« TEMEDT » qui signifie en langue Tamashek « placenta », est une association qui se dédie à la paix et au développement. Spécialisée dans la lutte contre la pratique de l’esclavage au Mali, l’association créée en 2006, s’apprête à organiser du 10 au 12 avril 2014, un grand forum au Carrefour des jeunes de Bamako, avec 500 participants. En prélude à cette rencontre Ibrahim Ag Itbaltanat, Président de TEMEDT, dans une interview, nous parle des objectifs de la rencontre et des activités programmées. De passage, il revient sur le bilan des activités de son organisation et réitère la volonté de TEMEDT de voir l’Assemblée nationale du Mali votée en 2014 la loi criminalisant la pratique de l’esclavage. Lisez !
Le Républicain : TEMEDT s’apprête à organiser un forum du 10 au 12 avril 2014. Quels sont le objectifs de cette rencontre ?
Ibrahim Ag Idbaltanat, Président de l’Association TEMEDT : Le Mali connaît une situation particulière à cause de la crise sécuritaire au nord. Aujourd’hui, on est dans une sorte de refondation et TEMEDT dès sa création avait dans sa mission de contribuer à l’avènement d’un Mali nouveau où les relations entre les communautés seront saines, avec plus de justice sociale et plus d’équité. Le présent Forum vise à partager avec l’opinion nationale et internationale les préoccupations de TEMEDT. Il vise l’élargissement de la base des alliés de TEMEDT pour le combat en faveur de l’éradication de l’esclavage. Nous comptons aussi faire connaître d’avantage les artistes de la communauté noire Kel Tamashek.
Avec plusieurs objectifs, quelles seront les articulations de ce forum ?
Le Forum doit recevoir 500 délégués. En plus des délégués qui viendront de toutes les régions du Mali, des invités viendront du Niger, de la Mauritanie et du Sénégal. Ces invités viendront partager leurs expériences de lutte contre le fléau de l’esclavage avec les maliens. Ceci étant, le Forum qui aura lieu du 10 au 12 avril 2014, au Carrefour des jeunes de Bamako, s’articulera autour de 3 volets. Le Premier volet sera consacré à l’organisation de 3 conférences débats sur des thèmes aussi variés que « Les savoirs sur la communauté noire Kel Tamashek », « L’esclavage au Mali : perspectives d’éradication » et « La crise au nord : Quelle réconciliation ». Le deuxième volet sera consacré aux aspects culturels avec la participation de 6 troupes traditionnelles de Ménaka, Gao, Tombouctou, Mopti et Bamako. Et le troisième volet sera consacré aux questions institutionnelles. Chaque 3 ans, TEMEDT a une assemblée générale pour le renouvellement de son bureau et la relecture des statuts et règlements.
En attend de faire le bilan de vos activités lors du Forum, qu’est ce qu’on peut considérer comme les acquis de votre association ?
Quand on créait TEMEDET en 2006, cela n’a pas été facile. On a fait face à l’hostilité des pouvoirs publics qui avaient le complexe de reconnaître la persistance de l’esclavage au Mali. On avait aussi en face de nous la résistance de certains pouvoirs traditionnels. Aujourd’hui, ce complexe s’ estompe petit à petit. Pour preuve, nous travaillons en étroite collaboration avec le département de la justice. Plusieurs formations ont été organisées à l’intention de magistrats maliens sur les textes internationaux en matière de l’interdiction de l’esclavage et de la traite des personnes. On peut aussi noter qu’au moins 50 esclaves ont été libérés et une proposition d’avant projet de texte de loi criminalisant la pratique de l’esclavage a été élaborée par TEMEDT, avec l’appui de ses partenaires, en vue de son adoption par l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, TEMEDT compte 38 100 membres qui ont tous leur carte d’adhésion et mieux notre association est représentée sur tout le territoire malien avec 7 coordinations régionales. C’est seulement à Kayes que TEMEDT n’a pas encore installé une coordination régionale.
Quelles sont les manifestations de l’esclavage au Mali ?
Au Mali, il y a trois sortes de manifestation de l’esclavage. Le premier type, appelé esclavage primaire, est pratiqué comme au 12ème siècle. L’esclave est un bien. Il ne possède rien et n’est pas responsable de ses enfants qui sont dès leur jeune âge repartis entre les proches de son maître, sans son consentement. Ce type d’esclave pense que Dieu l’a destiné à ce statut et qu’il doit son salut dans l’au-delà à l’obéissance à son maître. Son horizon se limite à l’environnement du maître et ses enfants sont les biens du maître de sa femme. Le père esclave n’est qu’un géniteur tout court. Le deuxième type est l’esclavage de type modéré. La famille de l’esclave vit séparer de celle de son maître. Mais, quand le maître a besoin d’une main d’œuvre pour ses travaux, il vient prendre un enfant chez son esclave, avec son consentement. L’esclave consulte le maître pour le mariage de ses filles.
Le troisième type de l’esclavage est politique. Dans certaines fractions nomades, il y a souvent seulement 10% de maîtres, tous les autres habitants sont des esclaves. A la faveur de la démocratie, le maître est devenu un grand électeur qui détient toutes les cartes d’électeurs des esclaves. Il va même souvent voter à leur place et en leur nom pour le candidat de son choix. Le maître exploite cette situation même dans les hautes sphères de l’Etat. Il y a des conséquences très graves liées à tous ces types d’esclavage. Le maître trouve qu’il est tout a fait normal dans le premier type d’esclavage d’exploiter sexuellement l’esclave. On constate aussi la marginalisation de tous ceux qui sont issus de cette communauté parce qu’ils sont considérés comme ne pouvant pas outrepasser la volonté de leurs maîtres.
Mais, aujourd’hui qu’elles sont vos attentes ?
Nous voulons amener les décideurs et l’opinion à prendre conscience de la persistance de cette pratique d’un autre âge au Mali. Les autorités maliennes doivent comprendre que tant que ces pratiques persisteront, il n’y aura pas de progrès social, de cohésion et de paix. Et, pire, on ne saurait parler d’Etat de droits. Donc, en plus d’être un espace de promotion des artistes de la communauté noire des Kel Tamashek, le Forum doit être le lieu où nous entendons partager notre vision de la solution à la crise au nord. N’Oubliez pas que nous vivons et subissons tout ce qui se passe au nord. Nous sommes restés pacifiques malgré tout. Nous aimons la paix et nous connaissons tous les acteurs. Enfin, nous espérons que notre plaidoyer en faveur de l’adoption d’une loi va avoir des alliés.
Quelles sont vos priorités pour l’année 2014 ?
En terme de priorité, nous voulons arriver à faire adopter en 2014, la loi criminalisant la pratique de l’esclavage au Mali. Nous voulons aussi apporter une contribution de qualité dans le retour de la stabilité, de la paix et de la cohésion sociale au Mali. C’est le lieu de saluer tous nos partenaires qui nous soutiennent dans nos activités pour que nous arrivions à bout de l’esclavage au Mali. Ce sont : l’Etat malien, La Fondation Rosa Luxemburg, Anti-slavery international, ABA ROLI (Association du barreau américain) et les organisations de la société civile malienne organisées en coalition de lutte contre l’esclavage pour appuyer les efforts de TEMEDT.