C’est la fête au village. Sous les cocotiers, le fleuve coule tranquillement à quelques encablures de là. L’ambiance est tantôt apaisante, tantôt électrisante ; le temps est beau et comme dirait l’autre, «on est bien !». Les enfants ne tiennent pas en place ; ils semblent plus nombreux que les adultes. Des visiteurs sont là, ils regardent un peu partout ; ceux qui ne sont pas munis d’appareils, prennent des notes. Ils ne viennent pas de la planète Mars ; ce sont des Scandinaves : des Danois et un Norvégien. Le blond de leur teint est noirci par quelques rayons du soleil. «L’étranger a de grands yeux, mais il ne voit rien», quelqu’un lui tient la main.
De taille élancée, la tête surmontée de blancheur, un Monsieur ne tient pas en place : de temps en temps, il virevolte, emporté par les rythmes.
C’est lui qui leur tient la main. C’est le Malien du groupe. Piqué par le virus de la musique depuis quarante ans, il est l’auteur de «Kinkéliba» (2001) et de l’instrumental «Blues for 333 Saints» 2013. Dans cet album de 10 titres, l’auteur prévient «Angafaraniogonna» et invite à la tolérance et au vivre ensemble des pratiquants de toutes religions. Moussa Demba Diallo de N’golonina à Bamako est plus connu au Danemark qu’au Mali (pas seulement pour sa double culture, mais surtout parce qu’il en contribue au rayonnement ; les pieds dans nos traditions et contes et la tête dans le modernisme). Il accompagne le CKU centre danois pour le développement de la culture.
Une collaboration avec le Conservatoire des arts Balla Fasséké Kouyaté, depuis bientôt quatre ans, permet l’organisation d’ateliers avec un thème axé sur «l’entrepreneurship» présenté par KeldHosbond, Coordinateur international à Royal Academy of Music, Aarhus-Danemark.
Les étudiants maliens sont encadrés dans le jeu du piano. Chaque année, les établissements échangent des stagiaires alors que des professeurs scandinaves débarquent pour dispenser leur savoir. Le panel d’experts est constitué de Gunna Madsen de Spot Festival Danemark et de cinq autres personnalités scandinaves du monde des spectacles. Avec les apprenants, il s’était agi de mise à niveau par rapport au monde international de la musique. Comment se rapprocher de la qualité professionnelle, par exemple ?
Retournons plutôt voir l’aspect pratique des échanges. Dans l’après-midi du samedi 18 janvier 2014, il y avait du monde à l’Espace cocotier de la Maison des jeunes (il y a juste un an -à partir du 11 janvier 2012- l’armée française par frappes aériennes contribuait à la libération des deux tiers du Mali occupés pendant dix mois à partir du 22 mars 2012 par des jihadistes et narcotrafiquants. Ce jour, une mutinerie de l’armée contraignait le président Amadou Toumani Touré à abandonner son palais et ses charges, quelques jours plus tard).
Liberté d’expression
Les membres du «Songhoy Blues» sont originaires des régions du Nord du Mali qui ont subi l’occupation. Leurs sonorités appellent à la défense nationale, mais aussi incitent à la méditation qu’inspire le fleuve Niger (le défunt Aly Farka Touré était de cette culture). Les descendants du Mali des grands empires restent fiers. Avec lyrisme, le poète Mamadou Traoré est sur la scène pour présenter le pays en images et en parodies. En tout dix artistes ou groupes se succèdent sur le plateau. Les «hostilités» avaient été ouvertes par la chorale «Blébea» qui a su montrer une partie de la culture et de la chanson tchèque et «Nayuma», fragile petite fille.
Les griots sont les gardiens de la tradition orale. Nayni Diabaté fait partie de cette caste.
Au pays, on ne la présente plus. Corpulence de petite taille, large sourire, elle arrive avec un orchestre constitué uniquement de femmes instrumentistes (ce ne sont pas les amazones de Guinée, sûrement celles du Mali) ; le groupe a été baptisé «Kaladjoula Band». À peine ces mamans ont entamé le deuxième morceau (Nayni gratte un bolon sur une chanson en Haoussa du Niger), que la marmaille réinvestit la piste (ils ont déjà oublié l’accord avec l’animateur de scène d’attendre qu’il leur soit fait appel pour venir se trémousser). En tous les cas «ne jetez pas les enfants», c’est ce que chante Nayni dans «Kunani».
La quatrième prestation, tant par le rythme que par le thème, est la plus appréciée des spectatrices. «Insupportable» est ce polygame qui, en plus d’avoir quatre femmes, entretient une maîtresse. C’est un chef de famille ou «Dutigi» insupportable !
Cocotiers
Notre site se réfère à la plage. Le palmier peut atteindre 30 mètres de haut et donne des noix de coco, le tronc et les feuilles sont utilisés pour la construction des cases, le bourgeon terminal ou chou palmiste est comestible. Et comme on le sait dans plusieurs de nos villages, de la sève fermentée découle du vin de palme. Nous sommes au cœur de la première édition du festival de musique Spot sur Mali.
Les originalités se poursuivent sur la scène, les «Ntamanfola» et Cheicknè Sissoko sont là de même que le rappeur Mylmo, Ben Zabo, Adama Yalomba et Nampé Sadio. Bientôt la noiraude pourra secouer le cocotier : Mariam Koné est arrivée, la guitare en bandoulière pour nous appeler à «An ka wuli kan tlon ! » - en avant pour la fête ! ». Pourquoi pas vers l’ouverture, d’autant plus que le jus du cocotier est si délicieux et, comme met en garde Moussa Diallo, «le monde est une prison pour l’oiseau qui ne sait pas voler».
Moïse TRAORE