De Gaulle disait qu’un Premier ministre « est là pour durer et endurer ». Tous ne supportent pas cette exigence
Inéluctable et imprévisible. Le changement de gouvernement déclenché dans la nuit du samedi dernier avec la désignation de Moussa Mara comme nouveau Premier ministre a en apparence respecté toutes les exigences auxquelles doit se plier ce type d’événements en matière aussi bien de confidentialité que d’effet de surprise. Mais dans les faits, il est surtout la conséquence d’un acte inédit dans l’histoire de la IIIème République, une démission écrite adressée le 4 avril par le Premier ministre au chef de l’Etat. Pour rappel, Me Abdoulaye Sékou Sow n’avait pas observé cette procédure en février 1994 lorsqu’il abandonna le fauteuil primatorial, se contentant de faire connaître sa décision dans un communiqué de presse distribué dans les radios privées de Bamako. Dans le principe, la démarche suivie par Oumar Tatam Ly n’entrainait pas automatiquement son départ. Le président de la République a, en effet, la faculté de retenir un collaborateur qu’il jugerait indispensable. Mais cette éventualité n’a visiblement pas effleuré le sommet de l’Etat et la réaction de la Présidence a été foudroyante à travers un communiqué signé par le Secrétaire général, Toumani Djimé Diallo, et diffusé dans un flash spécial de l’ORTM.
Le texte est d’une sécheresse et d’une froideur inusitées. On y indique que le président de la République « a mis fin aux fonction de Mr Oumar Tatam Ly » au lieu d’utiliser la formule consacrée affirmant qu’il a « accepté la démission » de l’intéressé. On y relève notamment l’absence des remerciements habituellement adressés au sortant pour le travail abattu dans la mission qui lui a été confiée et on s’aperçoit, fait exceptionnel, que la charge d’expédier les affaires courantes en attendant la mise en place d’un nouveau gouvernement revient non pas au désormais ex PM, mais aux ministres, chacun dans son domaine. Ces détails éloquents rappellent une fois de plus que la politique est un sport de combat, que les coups n’y sont pas toujours retenus (ainsi qu’en témoigne le feu roulant contre le sortant dans plusieurs titres de presse d’hier) et que l’erreur à n’y pas commettre serait de se tromper de catégorie.
Car au-delà de cette péripétie particulière, une chose est certaine. Le changement de gouvernement était inéluctable non pas à cause du prétexte maintes fois invoqué de la nécessaire prise en compte du nouveau paysage politique. Mais en raison du fait que l’équipe Oumar Tatam Ly qui avait entamé sa tâche lesté d’un préjugé fortement défavorable auprès de l’opinion nationale n’avait jamais pu se débarrasser de ce handicap. Au fil des mois, les remarques s’étaient faites de plus en plus virulentes sur sa taille jugée sans aucune mesure avec les ressources limitées du pays, sur le manque de visibilité de la plupart de ses membres et surtout sur sa lenteur à répondre aux attentes les plus pressantes des populations, concernant tout particulièrement la récupération de Kidal et la dégradation du quotidien des populations.
LE FLAIR POLITIQUE ET LA FIBRE SOCIALE. Le président de la République ne pouvait pas ne pas percevoir cette déception populaire latente et ne pas chercher à y porter remède par un remaniement de l’Exécutif. Les analystes étaient d’ailleurs quasi unanimes à reconnaître que la prolongation accordée à l’équipe gouvernementale en mars dernier s’assimilait plus à un sursis qu’à une reconduite sur une durée conséquente. La neutralisation momentanée des rumeurs et des supputations avait surtout donné l’avantage à la réflexion présidentielle de se déployer sans pression pour l’agenda des ajustements à mettre en route. Ibrahim B. Keita a choisi d’assener d’emblée un double choc avec sa rapide séparation d’avec le Premier ministre, Oumar Tatam Ly, et la nomination de Moussa Mara.
L’on savait le chef du gouvernement affaibli pour diverses raisons, mais l’extrême brièveté de son mandat (sept mois) souligne un fait évident, la difficulté qu’il a éprouvée à se glisser vraiment dans son rôle de chef d’équipe et surtout d’appréhender totalement le rôle particulier que doit jouer un Premier ministre de période de crise. Oumar Tatam Ly a cumulé deux handicaps et payé cher une maladresse. Le premier de ses handicaps a pour origine son extraction professionnelle. Le PM sortant aurait certainement excellé par temps calme où sa méticulosité et son esprit analytique auraient trouvé à mieux s’exprimer. Mais dans un contexte où le flair politique et la fibre sociale doivent guider une bonne partie de l’action gouvernementale, le sortant ne disposait sans doute pas des meilleurs atouts, lui qui a fait l’essentiel de sa carrière dans la bulle bancaire où les échos du monde réel parviennent très assourdis.
Le deuxième handicap de Oumar Tatam Ly réside sans aucun doute dans la manière dont il concevait son rôle de Premier ministre. Il s’était comporté en collaborateur dévoué et consciencieux du chef de l’Etat. Ce qui était méritoire, mais insuffisant. Le chef du gouvernement veille certes à la mise en œuvre des instructions présidentielles. Mais il lui revient aussi l’obligation de bonifier les orientations données par le président de la République par des initiatives emblématiques prise par le gouvernement. De ce côté là, le bilan est maigre et le PM a certainement souffert de sa méconnaissance de l’appareil de l’Etat. Méconnaissance qu’il n’a pas substantiellement amoindrie depuis sa nomination et qui lui avait fait opter pour une solution de prudence, celle de s’en tenir aux initiatives soigneusement balisées. D’où sa présidence de multiples séminaires et ateliers qui n’éveillaient aucun écho dans l’esprit du grand public et qui donnaient la fâcheuse impression d’un activisme sans retombée évidente.
La maladresse du PM sortant tient tout d’abord dans une intrusion ratée dans le domaine politique. Dans un régime semi-présidentiel comme le nôtre, une commodité de langage fait du chef du gouvernement le chef de la majorité présidentielle. Commodité de langage, car aucune automaticité institutionnelle n’installe réellement le Premier ministre dans cette prérogative, même lorsqu’il appartient au parti présidentiel. Dans la réalité, la pratique française dont nous héritons peu ou prou fait plutôt obligation au chef du gouvernement de s’assurer de l’accompagnement constant de la majorité présidentielle au Parlement. Cela pour éviter que l’Exécutif ne se trouve en difficulté pour faire passer ses dossiers les plus importants ou les plus délicats.
COMME UNE INTOLÉRABLE INTRUSION. Cela implique de la Primature un travail de veille permanent auprès des députés, l’instauration de rencontres institutionnelles périodiques destinées au partage d’informations et la mise en place de circuits de concertation privilégiés pour surmonter les malentendus ou évacuer les contentieux. Il n’y a donc aucune verticalité dans les relations PM-majorité présidentielle, mais un flux continu d’échanges. Ce que n’a pas totalement intégré l’hôte de la Primature. Le malaise entre Oumar Tatam Ly et certains responsables du RPM a certainement surgi lors du processus de la sélection du candidat du Rassemblement à la présidence de l’Assemblée. Le chef du gouvernement avait piloté de manière très visible et sans précaution particulière le dossier d’une personnalité à qui sera finalement préféré l’actuel titulaire du perchoir.
Certains Tisserands avaient perçu la démarche primatoriale comme une intolérable intrusion dans les affaires internes du parti de la part d’une personnalité qui n’avait aucune légitimité pour proposer, à plus forte raison pour imposer, un candidat. Les deux visites de courtoisie rendues ensuite par Oumar Tatam Ly à son « ainé », le président Issiaka Sidibé n’ont guère éteint ce ressentiment qui a largement « fuité » dans la presse. Les relations PM-RPM auraient-elles pu tourner à l’affrontement ouvert, comme certains l’ont laissé supposer ? Nous ne le pensons pas, mais les Tisserands n’auraient jamais laissé passer l’occasion d’une escarmouche et auraient certainement accentué chaque faux-pas politique du chef du gouvernement. Comme l’impair récemment commis par ce dernier et qui lui avait fait choisir un déplacement en hélicoptère sur Koulikoro de préférence au trajet en voiture. C’était une erreur qu’un néophyte politique n’aurait pas commise, sachant bien la perception désastreuse qu’en auraient eu des populations koulikoroises exaspérées par l’état calamiteux du tronçon routier et l’insécurité qu’y fait régner la noria des gros porteurs.
Si l’on dresse le bilan global de l’ancien chef du gouvernement, il est aisé de constater que ce qui était au départ recensé comme ses atouts s’est mué au fil du temps en lacunes. Sa neutralité politique a progressivement mis à jour une totale méconnaissance du monde partisan et une réelle inaptitude à saisir le mode de fonctionnement de celui-ci. Son profil de technocrate lui a compliqué l’appréhension des problèmes du Nord du Mali et fait sous-estimer la montée des demandes sociales. Son affranchissement de toutes les coteries avait comme revers de la médaille l’absence de réseaux qui lui auraient été utiles pour appréhender entièrement l’humeur du pays et saisir la face cachée de certains dossiers. Venu d’un univers feutré, il ne se sera pas accoutumé (et sa lettre de démission le prouve) à cette vérité première édictée par De Gaulle pour qui est un Premier ministre « est là pour durer et endurer ». Oumar Tatam Ly s’est donc comporté comme un pur gestionnaire là ou était attendu un brasseur d’énergies, un impulseur d’élans et un éveilleur d’initiatives. Le profil qu’il présentait, les qualités qu’il démontrait s’étaient avérés en fin de compte en décalage avec les attentes placées en lui.
SANS RENONCER A SON TEMPÉRAMENT. Pour remplacer le PM sortant, le président de la République est resté fidèle à l’option déjà faite en faveur de la jeune génération et à son pari sur les personnalités neuves. Mais Ibrahim B. Keïta a pris soin de changer entièrement le profil de l’heureux élu. Il a sélectionné cette fois-ci un homme que la politique passionne littéralement et qui a choisi de s’affirmer sur ce terrain. En se présentant à quatre élections (une législative, deux communales et une présidentielle). En osant à l’orée de la législature 2007-2012 affronter le président de l’Assemblée nationale d’alors dans le fief de ce dernier en Commune IV. En créant son propre parti. La désignation de Moussa Mara représente tout de même un challenge risqué que s’autorise le chef de l’Etat. Car venu de l’univers du privé, l’ancien ministre de l’Urbanisme et de la Politique de la Ville ne possède pour le moment qu’une connaissance limitée de l’appareil d’Etat qu’il lui faut réveiller et revitaliser.
Mais le nouveau PM a pour lui de ne pas avoir à « s’alphabétiser » sur le plan politique ; de savoir aller au contact des populations les plus modestes ; d’avoir identifié de ce fait un certain nombre de dossiers sociaux qu’il faudra traiter avec tact et diligence ; d’avoir essayé de comprendre à hauteur d’homme le dossier du Nord du Mali pour s’être rendu sur le terrain afin de rencontrer les déplacés et les réfugiés ; et – ce qui est loin d’être négligeable – de s’être intéressé à toutes les entreprises d’explication de la crise 2012-2013, entreprises développées par certains cercles intellectuels maliens. Moussa Mara sait donc, en principe, ce qu’il lui faut réussir d’urgence pour obtenir la marge nécessaire aux traitements de questions plus lourdes.
Le nouveau chef du gouvernement n’ignore certainement pas que le temps présent n’est plus celui de l’indulgence et qu’il sera donc jugé et jaugé sans que ne lui soient accordées de circonstances atténuantes, même lorsqu’il méritera celles-ci. Il n’ignore pas non plus que beaucoup le considèrent comme un jeune homme pressé de prendre la lumière, plus habile dans les effets d’annonce que persévérant dans la gestion de fond. Il n’ignore pas enfin que sans renoncer à son tempérament, il lui faudra souvent brider celui-ci pour s’assurer que le tanker qu’est l’Etat a bien pris le cap souhaité. Décider vite et bien est déjà quelque chose qu’il sait faire. Mais s’assurer qu’une trop rapide progression n’étire pas la colonne étatique au point de couper l’avant-garde de l’intendance représente une indispensable précaution qu’il aura à prendre.
Autre fait notable, en nommant Moussa Mara, leader du parti Yelema, le président de la République clôt un débat qui s’est surtout développé par médias interposés. La désignation du PM ne saurait être soumise à l’obligation d’appartenir au parti majoritaire, tout hégémonique que soit celui-ci à l’Assemblée nationale. Aux Tisserands de comprendre l’appel à la modération que comporte le message présidentiel. Le nouveau Premier ministre va entamer sa mission dans un environnement suffisamment périlleux pour que le maximum de bonnes volontés l’aide à franchir le cap habituel. Et empêche les citoyens de désespérer du politique.