C’est officiel depuis samedi, Oumar Tatam Ly a rendu son tablier de Premier ministre au profit de son Ministre de la politique de la ville, Moussa Mara. Pourquoi ce départ d’un homme en qui le président avait, en janvier seulement, renouvelé sa confiance ? Pourquoi le choix de ce remplaçant qui ne jouit pas d’une significative représentation parlementaire ?
C’est par un flash spécial de l’Ortm, que l’opinion publique a été informée, samedi soir, de la démission du Premier ministre, Oumar Tatam Ly, immédiatement remplacé à son poste par le ministre sortant en charge de la politique de la ville, Moussa Mara. La nouvelle a vite fait de susciter des interrogations et de nourrir les spéculations : Oumar Tatam Ly a-t-il démissionné de lui-même ? A-t-il été limogé par le chef de l’Etat qui venait d’arriver de Bruxelles où il avait pris part au sommet Union européenne-Afrique ?
Dans sa forme, la clé du « mystère » pourrait se trouver dans la lettre de démission que le Premier ministre sortant a adressée à son désormais ex-patron.
Dans cette correspondance en date du 5 avril 2014, Oumar Tatam Ly affirme avoir jugé nécessaire d’imprimer des « évolutions propres » à conférer au gouvernement « davantage de cohésion » et à le doter « de compétences accrues lui permettant de mettre en œuvre les changements attendus» par tous. Il s’agit, en clair, pour Oumar Tatam Ly d’avoir le feu vert du président de la République lui permettant de remanier le gouvernement en place depuis septembre 2013. Au cours de cette période, il a été donné au Premier ministre sortant de relever « des dysfonctionnements et des insuffisances » dans la marche du gouvernement, handicaps qui « réduisent grandement sa capacité à relever les défis » qui se présentent à lui. Selon lui, au sortir des élections législatives de novembre-décembre, il était devenu nécessaire d’opérer ces changements parce que le contexte institutionnel avait changé et était « devenu moins favorable. Autrement dit, malgré le fait que le RPM, parti présidentiel, a acquis une écrasante majorité à l’Assemblée nationale avec près de soixante-dix députés sur cent-quarante sept, il lui fallait composer avec d’autres partis politiques, notamment ceux qui ont soutenu la candidature d’IBK depuis le début, mais aussi ceux qui ont signé, sous la direction du Premier ministre, un pacte de gouvernement et de stabilité. Dans cet « environnement institutionnel devenu moins favorable », il est également impérieux de tenir compte de la présence d’une opposition certes quantitativement peu importante mais qualitativement significative.
Selon Oumar Tatam Ly, malgré des entretiens avec son mentor, les « 2, 3 et 16 mars » ainsi que le 4 avril, il n’a pas eu le feu vert lui permettant d’opérer des changements dans l’action gouvernementale et au niveau des acteurs qui doivent la mener. D’où, dans un contexte marqué par une divergence de points de vue avec le président de la République, sa démission parce que n’étant pas en position de remplir la mission qui lui a été confiée.
Au-delà de l’acte, assez courageux dans un pays où certains acteurs s’accrochent à leur fauteuil comme si leur vie en dépendait tandis que d’autres sont prêts à toutes les bassesses pour hériter d’un strapontin, il faut dire que cette démission intervient dans un contexte où la nécessité d’un remaniement gouvernemental se fait sentir par tout le monde.
Si pour un Oumar Tatam Ly il s’agit d’extirper du gouvernement des individus qui n’ont rien à y faire, qui plombent l’action gouvernementale et handicapent le président de la République dans la mise en œuvre de son programme de gouvernement, pour d’autres il s’agit de prendre les rênes du pouvoir maintenant que leur parti détient une majorité écrasante, et d’en exclure tous les autres.
Les tenants de cette politique d’exclusion ont jusque-là été contenus dans leurs velléités par IBK qui se veut le président de tous les Maliens et de tous les partis politiques. Cette pose lui a fait prendre le dessus de la mêlée, laissant les différents clans de son parti se livrer à une bataille de chiffonniers, laissant également des cadres du RPM, même ceux de la vingt-cinquième heure, tirer à boulets rouges sur le Premier ministre dont le plus grand crime est de ne pas avoir la carte du parti.
Aujourd’hui encore, le président Kéita, en remplaçant Oumar Tatam Ly qui ne pouvait plus cacher son ras-le-bol par Moussa Mara, prouve qu’il compte rester au dessus de la mêlée. En effet, son nouveau Premier ministre n’est pas, lui non plus, du RPM. Au contraire, il est le président d’un parti, Yelema, qui, il y a quelques années seulement, s’était révélé l’adversaire le plus irréductible du RPM en commune IV, fief à la fois de Moussa Mara qui en était le maire, et d’IBK qui en était le député.
Par son choix, le président marque un symbole : alors que son parti détient la majorité avec 66 députés, le parti de son Premier ministre détient la minorité avec un seul et unique député, un élu dont le statut n’est même pas définitivement clair.
Pourquoi alors Moussa Mara ?
Comme Oumar Tatam Ly, il se présente comme un homme neuf dans le paysage politique, un homme qui n’a pas trainé de casseroles, dont la gestion communale est souvent citée en exemple. Mais contrairement à celui qu’il remplace, c’est un acteur politique majeur, chef d’un parti politique qui a su s’implanter et se maintenir dans un paysage politique acquis aux requins politiques. Sont-ce là ses seuls atouts ? Certainement pas si l’on tient compte de sa relative jeunesse (39 ans) à présenter à un peuple qui veut opérer le renouvellement et le rajeunissement de la classe politique afin d’amorcer le tournant générationnel.
Mais surtout, et de cela beaucoup s’inquiètent déjà, Moussa Mara aurait des liens très étroits avec des milieux islamistes. Des liens qu’il partage avec son mentor.