et chauffeur de taxi Sawadogo Ismaël m’a fait savoir que la contraction Bobo-Dioulasso est une trouvaille du colon qui voulait ainsi réunir les deux peuples qui étaient antagonistes et séparés par le marigot Houet (Dans un livre d’histoire, il est mentionné que c’est en 1896 que l’armée française prit Ouagadougou). Pour notre périple, l’équipe américaine est guidée par Sory Ibrahim Cissé, un jeune de Djenné. Il doit connaître le circuit. Au loin on aperçoit le groupe s’intéressant à une vaste mare, de véritables documentaristes.

Les locaux n’ont pas leur pareil pour entretenir les étangs. Plus loin sur la place d’un village, on voit que la mosquée partage le même terrain qu’une église. Quelques kilomètres plus loin, on doit traverser à pieds pour en finir avec les formalités douanières. Ceux qui ont des passeports les font viser. Parmi eux, une scandinave apparemment dans la soixantaine. Elle a perdu son mari il y a quelques mois ; le bénévole qui nous l’apprend ajoute que c’est elle qui avait -peut-être par erreur- dérober la bouteille d’eau de Sadio Sidibé. Le jeune homme ajoute que la Blanche cause beaucoup. Quant à savoir qui des deux veut draguer l’autre ? Nous avons un sourire en guise de réponse. Fin du territoire burkinabé.
À ton appel, Mali …
LA PATRIE/Bientôt, par talkie- un véhicule de tête annonce la proximité de la frontière. Quand la caravane s’immobilise, on descend de véhicules et on sort les instruments de musique. La procession entame l’hymne national : «A ton appel Mali ……

Nos cœurs vibrent d’espérance ….». Les agents à la frontière se mettent au garde-à-vous, ce 3 février au moment où les caravaniers franchissent la dernière barrière pour fouler le sol de Sonna, le premier village malien dans l’arrondissement de Mahou. Les couleurs nationales sont hissées derrière le bureau des policiers. Le bureau ne doit pas être équipé. C’est dehors que les policiers remplissent les formulaires sur le genou. Petit Goro est descendu respirer l’air du pays. Casquette, blouson, courts dreadlocks, il semble un peu perdu. Avant-hier, un journaliste était K.O. debout ; aujourd’hui, c’est le tour du chanteur de «Djati» (albinos noir comme ironise son cousin touareg), on lui file quelques Doliprane. L’ambiance est déjà là. Le filiforme Mohamed Dramé dit Assaba bat fermement son «lunga», «tamani» ou tambour d’aisselle. La franco-algérienne Samira a de grands yeux noirs. Son copain n’est jamais loin, c’est l’anglais Alan. Sa barbe n’est pas touffue. Il bouge sous tous les rythmes -il gesticule de l’épaule, des pieds et des mains -en fait, il danse en dé-sor-dre. Heureusement qu’il ne fait pas que ça ; le soir, même s’il a un peu mal au pied (un soir à Djibo, il est tombé sur des barrières de fer négligemment déposés dans la pénombre derrière le podium), il grimpe le petit escalier pour distribuer des bouteilles d’eau aux artistes sur scène. Les bénévoles sont également commis à la préparation et la distribution des sandwiches et repas. Comme nos compatriotes Vieux, Krimo et l’homme au manteau quand il est de bonne humeur, ils font également les convoyeurs ou s’attèlent si nécessaire à la répartition des chambres.

À Sonna, c’est l’appel. Devant policiers et villageois amusés ou médusés, on remonte dans les voitures. Des camions-remorques sont sur la route. En voici un renversé dans un ravin à droite, des cartons et des marchandises étalés aux alentours, c’est un accident grave. Quelques centaines de kilomètres plus loin, quand la nuit tombe, Mamou Daffé, le directeur du festival sur le Niger (boubou au vent) et les griots de la 4° région accueillent la caravane en chansons et en louanges (Les organisateurs du festival sur le Niger sont généralement débordés ; comment loger plus de quinze mille visiteurs dans une ville carrefour?). Le «tamani» se fait entendre. Alan, le jeune anglais, est encore là pour esquisser quelques pas approximatifs. C’est une vedette. Plus applaudi pour son courage que pour le hasard de ses pas. Dans la pénombre les Balanzans constituent le décor. Triomphalement et précédée par des chevaux et des motocyclistes, la caravane entre en ville. Brouhaha, klaxon et miracle : ni choc ni accident avec ou dans le cortège. Autre cérémonial d’accueil au village du festival.

Daffé délègue un de ses collaborateurs pour nous accompagner à un logement. Quand on ne se perd pas, on se faufile entre des ruelles. À chaque tournant, on se demande si le car peut passer sans fracasser un mur ou détruire un des innombrables ponts de fortune. Quartier mal éclairé. Nous voici dans une maison à un étage, qui semble non badigeonnée. Où sommes-nous ? Qui doit passer la nuit ici ? Les «respon» ont momentanément disparu. Pas de place assise depuis une demi-heure que nous sommes dans cette maison. On finit par étaler des matelas. Des bénévoles déplacent une immense marmite. On finit par accepter l’évidence ; on ne peut loger tout le monde ici.

On finit aussi par servir du ragout d’igname ou du spagheti à Aliou (il ne sait plus. La faim et le sommeil avaient eu raison de sa mémoire). Quelques artistes décident de se trouver une villa (malgré le coût conjoncturel, il n’y a point d’eau courante). Les bénévoles aussi se trouvent un logis ; d’autres rejoignent des amis dans la ville. Avant minuit tout le monde a dû se trouver une adresse. Les journalistes et les invités de la caravane sont des veinards, ils roupillent à l’hôtel. Clim, télé, salle de bain, deux petits lits par chambre=sommeil réparateur. Et comme prévu, le mercredi 5 février, les artistes de la caravane animent la grande nuit de la paix en ouverture du festival sur le Niger. Les voyageurs s’attendaient à une scène (pourquoi pas au bord du fleuve Niger ?) aussi vaste que celle qu’ils ont pratiquée pendant le périple, avec les mêmes commodités techniques. Les caravaniers ont dû se produire au village du festival à l’ex-Cmdt sur une espèce de terrasse. La connexion entre les trois festivals se fait en partenariat avec la fondation Doen de Hollande. Parmi le millier de spectateurs de ce soir, la ministre malienne de l’Artisanat et du Tourisme et-quelque part à l’écart, comme de grands timides- Jacob Devarieux du groupe martiniquais Kassav et l’arrangeur et musicien originaire de Ségou Cheick Tidiane Seck, que d’aucuns surnomment le Boudha. La sono n’est pas au point et un des animateurs de la soirée est en …jogging.
3000 KM

La tournée d’une dizaine de jours a offert cinq spectacles, parcouru 3000 km à travers les deux pays et regroupé cent-vingt caravaniers : artistes, journalistes, chauffeurs, cuisiniers, logisticiens, bénévoles, partenaires ou invités du festival et organisateurs de douze nationalités (Etats-Unis, Angleterre, Hollande, Suisse, Finlande, Danemark, France, Maroc, Belgique, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Mali). Un peu comme la conjonction de nations qui se sont coalisées pour aider le Mali à se sortir de la crise.

Le pays a vécu une situation surmontable. Avec quatorze années d’existence le festival au désert est relativement jeune. Ce mois-ci, l’équipe fait son bilan à Bamako. Et comme François Mitterrand le disait : «la pire erreur n’est pas l’échec mais dans l’incapacité à dominer l’échec». On est donc en droit d’espérer d’autres Etoiles en 2015 à Tombouctou, Essakane ou ailleurs !
Moïse TRAORE, envoyé spécial de l’ORTTM

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