Deux juges et des dizaines d’enquêteurs sont à ses trousses depuis de longs mois. Pour eux, pas de doutes possibles : l’homme d’affaires corse Michel Tomi, 66 ans, à la tête d’un empire industriel en Afrique, serait le dernier « parrain des parrains » français. L’affaire inquiète jusqu’à l’Elysée, elle risque même de provoquer de forts remous dans les milieux diplomatiques, avec la mise en cause pour corruption du président malien, Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK ».
Selon les informations du Monde, depuis le 25 juillet 2013, date de l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet de Paris pour « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux » et « faux en écriture privée », les juges Serge Tournaire et Hervé Robert enquêtent en toute discrétion sur Michel Tomi, son groupe industriel Kabi, mais également sur ses réseaux politiques. L’homme est soupçonné de blanchir en France une partie de l’argent gagné en Afrique. Et de financer des présidents africains. Plusieurs chefs d’Etat seraient impliqués dans le « système Tomi » : IBK, donc, mais aussi le président gabonais, Ali Bongo, et les présidents tchadien ou camerounais.
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Deux enquêtes financières ouvertes à Ajaccio et Marseille, ainsi que des rapports de Tracfin (l’organisme anti-blanchiment de Bercy), visant M. Tomi, ont été centralisés à Paris à l’automne 2013, et joints au dossier. En mars, les magistrats ont frappé fort : ils ont demandé un réquisitoire supplétif au parquet, afin d’étendre leurs investigations à des faits de « corruption d’agent public étranger ». Leur cible : Ibrahim Boubacar Keita, président du Mali depuis septembre 2013, activement soutenu par la France. C’est dire si l’affaire gêne la diplomatie française. Les présidences malienne et gabonaise n’ont pas répondu aux sollicitations réitérées du Monde. Une autre piste est examinée par les policiers : celle des soutiens dont bénéficierait M. Tomi (condamné en 2008 pour « corruption active » pour avoir financé illégalement la campagne du Rassemblement pour la France de Charles Pasqua aux élections européennes) dans la classe politique française.
Cette enquête hyper-sensible démarre en 2011, dans le prolongement de l’affaire du cercle Wagram. La police découvre qu’un clan corse tente de mettre la main sur l’établissement de jeux parisien. Trois hommes, réputés dangereux, prennent la fuite : Frédéric Federici, Stéphane Luciani et Jean-Luc Germani. La direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris s’empare du dossier. Et tombe sur M. Tomi, suspecté de subvenir aux besoins du trio en Afrique. Dès lors, les policiers prennent en filature l’homme d’affaires. Et découvrent l’étendue de ses relations.
AMITIÉS
Avril 2012. Par un bel après-midi printanier, un homme en costume azur sort du restaurant parisien huppé La Maison de la truffe, escorté par ses gorilles. C’est IBK. Il serre dans ses bras un Michel Tomi en petite forme. Atteint d’une sclérose en plaques, il se déplace en fauteuil roulant. Son lieutenant, Jean-Luc Codaccioni, dit « Johnny », est également présent. Les trois hommes ne sont pas seuls : les policiers, en planque, mitraillent la scène au téléobjectif. M. Tomi sait entretenir ses amitiés. Il fournit des vêtements de marque au futur président malien, paie ses séjours à l’hôtel parisien La Réserve, met à sa disposition des avions pour sa campagne présidentielle – M. Tomi possède deux compagnies aériennes, Afrijet et Gabon Airlines.
Fin juillet 2013, la police judiciaire est saisie par les juges Tournaire et Robert. Une petite équipe travaille dans le secret. Au sein de la direction centrale de la PJ, l’enquête provoque des dissensions : le clan Tomi a des amis dans la maison, comme dans le monde politique. Placé sur écoute, M. Tomi est bavard au téléphone. Il discute avec ses hommes de main, chargés de rapatrier l’argent en France. Le nom d’IBK revient souvent. M. Tomi est d’ailleurs présent à la cérémonie d’intronisation du nouveau chef d’Etat malien, à Bamako, en septembre 2013. Dans un coin, pour ne pas se faire remarquer.
En décembre 2013, en marge d’un sommet africain qui se tient à Paris, IBK effectue un déplacement privé à Marseille, où il est pris en main par les hommes de M. Tomi. Celui-ci multiplie les séjours dans la cité phocéenne : il se rend deux fois par mois à l’hôpital de la Timone. Plus récemment, du 8 au 10 février, M. Tomi héberge son ami, tous frais payés, dans une suite du palace parisien le Royal Monceau. Il lui procure aussi des véhicules haut de gamme. Il s’occupe même de sa sécurité.... suite de l'article sur LeMonde.fr